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II. Cadre théorique

4. L’Hypothèse de LeDoux

Ainsi, certains types de stimuli, pertinents biologiquement et présentés de manière subliminale, suscitent des activations cérébrales chez l’être humain. Nous avons vu plus haut qu’une des fonctions adaptatives de la conscience était qu’elle permet de tirer des informations de représentations internes sans avoir recours à l’environnement externe et ainsi d’une part d’économiser des ressources et d’autre part, d’éviter d’éventuels dangers. Nous pourrions maintenant nous demander quel avantage évolutionnaire procure la capacité de percevoir des stimuli inconsciemment.

Tout d’abord, il faut remarquer qu’il ne serait pas possible d’avoir conscience de tous les stimuli qui nous entourent, ni de tout ce que nous faisons, simplement parce que notre cerveau serait rapidement surchargé si tel était le cas. En effet, il vaut mieux ne pas devoir penser à notre respiration à chaque fois que nous inspirons et expirons, ni à mettre un pied devant l’autre à chaque fois que nous marchons.

Mais LeDoux (1996) propose par ailleurs une autre utilité de percevoir des stimuli sans en avoir conscience: celle de nous alarmer d’un danger, afin que nos ressources cognitives préalablement engagées dans d’autres traitements soient réorientées vers le problème. En d’autres termes, il pense que les stimuli subliminaux évalués par l’amygdale comme source de danger potentiel engendrent une activité afin de réguler le traitement cortical au moyen d’un niveau d’éveil élevé et que notre attention, qui est commandée par notre cortex et focalisée ailleurs, soit rapidement attirée dans leur direction, alors même que les représentations corticales ne sont pas encore totalement élaborées. Par ailleurs, à ce moment-là, un comportement défensif a déjà été programmé dans l’amygdale. Ainsi, cette aptitude du système de peur d’opérer à un niveau non-conscient pourrait être un avantage évolutionnaire (Beaver, Mogg, & Bradley, 2005).

Un certain nombre de données appuient déjà cette hypothèse. Tout d’abord, une voie neuronale entre l’amygdale et le cortex, notamment visuel, a pu être mise en évidence. Par exemple Amaral et Price (1984) ont injecté un traceur dans l’amygdale de macaques et ce traceur, à la surprise des auteurs, s’est fortement propagé dans le lobe occipital, témoignant de la présence d’importantes connexions entre cette aire et l’amygdale. Le traceur s’est également propagé dans les cortex frontal, insulaire et temporal, indiquant une voie entre l’amygdale et ces structures (en revanche, l’amygdale ne reçoit pas d’input venant du cortex visuel, mais seulement des cortex associatifs). Ceci constitue un argument pour l’hypothèse de LeDoux, puisque pour que l’amygdale, qui est activée lors de la présentation d’un stimulus subliminal, puisse informer notre cortex, siège de la conscience, de sa présence, elle doit pouvoir communiquer avec lui. Cette communication sera d’autant plus efficace qu’elle a lieu à un niveau précoce du flux d’information, soit, pour un traitement visuel, au niveau du cortex occipital. L’amygdale est ainsi capable d’influencer les aires corticales, ce qui permettra de diriger l’attention vers les stimuli pertinents auxquels l’amygdale assigne de l’importance.

En 2001, Vuilleumier, Armony, Driver et Dolan mènent une expérience en IRMf dont le but est de voir si la réponse cérébrale à l’expression d’un visage est modulée par l’attention spatiale. Pour ce faire, ils ont présenté à leur sujet des matrices composées de quatre stimuli, une paire d’images de visages et une paire d’images maisons, disposés en losange, où les deux stimuli horizontaux formaient une des paires et les deux stimuli verticaux, l’autre. La tâche du sujet consistait à déterminer si les deux stimuli formant une des deux paires étaient identiques ou pas (tâche d’appariement). Ainsi, une paire de stimuli était pertinente pour la tâche et une paire de stimuli ne l’était pas. Dans une condition, le sujet devait donc effectuer

