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Plusieurs enfants ayant assisté à l’arrivée de Wilson témoignent de l’esprit de fête après la victoire des Alliés. Cet événement peut se comparer aux célébrations du 11 novembre 1918 et aux cérémonies de retour des soldats, qui découlent de cette même atmosphère festive marquant la fin de la guerre. Manon Pignot a à ce propos établi que les fêtes entourant l’armistice constituaient une « expérience commune » entre les enfants, où l’on retrouve des thèmes récurrents comprenant sons de cloche, musique et foule en délire2. Bruno Cabanes a, quant à lui, étudié les cérémonies de retour des soldats dans leur communauté, perçues comme un rituel d’accueil leur permettant de réintégrer la société plus facilement3. Ces événements entrent dans un processus de transition vers la paix, en aidant la population à la démobilisation culturelle.

Dans les lettres adressées à Wilson, peu de mentions sont faites de l’armistice et du retour des soldats qui est encore bien peu amorcé. Mais on peut considérer l’arrivée de Wilson comme faisant partie de cet ensemble de fêtes marquant le passage vers la paix. Le président américain y vient en effet pour négocier le traité de paix et il foule pour la

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John Horne, « Introduction » dans Démobilisations culturelles après la Grande Guerre. 14-18, Aujourd’hui,

Today, Heute, Paris, Noesis, no. 5, mai 2002, p.45-53.

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Manon Pignot, Allons enfants de la patrie ? Filles et garçons dans la Grande Guerre : expériences

communes, construction du genre et invention des pères (France 1914-1920), Thèse de Ph.D. (Histoire),

EHESS, 2007, p. 390-400. 3

Bruno Cabanes, La victoire endeuillée : la sortie de guerre des soldats français, 1918-1920. op.cit., p.109- 160.

première fois le sol français, terrain des affrontements qui fut repris à l’ennemi. L’arrivée du dirigeant américain à Paris constitue un symbole de la victoire: « J’ai appris avec beaucoup de plaisir l’accueil que vous avez eu de la part des parisiens. Accueil qui j’en suis sur est très mérité. N’est-ce pas à vous que nous devons d’être vainqueur. Comment vous en remercier », écrit Jean Bucher dans une lettre de reconnaissance4.

Cette lettre rappelle que l’accueil du président constitue un événement très parisien, même s’il est médiatisé à travers la France. En effet, si Wilson est bien accueilli à son arrivée à Brest, la grande fête est à Paris. Très peu d’enfants, seulement deux, soulignent son arrêt à Brest, qui est près de leur ville5. Les autres enfants (43), mentionnent les célébrations de Paris, à caractère plus officiel. Mais même s’ils n’ont pu y assister, cette fête attire l’attention des enfants qui auraient voulu lui exprimer leur gratitude. Une trentaine d’enfants écrivent ainsi pour compenser leur absence à l’événement : « En ce jour mémorable de votre arrivée à Paris, je vous adresse, Monsieur le Président le cri d’admiration dont j’aurais voulu saluer votre passage. »6 La jeune Jeanne Poulet ne se laisse cependant pas décourager par la distance des célébrations et fêtera chez elle l’arrivée du président :

Ne pouvant aller à Paris le jour de votre arrivée, je viens vous prouver toute ma reconnaissance pour tous vos bienfaits envers notre chère Patrie. Samedi nous fêterons avec mes petites amies votre séjour en France et crierons bien fort : « Vive le Président Wilson, Vive les États-Unis » 7.

Un autre enfant manquant les célébrations, André Appel, ira, quant à lui, voir l’événement au cinéma : « Maman n’avait pas voulu me laisser aller dans la foule à cause de ma jambe malade ainsi j’irai vous voir au cinéma maman me la promis »8.

L’écriture d’une lettre, malgré toutes les attentions qu’elle nécessite, est une activité souvent jugée inférieure par les enfants en comparaison à leur présence devant Wilson lors de son triomphe à Paris. Les chances sont pourtant minces que le président remarque un

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Jean Bucher, série 5D, bobine 420, 18 décembre 1918. 5

Raymonde Chardin, série 5D, bobine 418, 14 décembre 1918 ; Louis Jérémy, série 5F, bobine 445, 13 décembre 1918.

