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Durant le conflit, toute la société a contribué à l’effort de guerre, mais tous n’ont pas été mobilisés de la même façon. Depuis les années 1980, les historiens ont tenté de percevoir si la Grande Guerre constituait une période de transition vers l’égalité des sexes

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Philippe Nivet, Les réfugiés français de la Grande Guerre (1914-1920): les « Boches du Nord », Paris, Économica, 2004, 598 pages.

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Olivier Faron, « Aux côtés, avec, pour les pupilles de la Nation », Guerres mondiales et conflits

contemporains, no. 205 (2002), p.16.

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ou bien une continuité, voire une dégradation, de la situation des femmes. Les modèles qui leur sont assignés sont aussi inculqués aux enfants qui jouent un rôle dans la guerre, mais différent selon sexe.

Luc Capdevila a étudié l’intégration de l’identité combattante chez les hommes53. Selon lui, en 1914, les hommes se sont conformés à leur identité masculine en acceptant de combattre, que ce soit par consentement ou par résignation. Toutefois, l’expérience des combats a changé cette attitude : la guerre n’est plus un lieu d’accomplissement, mais un lieu de déshumanisation qui révèle l’homme dans toute sa faiblesse54. Capdevila a également étudié la mobilisation des deux sexes et les transformations subies pendant la guerre dans un ouvrage où ont aussi collaboré trois autres auteurs, François Rourquet, Fabrice Virgili et Danièle Voldman55. Le livre oppose la souffrance des hommes dans la guerre et la volonté des femmes d’y participer. Les femmes font d’abord l’objet d’un type de mobilisation plus traditionnel, celui de la maternité et de la gardienne du foyer, mais l’État incita aussi les femmes à participer plus activement à l’économie en occupant une plus grande variété de postes. Elles apparaissent ainsi dans les zones de combats en tant qu’infirmières, bien que davantage présentes à l’arrière que sur la ligne de front. Ces nouvelles occupations féminines sont contestées par beaucoup de contemporains, mais les auteurs les voient tout de même comme un progrès vers une égalité plus grande56.

Françoise Thébaud va à l’encontre de cette interprétation et parle plutôt du « triomphe de la division sexuelle »57. La Grande Guerre, plutôt que de favoriser l’égalité des sexes, aurait, selon elle, contribué à consolider le modèle de ménagère et la division sexuelle. Ainsi, le mouvement féministe aurait été mis en plan avec l’union sacrée, pour que les femmes puissent vaquer aux devoirs issus de leur « nature profonde », soit les soins aux victimes et l’appui aux soldats. L’embauche des femmes aurait été limité et leur

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Luc Capdevila, « L'identité masculine et les fatigues de la guerre (1914-1945) », Vingtième Siècle. Revue

d'histoire, vol.3, no.175 (2002), p.98.

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Ibid.,p.99. 55

Luc Capdevila et all., Hommes et femmes dans la France en guerre (1914-1945), Paris, Payot, 2003, 355 pages.

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Ibid., p.213-221. 57

Françoise Thébaud, « La Grande Guerre : le triomphe de la division sexuelle », Histoire des femmes en

appropriation des rôles traditionnellement masculins aurait créé une crainte de déséquilibre social et maintes protestations58.

Dans un mémoire de maîtrise récent, Marie-Michèle Doucet est la première à examiner les modèles de héros et d’héroïnes proposés aux hommes et aux femmes, d’après des livres de littérature patriotique et des articles de journaux. Trois groupes d’héroïnes seraient ainsi proposés aux femmes. D’abord celui des mère et des veuves, faisant le sacrifice de donner fils et mari pour la patrie. Le deuil serait ainsi la principale caractéristique de l’héroïsme féminin. Ensuite, la religieuse était admirée pour son humble dévouement. Enfin, l’infirmière est appréciée pour ses qualités traditionnellement associées aux femmes, soit sa délicatesse et sa capacité de rassurer et consoler les malades, plutôt que ses capacités techniques. L’image maternelle est donc mise de l’avant. Mais cette représentation ressemble malgré tout à celle du soldat, puisqu’elle est près du front, court des risques de blessures et obtient les mêmes récompenses59. La majorité des femmes ne peuvent donc devenir héroïnes que de façon passive, par leur attitude à la mort d’un homme ayant lutté contre l’ennemi. Les hommes sont cependant limités à un seul modèle de héros, celui du soldat, bien qu’une hiérarchie existe dans cette forme d’héroïsme, ceux faisant le sacrifice de leur vie étant davantage estimés60.

