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6. Discussion générale

6.2 Hypothèses volet modélisation

La méthode d’analyse ROC nous a permis d’invalider en partie la troisième hypothèse qui stipulait que les modèles prévisionnels conçus dans un climat continental, comme celui du Québec, sont plus efficaces que ceux conçus dans un climat océanique pour prédire correctement les risques d’infection ou la teneur en DON dans les cultures de blé de printemps et d’automne. Deux modèles américains se sont distingués parmi les neuf modèles à l’étude lorsque l’analyse ROC était exécutée avec la teneur en DON ≥ 1 ppm comme indicateur de fusariose et que la phénologie du blé était observée au champ. Les modèles de De Wolf et coll. (2003) ont été calibrés dans un large éventail de climats pour s’adapter à un vaste territoire aux États-Unis. Ils proviennent de régions à divers climats continentaux, où le mois le plus froid a une température < 0 °C et le mois le plus chaud une température > 22 °C et ce, avec ou sans saison sèche, jusqu’à un climat sec où l’évaporation annuelle est supérieure aux précipitations (Peel et coll. 2007). De plus, le modèle argentin de Moschini et coll. (2001), qui a presque égalé la performance des meilleurs modèles américains, a été conçu sous un climat océanique, caractérisé par des précipitations à tous les mois de l’année et des températures des trois mois les plus froids se trouvant entre 0 et 18 °C (Peel et coll. 2007). Ainsi, après avoir ajusté le seuil de décision, le climat d’origine et la proximité géographique ont peu d’influence sur la performance du modèle prévisionnel au Québec. Un modèle provenant d’un climat océanique est presque aussi efficace que celui provenant d’un climat continental à semi-aride lorsque leur seuil de décision est ajusté afin de minimiser le taux d’erreur global. Les seuils de décision ajustés pour les meilleurs modèles américains sont respectivement de 79,6 et 50,2 et sont supérieurs à ceux de la littérature. Ces seuils doivent être utilisés avec l’indicateur de pression de fusariose DON ≥ 1 ppm et la phénologie observée, car il s’agit des meilleurs paramètres permettant de différentier correctement les épidémies et les non-épidémies. On pourrait expliquer cette différence par le fait que les modèles surestiment le risque d’épidémies sous les conditions de culture du Québec par rapport au seuil originalement publié. Les conditions faisant augmenter le risque d’infection à la fusariose de l’épi programmées à l’intérieur des modèles prévisionnels américains ne correspondent pas parfaitement à celles qui mèneraient à l’accumulation de DON dans les champs de blé du Québec. Une bonne partie du territoire américain couvert par les modèles de De Wolf et coll. (2003) est sous des conditions plus sèches que celles retrouvées au Québec. Les pathogènes causant la fusariose dans ces régions sont probablement bien adaptés à cette sécheresse et tirent profit de la moindre humidité disponible, tandis que ceux retrouvés au Québec sont adaptés aux conditions plus humides, ce qui pourrait se refléter dans la production de DON dans les grains. En effet, la distribution géographique de chaque espèce est attribuable à ses exigences de température et d’humidité, car ce sont principalement ces paramètres qui influencent le développement de la fusariose de l’épi (Parry et coll. 1995). Au Québec, il faudrait une plus grande durée d’humidité, donc un seuil de décision plus élevé, pour obtenir une teneur en DON comparable. On ne peut pas faire le même type de comparaison avec le modèle argentin, car aucun seuil n’est publié pour celui-ci. Quant

aux modèles canadiens, qui proviennent de la province voisine du Québec, ils ne sontpas classés parmi les meilleurs à la suite de l’analyse ROC même avec un seuil de décision ajusté. Les paramètres des modèles ou la période critique observée en discontinu ne permettent pas d’obtenir des performances aussi bonnes qu’avec les modèles américains et argentins.

