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Hypothèse d’une co-régulation des métabolismes énergétique et osseux Chez les vertébrés, à partir de la fin de la croissance, la masse osseuse est maintenue

Liste des abréviations

PATH OLOGI

1.2.3. Dialogue entre les métabolismes énergétique et osseux

1.2.3.1. Hypothèse d’une co-régulation des métabolismes énergétique et osseux Chez les vertébrés, à partir de la fin de la croissance, la masse osseuse est maintenue

par un processus physiologique complexe et dynamique appelé remodelage osseux. Il répare les micro- et macro-lésions du squelette (Karsenty, 1999). Cette fonction homéostatique consiste en la succession de deux évènements cellulaires : la résorption de la matrice osseuse minéralisée par les ostéoclastes, puis la formation de l’os de novo par les ostéoblastes. Le coût énergétique quotidien de la destruction osseuse associé au coût énergétique quotidien de la formation osseuse, simultanément en différents sites du squelette, est un premier argument en faveur d’une co-régulation des métabolismes énergétique et osseux (Clement et Karsenty, 2005; Karsenty et Oury, 2010).

Avec 200 millions de femmes atteintes dans le monde, la perturbation la plus fréquente du remodelage osseux est l’ostéoporose (IOF, 2014), caractérisée par une augmentation relative de la résorption osseuse par rapport à la formation osseuse causant un risque accru de fracture (Dennison et al, 2005a). Cette perte osseuse est liée à l’arrêt des fonctions gonadiques. L’obésité prévient cette perte osseuse, même après la ménopause (Karsenty, 2001). A contrario, l’anorexie augmente le risque de fracture (Faje et al, 2014). Ces observations cliniques sont un second argument en faveur d’une régulation hormonale commune de la masse osseuse, du poids corporel et de la fonction de reproduction (Karsenty, 2001). La leptine, sécrétée majoritairement par les adipocytes et jouant un rôle dans la régulation de la prise alimentaire et de la fonction de reproduction (§1.2.1.3.2), semble être un agent essentiel dans le dialogue entre le métabolisme énergétique et le métabolisme osseux. En effet, les souris ob/ob déficientes en leptine, ou db/db sans récepteur fonctionnel de la leptine, sont non seulement hypogonadiques (Strobel et al, 1998) et obèses, mais ont aussi une masse osseuse augmentée, pour l’ensemble des os du squelette (Figure 25) (Ducy et al, 2000). Ces troubles de la masse osseuse ne sont pas une

Figure 26. Contrôle de la résorption et de la formation osseuse par la leptine. ObRb : récepteur de la leptine,

CART : cocaine and amphetamine-regulated transcript, SNS : système nerveux sympathique, Adrβ2 : récepteur adrénergique β2, AP-1 : activator protein 1, ATF4 : activating transcription factor 4, RANKL : receptor activator

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conséquence directe de l’obésité puisque les souris ob/ob soumises à un régime pauvre en graisses dès la naissance conservent un poids corporel normal avec un phénotype de masse osseuse élevée. De plus, ce phénotype est absent chez les souris Agouti obèses et chez les souris sauvages soumises à un régime enrichi en graisses et en glucides pour induire une obésité. L'ensemble de ces éléments suggère l’existence d’une stimulation directe de la masse osseuse par la leptine (Karsenty, 2001).

Enfin, chez les vertébrés, l’apparition de la leptine au cours de l’évolution est concomitante à l’apparition des cellules osseuses et non à celle des adipocytes, de l’appétit ou de la reproduction. Ce dernier argument est aussi en faveur d’un rôle endocrine de la leptine dans le contrôle du remodelage osseux et du métabolisme énergétique (Doyon et al, 2001; Huising et al, 2006).

1.2.3.2. Mécanismes de co-régulation des métabolismes énergétique et osseux L’hypothèse formulée ci-dessus fait l'objet de beaucoup d'intérêt. Même si les mécanismes sous-jacents à la co-régulation des métabolismes du tissu adipeux et du tissu osseux ne sont pas encore complètement élucidés, les modèles murins transgéniques ont déjà fournis de nombreux éléments de réponse.