Des modèles de comportement face à la guerre ont aussi été relevés chez les enfants. La division sexuelle des rôles chez les enfants a été analysée dans un article de Manon Pignot. Son étude est basée sur quelques journaux de jeunes filles habitant principalement dans les régions occupées et par un journal de garçon, celui d’Yves Congar qui permet la comparaison avec celui de sa sœur61. Annette Becker avait déjà écrit sur le sort particulier des femmes pendant l’occupation et Manon Pignot transpose le sujet plus particulièrement

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Françoise Thébaud, op.cit., p.33-42. 59

Marie-Michèle Doucet, Héros et héroïnes : stéréotypes et représentations genrés dans la littérature

patriotique de la Grande Guerre en France (1914-1919), Mémoire de M. A. (Histoire), Université de

Moncton, 2010, p.99-105 60

Ibid., p.117-118. 61

Manon Pignot, « Petites filles dans la Grande Guerre : Un problème de genre? » Vingtième Siècle. Revue

sur les enfants62. Elle explique qu’il existe des différences dans l’expérience des garçons et des filles dans la Grande Guerre qui doivent être mises en relation à la fois avec les divergences entre régions occupées et non occupées et avec les distinctions de classe sociale. D’abord, le discours inculque aux enfants la notion de sacrifice, mais son application est différente pour les garçons et les filles. Ces dernières vivent davantage de pression pour se priver de nourriture ou pour les résultats scolaires puisqu’elles n’auront pas à risquer leur vie dans des combats, contrairement aux garçons qui peuvent se décharger des petits sacrifices sous prétexte qu’ils pourront éventuellement participer activement à la guerre. Il y a donc des mécanismes de culpabilisation des fillettes pour accentuer leur effort de guerre. Les jeunes filles des milieux plus aisés sont aussi moins affectées par les restrictions imposées par la guerre ; pour elles, la vie continue normalement, particulièrement si elles sont loin du front. Dans les régions occupées, les filles font face à des interdictions de circuler, ce qui les rend prisonnières de la sphère domestique. À certains endroits, les filles sont aussi forcées à travailler aux champs, ce qui est vécu comme une humiliation63.

Ainsi, Capdevila insiste sur les transformations de la société alors que Thébaud et Doucet ont souligné la persistance du modèle de la mère au foyer, même à travers les images d’héroïnes. Pignot soutient pour sa part que le rôle différent selon le sexe qu’ils joueront plus tard influence l’importance de la participation au conflit chez les enfants. Les jeunes filles sont donc amenées à contribuer davantage.

En somme, si une controverse existe entre le CRID 14-18 et les historiens de Péronne, elle ne se répercute que peu dans cet exposé historiographique. En effet, le CRID 14-18 ne s’est que peu attardé aux civils et s’est plutôt penché sur les combattants. Les historiens de Péronne affichent aussi plus de nuances dans l’intégration de la « culture de guerre » chez les civils que chez les combattants. Pignot l’a clairement démontré par une multitude de témoignages d’enfants ; certains adhèrent à l’idéologie du sacrifice pour la

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Annette Becker, « Le sort des femmes pendant l’occupation allemande du Nord de la France », dans Evelyne Morin-Rotureau , dir. Combats de femmes 1914-1918 , Les femmes, pilier de l'effort de guerre, Paris, Autrement, 2004, p.151-171.

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patrie alors que d’autres n’offrent qu’une façade d’enthousiasme face à la guerre. Le terme utilisé par Antoine Prost, la « culture de l’arrière » ne retrouve son sens que si on l’adapte en fonction des situations particulières, comme il le fait pour les combattants. Femmes, enfants, réfugiés et occupés n’ont pas vécu les mêmes expériences, ils n’ont pas tous été soumis au même discours de mobilisation et ne l’ont pas tous intégrés de la même façon. L’historiographie récente tend tout de même à démontrer que tous se sont investis dans le conflit, à divers degrés. Selon les historiens de Péronne, tous les groupes semblent avoir participé à la défense du pays, même certaines victimes, telles que les populations occupées qui ont démontré des signes de résistance, n’étant pourtant soumis à aucune propagande française.