la tâche d’appariement sur les visages et son attention était donc portée sur eux (condition attentionnelle) et dans une autre condition, le sujet devait effectuer la tâche d’appariement sur les maisons, dans ce cas, son attention n’était pas portée sur les visages (condition non attentionnelle). La paire de stimuli pertinents était indiquée préalablement. En outre, les visages présentés aux sujets avaient une expression neutre ou de peur. Les résultats comportementaux montrent que les sujets étaient plus lents dans la tâche d’appariement des maisons lorsque les visages avaient une expression de peur comparativement à une expression neutre. En IRMf, une activation du gyrus fusiforme fortement influencée par la condition attentionnelle était observée. De plus, les visages engendraient une activation de l’aire fusiforme droite qui était plus importante pour les visages de peur que pour visages neutres, indépendamment de l’influence de la condition attentionnelle. L’amygdale gauche, quant à elle répondait aux visages avec expression de peur et cette activation n’était pas influencée par la condition attentionnelle. En conclusion, les auteurs affirment que les réponses cérébrales sont modulées par l’attention et par l’émotion. En revanche, la réponse de l’amygdale aux stimuli menaçants n’est pas influencée par l’attention qu’on y porte et jouerait, de ce fait, un rôle « préattentif » pour ce type de stimuli.

Cette expérience nous apprend qu’une réponse comportementale peut être influencée par un stimulus hors du focus attentionnel et que ce dernier, s’il est pertinent biologiquement, engendre une activation amygdalienne. Une telle conclusion apporte de l’eau au moulin de LeDoux concernant son hypothèse. Toutefois, d’une part, elle a été remise en question par d’autres études (Pessoa, McKenna, Gutierrez, & Ungerleider, 2002) et d’autre part, elle ne porte pas sur des stimuli subliminaux.

La dernière pièce de ce puzzle est apportée en 2005, par Beaver et al. qui mènent une expérience comportementale sur de tels stimuli au moyen d’une tâche de détection de cible.

Dans un premier temps, des stimuli masqués pertinents biologiquement (images d’araignée ou de serpent) étaient associés à un bruit aversif ou inoffensif. Dans un deuxième temps, un stimulus pertinent biologiquement préalablement associé à un des deux sons et un stimulus non pertinent biologiquement (images de champignon ou fleur) étaient présentés au sujet, suivi d’une cible visuelle apparaissant à la même localisation qu’un des deux stimuli. La tâche du sujet était d’identifier la cible le plus rapidement possible en pressant sur une touche.

La rapidité de la réponse du sujet était utilisée comme indice de l’endroit auquel il portait attention, puisque les réponses ont tendance à être plus rapides dans de tels endroits comparativement à des régions de l’espace auxquelles on ne porte pas attention. Les résultats montraient une attention préférentielle du sujet pour les stimuli pertinents biologiquement,

inconsciemment conditionnés négativement. Dans une deuxième expérience, les auteurs montrent que ce sont les gens qui perçoivent les stimuli (les sons aversifs) comme aversifs (sur échelle de 1 à 5) qui ont l'attention attirée par ces derniers et que l’attraction de l’attention par le stimulus inconsciemment conditionné négativement a aussi lieu si ce stimulus est également masqué lors de la tâche de détection de cible. Ainsi, l’attention est préférentiellement allouée à la localisation spatiale de stimuli qui on été inconsciemment associés à des évènements aversifs. Ce phénomène est dépendant de l’aversion perçue à l’égard de ce stimulus et ne dépend pas de la conscience du stimulus conditionné, tant pendant l’acquisition que pendant la tâche attentionnelle à proprement parler (expérience 2).

Cette expérience va dans le sens de l’hypothèse de LeDoux (1996), selon laquelle une des utilités de l’activation amygdalienne observée lors de la présentation subliminale de stimuli pertinents biologiquement est de moduler l’attention du sujet pour qu’il se focalise dessus. En effet, elle montre qu’un stimulus subliminal pertinent biologiquement capte l’attention du sujet dans sa direction.

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