1.2.3.2.1. Régulation du remodelage osseux par le tissu adipeux

La leptine, en se fixant à son récepteur ObRb sur les neurones sérotoninergiques du tronc cérébral, réduit la synthèse de sérotonine, entraîne une augmentation du tonus sympathique (Wei et Ducy, 2010) et favorise ainsi indirectement la résorption osseuse (Yadav et al, 2009). Cette augmentation du tonus sympathique stimule le récepteur adrénergique β2 (ADRβ2) sur les ostéoblastes (Takeda et al, 2002). D'une part, la prolifération ostéoblastique est inhibée (via l’horloge moléculaire qui inhibe l’expression des gènes AP-1 (activator protein 1) et des cyclines de type D) (Wei et Ducy, 2010) et d'autre part, l’expression de RANKL (receptor activator of NF-κB ligand) dans les ostéoblastes est favorisée, RANKL étant le principal facteur de différenciation des ostéoclastes (via la phosphorylation d’ATF4, activating transcription factor 4) (Figure 26) (Clement et Karsenty, 2005). C’est pourquoi les souris ADRβ2-/- (invalidation du gène ADRβ2) ont une formation osseuse augmentée et sont protégées de la perte osseuse après ovariectomie (Elefteriou et al, 2005). Pourtant, les souris ob/ob déficientes en leptine ont une masse osseuse et une résorption osseuse augmentées, un tonus sympathique bas, tout en étant hypogonadiques (Clement et Karsenty, 2005).

Cet apparent paradoxe s’explique par le fait que la leptine favorise aussi indirectement la formation osseuse via la régulation de l’expression du gène CART (cocaine- and amphetamine-regulated transcript). Ce gène code un neuropeptide impliqué dans la régulation de la prise alimentaire et de la dépense énergétique. Ce facteur est

Figure 27. Contrôle de l’homéostasie glucidique par l’ostéoblaste via l’ostéocalcine et contrôle de

l’ostéocalcine par la leptine. ObRb : récepteur de la leptine, SNS : système nerveux sympathique, Adrβ2 : récepteur adrénergique β2, FoxO1 : forkhead box protein O1, ATF4 : activating transcription factor 4, OST-PTP :

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principalement exprimé dans l’hypothalamus (Elefteriou et al, 2005). Ainsi, les souris ob/ob se distinguent des souris ADRβ2-/- par une diminution de l’expression hypothalamique de CART (Kristensen et al, 1998) et par une augmentation de la résorption osseuse (Driessler et Baldock, 2010). En effet, CART favorise la résorption osseuse en inhibant l’expression de RANKL dans les ostéoblastes et donc la différentiation des ostéoclastes (Figure 26) (Wei et Ducy, 2010).

1.2.3.2.2. Régulation de l’homéostasie glucidique par le tissu osseux

Les modèles murins transgéniques développés pour l’étude des mécanismes de co-régulation des métabolismes énergétique et osseux ont aussi montré que le squelette est un organe endocrine (Lee et al, 2007; Lee et Karsenty, 2008). En effet, les ostéoblastes sécrètent une hormone, l’ostéocalcine, sous la forme d’une pré-pro-protéine dont trois acides glutamiques sont γ-carboxylés (résidus Gla) avant qu’elle soit sécrétée dans le microenvironnement osseux et dans la circulation générale (§1.2.2.3.1) (Wei et Ducy, 2010). Une petite fraction d’ostéocalcine décarboxylée (bioactive) est sécrétée dans la circulation générale et stimule la prolifération des cellules β du pancréas, l’expression des gènes codant l’insuline dans ces cellules β du pancréas et des gènes codant l’adiponectine dans les adipocytes (Wei et al, 2014). L’augmentation de la sécrétion d’insuline, concomitante à l’augmentation de la sécrétion d’adiponectine qui améliore la sensibilité à l’insuline des tissus cibles, améliore la prise en charge du glucose dans l’organisme (Lee et Karsenty, 2008). L’activité de l’ostéocalcine est elle aussi sous le contrôle de la leptine et du système nerveux sympathique. Le signal sympathique, via la phosphorylation d’ATF4 et via l’expression du facteur de transcription FoxO1 (forkhead box protein O1), augmente l’expression de la tyrosine kinase OST-PTP (osteotesticular-protein tyrosine phosphatase) responsable de la carboxylation de l’ostéocalcine. FoxO1 diminue aussi directement l’expression de l’ostéocalcine. Le signal sympathique diminue donc le niveau d’ostéocalcine décarboxylée et ainsi ses effets sur la sécrétion d’insuline et la sensibilité à l’insuline (Figure 27) (Rached et al, 2010; Wei et Ducy, 2010).