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D. Dérégulation de l’homéostasie du Ca 2+ dans la MA

1) Hypothèse calcique dans la MA

Au-delà des hypothèses amyloïdes et Tau hyperphosphorylée, une autre hypothèse appelée hypothèse calcique a été formulée pour expliquer la pathogenèse de la MA (Khachaturian, 1989; LaFerla, 2002; Thibault et al., 2007). Celle-ci postule qu’une dérégulation de l’homéostasie du Ca2+, liée à l’activation d’un métabolisme

amyloïdogène de l’APP, serait un facteur clé dans l’accélération des changements pathologiques retrouvés dans la MA (Berridge, 2010; Bojarski et al., 2008; Mattson, 2004). De nombreuses fonctions neuronales dépendent en effet de la signalisation calcique, des concentrations en ion Ca2+ dans les différents compartiments cellulaires et des flux de Ca2+ entre ces compartiments (Stutzmann, 2005). Des études ont par

ailleurs confirmé que l’élévation de la concentration cytosolique en Ca2+, due à

l’activité des canaux calciques de la membrane plasmique et de ceux libérant du Ca2+

depuis les stocks intracellulaires (RE, mitochondries…), augmente le catabolisme de l’APP et la production du peptide Aβ (Pierrot et al., 2004). Ceci induit la phosphorylation de l’APP et celle de la protéine Tau en plus d’exacerber la libération de l’Aβ (Pierrot et al., 2006). Cette hypothèse calcique postule ainsi que la dérégulation de la signalisation calcique contribue à la fois aux défauts de mémoire et d’apprentissage associés à la fois aux stades précoces de la MA et à la neurodégénérescence caractérisant les stades tardifs de la pathologie (Berridge, 2010) (Figure 14)

Les résultats obtenus in vivo dans les modèles animaux de la MA supportent également cette hypothèse. L’altération de la signalisation calcique se traduit majoritairement par une élévation des concentrations en Ca2+. La concentration

calcique dans ces mêmes neurones chez les souris triples transgéniques 3xTg-AD était en effet plus de deux fois supérieure à celle mesurée dans des neurones de souris contrôles non transgéniques (Lopez et al., 2008). De même, les concentrations calciques relevées au niveau des dendrites et des axones des neurones corticaux de souris transgéniques APP/PS1, proches des dépôts amyloïdes, était anormalement élevées (Kuchibhotla et al., 2008).

Il a récemment été montré dans ce même modèle murin que l’hyperactivité des astrocytes, notamment dans le CA1 (Corne d’Ammon) peut induire l’hyperactivité de

neurones glutamatergiques excitateurs voisins. Celle-ci médiée par les canaux calciques membranaires TRPA1, anormalement activés par les oligomères de peptides amyloïdes, va ainsi induire l’augmentation de la quantité de neurotransmetteurs excitateurs libérés et va contribuer au phénomène d’excitotoxicité (Bosson et al., 2017).

La dérégulation calcique dans la MA peut également être due à l’Aβ et aux oligomères solubles qu’il peut former (ADDL : Aβ-Derived Diffusible Ligands) (Catalano et al., 2006), ceux-ci pouvant interagir avec les canaux calciques à la membrane plasmique ou former des pores dans la membranes, perméables au Ca2+

(Butterfield and Lashuel, 2010; Reiss et al., 2018).

De nombreuses études ont ainsi démontré la neurotoxicité des oligomères de l’Aβ et que l’altération de la perméabilité de la membrane plasmique au Ca2+ par leur

interaction avec des récepteurs calciques à la membrane est considérée comme l’un de leurs principaux mécanismes de neurotoxicité. Plusieurs travaux ont indiqué que les oligomères d’Aβ interagissent effectivement avec les canaux calciques ionotropiques AMPAR et NMDAR et les récepteurs nicotiniques à l’acétylcholine (AChR) (Bi et al., 2002; Nagele et al., 2002; Reiss et al., 2018). Ceux-ci ayant un rôle important dans les fonctions cognitives dans l’hippocampe et dans le cortex, la perturbation par l’Aβ de la signalisation calcique médiée par ceux-ci pourrait donc être en partie responsable des symptômes de la MA (Gu et al., 2009).