La quatrième hypothèse, soit que les modèles de prévisions de type épidémiologique font des prédictions plus précises des risques d’infection et de la teneur en DON des grains que les modèles empiriques, est réfutée. En effet, les trois modèles les plus performants sont tous empiriques et sont meilleurs que les modèles épidémiologiques italiens qui, quant à eux, ont eu une performance intermédiaire avec la teneur en DON ≥ 1 ppm comme indicateur de fusariose et la phénologie observée. Les modèles épidémiologiques sont plus complexes que les modèles empiriques, car ils nécessitent plus d’informations pour pouvoir faire leurs prévisions (Prandini et coll. 2009). Les modèles épidémiologiques de Rossi et coll. (2003) ont été conçus à partir de la biologie de quatre espèces de pathogènes causant la fusariose de l’épi dans le nord de l’Italie :

Giberella avenacea, Fusarium culmorum, Giberella zeae and Monographella nivalis. Au Québec, G. avenacea, F. culmorum et G. zeae ont été identifiés dans les champs d’orge et de blé (Bourdages et coll. 2006; Bérubé

2010). Les souches utilisées dans le développement des modèles italiens ont peut-être créé un système spécifique à leur région d’origine même si, en théorie, les modèles épidémiologiques sont considérés comme étant quasi-universels (Prandini et coll. 2009). Par contre, le principe de parcimonie doit être utilisé en modélisation, c’est-à-dire que la simplicité est préférable à la complexité (Prandini et coll. 2009; Rossi et coll. 2010). Plus précisément, le modèle prévisionnel doit avoir la meilleure efficacité en utilisant le moins de variables possibles, sans que la performance ne soit diminuée. Même si la complexité peut rendre le modèle plus juste, elle peut également le rendre moins utilisable (Rossi et coll. 2010). Les modèles américains et argentins sont de types empiriques et utilisent moins de paramètres pour produire des prédictions plus près de la réalité. À la suite des analyses ROC, on s’aperçoit que ce sont les modèles les plus simples qui ont le mieux performé, ce qui est en accord avec le principe de parcimonie.

Finalement, la cinquième hypothèse, qui stipule que les observations au champ des stades du blé sont plus fiables que les prédictions faites par un modèle bioclimatique de la phénologie du blé dans le cadre de l’utilisation des modèles de prévision des risques de la fusariose, a été confirmée.L’observation au champ du développement de la culture est essentielle pour obtenir de bons résultats des modèles prévisionnels de la fusariose de l’épi. En effet, les paramètres de performance des modèles sont meilleurs lorsque la phénologie est observée et non prédite par le modèle d’Agriculture et Agroalimentaire Canada avec l’indicateur de dommage DON ≥ 1 ppm.Le modèle de phénologie ne prédit pas avec assez de justesse les dates des stades critiques d’infection, soit les stades début épiaison (Z51), épiaison complète (Z58) et mi-floraison (Z65) qui sont nécessaires à l’utilisation des modèles prévisionnels de la fusariose de l’épi. Les différences engendrées

ont une grande influence sur leur réponse et leur performance. Par exemple, seulement un modèle américain et le modèle argentin ont les meilleures performances quand les stades sont prédits, tandis qu’avec les stades observés, deux modèles américains ainsi que le modèle argentin se distinguent. Les conditions météorologiques des jours entourant la floraison sont déterminantes dans les risques potentiels d’infection (Bailey et coll. 2004). D’autant plus que les trois modèles qui se distinguent lorsque la phénologie est observée ont tous l’anthèse (Z65) comme stade critique de référence (Moschini et coll. 2001; De Wolf et coll. 2003). C’est pourquoi l’utilisation des stades de développement réel du champ est recommandée plutôt que ceux fournis par le modèle bioclimatique de phénologie, car une différence, aussi petite soit-elle, entraîne une baisse en efficacité des modèles prévisionnels de la fusariose de l’épi, plus particulièrement ceux qui sont les plus performants.