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Hélène Gautier, série 5D, bobine 418, 14 décembre 1918. 7

Jeanne Poulet, série 5D, bobine 417, 12 décembre 1918. 8

enfant en particulier parmi la foule massée sur son passage. Mais, pour eux, ajouter leurs cris à ceux du public semble le gage le plus élevé de leur admiration et ils accordent une immense importance à leur présence, comme si la gratitude de la France se mesurait au nombre de spectateurs.

Onze enfants de la région parisienne indiquent leur présence lors de cette occasion, avec beaucoup d’enthousiasme. Mais la densité de la foule exaltée empêche souvent les petits d’apercevoir le dirigeant américain tant attendu, ce qui engendre des déceptions : «Je ne suis qu’une petite fille qui n’a pas encore 9 ans et qui malheureusement n’a pu vous voir aujourd’hui (à cause de la foule qu’il y avait devant moi et qui comme moi venait vous acclamer) » raconte Denise Bréner dans une lettre de bienvenue9. Les jeunes tiennent beaucoup à voir le président, mais aussi à être vu par lui, tel que ce jeune garçon, qui a dû aller deux fois à Paris pour avoir la chance de l’apercevoir :

Après avoir passé toute mon après-midi de samedi pour essayer de vous voir sans avoir pu y arriver. Lundi je me suis installé avec ma maman et ma sœur place de l’hôtel de ville, là je vous ai vu et bien vu. Mais vous, vous ne m’avez peut-être pas vu malgré que j’étais sur la chaussée et que je criais tant que je pouvais « Vive Wilson, Vive Wilson ».10

À l’inverse, Andrée Gasne est très touchée par le geste semble-t-il posé par Wilson à son égard lors de son passage :

I was to Paris last monday and I have had the great happiness to perceive you Avenue of Messine at your return from the Town hall. Will you allow me to return you the nice kiss you have address me in answer at our acclamation and who have make me glad and proud.11

Ce baiser de Wilson est une petite marque d’attention devenue énorme aux yeux de la fillette. Elle s’est sentie si personnellement concernée par le geste qu’elle n’hésite pas à croire que le président se souviendra d’elle parmi la foule et que c’est à elle qu’il a envoyé un baiser sans doute destiné à l’ensemble du public. Pour un autre jeune garçon, le moment du défilé est très attendu: « Je travaille beaucoup, je ne fais que celà et la récompense, est

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Denise Bréner, série 5D, bobine 419, 14 décembre 1918. 10

Yves Caron, série 5F, bobine 445, 19 décembre 1918. 11

d'aller vous acclamer »12. La présence à l’arrivée du président, plus qu’un geste de gratitude, constitue un moment d’exception après des années de guerre et de privations. Beaucoup d’enfants expriment la volonté de fêter, même s’ils n’ont pas tous l’occasion d’assister à cette célébration particulière. La victoire offre tout de même plusieurs opportunités de se réjouir et fêter la fin de la guerre, tel que le souligne un jeune garçon : « Depuis l’armistice il y a de bien belles fêtes, à Paris » mais « l’arrivée de Wilson [fut] la plus grandiose. »13 Cet extrait est tiré de l’une des trois compositions envoyées par un instituteur, où l’exercice consistait à décrire la cérémonie d’accueil du président à un ami. On perçoit dans ces travaux le caractère officiel de la fête, par les défilés de troupes et les coups de canons qui annoncent le cortège des dirigeants. Les costumes des dragons et de la garde républicaine, les drapeaux américains et alliés tapissant les fenêtres et la musique, qui créent une atmosphère festive, impressionnent les enfants. Dans cette rédaction, les jeunes offrent le portrait d’une journée remplie de divertissements : « Il y avait encore beaucoup de voitures automobiles qui suivaient et sur le toit de l’une d’elles il y avait un américain qui tournait des films de cinéma; c’était très drôle. En rentrant, nous avons rencontré des Sénégalais avec leur nouba, c’est leur musique. »14

La description de cette journée par les enfants laisse croire que la période entre l’armistice et la conférence de la Paix est un moment de soulagement et de joie chez les enfants. C’est en effet une période de transition vers une situation meilleure, soulignée par des fêtes ; mais le quotidien des enfants s’améliore encore peu et les lettres en offrent le témoignage.