Les AMPAR et NMDAR sont en effet nécessaires pour la plasticité synaptique en régulant la LTP (Potentialisation à Long Terme) et la LTD (Dépression à Long Terme) et plusieurs études ont démontré à la fois une altération de la LTP et une accentuation de la LTD dans la MA (Bi et al., 2002; Reiss et al., 2018). Cette altération, due à la perturbation de l’activité des NMDAR par l’Aβ, induit l’élévation des niveaux cytoplasmiques en Ca2+ et le dérèglement en aval des voies de

signalisation impliquées dans la fonction synaptique et la dégénérescence neuronale. Par exemple, la perturbation de l’activité des NMDAR provoque une activation anormale de la Calcineurine/Protéine Phosphatase 2B (PP2B), ce qui induit différents processus comme la phosphorylation de Tau par la GSK3β et l’internalisation des AMPAR aboutissant à la perte synaptique (Tu et al., 2014). De même, il a été montré que les oligomères d’Aβ induisent la surproduction des DRO et des DRON et la dysfonction mitochondriale via leur interaction avec les NMDAR. La

perturbation des NMDAR induite par l’Aβ amène indirectement au surplus calcique dans la mitochondrie par l’augmentation de la libération du Ca2+ du RE via le RIP3, et

à la dysfonction de celle-ci. Cela amène à la production excessive des DRO et des DRON par l’Oxyde Nitrique Synthase neuronale (nNOS) anormalement activée et induit une augmentation pathologique des S-nitrosylations, sulfonations et une accumulation de peroxydes dans la cellule ainsi qu’une activation des caspases, conduisant le neurone à l’apoptose (Ferreira et al., 2015; Tillement et al., 2011).

Les canaux à la membrane du RE sont également impliqués dans les dérégulations de la signalisation calcique dues à l’Aβ comme le montrent des études associant l’influx calcique dérégulé par l’Aβ à la membrane plasmique avec la libération anormale de Ca2+ des stocks intracellulaires, dans le RE. De par leur

importance dans l’homéostasie calcique, les canaux à la membrane de ce dernier représentent donc des acteurs majeurs dans la dérégulation calcique neuronale intervenant dans la MA. Il suffit en effet que leur activité soit altérée pour qu’une fuite de Ca2+ provenant des stocks dans le RE induise une élévation aberrante du Ca2+

intracellulaire. Différentes études se sont ainsi intéressées à l’influence du RIP3 et du

RyR sur la dérégulation calcique dans des modèles de la MA. Il a ainsi été montré que l’Aβ via l’interaction de ses formes oligomériques avec les récepteurs à la membrane plasmique induit la production de l’IP3 qui va ensuite provoquer la libération du

Ca2+contenu dans le RE par l’activation du RIP3 (Berridge, 2016; Jensen et al., 2013)

L’augmentation de l’expression du RyR dans les cerveaux de patients Alzheimer post-mortem, ainsi que dans des modèles murins de la MA (souris KI PS1M146V et souris TgCRND8 avec les mutations Suédoise et Indiana de l’APP) a

également été rapportée (Kelliher et al., 1999; Stutzmann et al., 2007; Supnet et al., 2006) (Tableau 2). De plus, les expériences effectuées sur le blocage du RyR par le Dantrolène montrent une réversion de l’élévation de la concentration calcique cytosolique induite par le Carbachol dans des cellules de neuroblastome humaines SH-SY5Y exprimant la PS1 mutée (PS1M146V et PS1L250S) (Popescu et al., 2004)

(Tableau 3). Il a aussi été montré que l’activité du RyR est exacerbée dans des neurones primaires provenant du modèle triple transgénique murin 3xTg-AD (Smith et al., 2005). Notre laboratoire a démontré l’impact bénéfique du blocage du RyR par le Dantrolène, se traduisant par une réduction du métabolisme de l’APP et de la production des peptides C99 et Aβ dans les neuroblastomes humains SH-SY5Y

surexprimant l’APPswe, ainsi que dans les neurones primaires extraits des souris Tg2576 qui surexpriment ce même APP muté (Oulès et al., 2012). Le groupe du Dr. Bezprozvanny a également postulé que l’importante libération de Ca2+ médiée par le RyR dans les souris 3xTg-AD serait intimement liée au défaut de fuite calcique par les PS mutées, et à l’augmentation de la concentration calcique dans la lumière du RE en résultant (Zhang et al., 2010). Le rôle du RyR dans la dérégulation de l’homéostasie calcique du RE dans la MA est supporté par des études montrant que la libération massive de Ca2+ via le RIP3, observée dans les neurones provenant des modèles 3xTg-

AD et PS1M146V, est accentuée par le phénomène de CICR lié au RyR (Stutzmann et al.,

Figure 14: Hypothèse calcique dans la MA (adaptée de Berridge, 2010)

L’hypothèse calcique postule la contribution de la dérégulation de l’homéostasie et de la signalisation calcique à la physiopathologie de la MA. Ces altérations des concentrations et des flux de Ca2+ induisent les troubles de mémoire associés aux

stades précoces, contribuent à exacerber le métabolisme amyloïdogène de l’APP et conduisent aux déficits cognitifs et à la neurodégénérescence.

2) Implication des présénilines dans la dérégulation