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Listeria monocytogenes : Une bactérie pathogène

1. Historique, taxonomie et identification

1.1. Emergence d’un pathogène

La description en 1926 par Murray et al d’un nouvel agent pathogène, dénommé

Bacterium monocytogenes, suite à l’observation de plusieurs cas de mort soudaine de jeunes lapins de l’animalerie du département de pathologie de l’université de Cambridge, constitue la première description publiée de L. monocytogenes. En 1927, suite à des morts suspectes de gerbilles, Pirie et al isolent et décrivent également l’agent de la listériose. Du fait de son caractère pathogène et en l’honneur de Lord Lister, Pirie nomma ce nouvel agent infectieux

Listerella hepatolytica. La similarité des deux découvertes obligea Murray et Pirie à renommer l’agent sous le nom de Listerella monocytogenes. Le nom Listerella étant déjà utilisé pour un champignon et un protozoaire, il fut rejeté en 1939 par la commission international du « Commitee on Systematic Bacteriology ». Ce n’est qu’en 1940 que le nom définitif Listeria monocytogenes fut accordé et retenu par les « Approved Lists of Bacterial Names ».

1.2. Position taxonomique

Le genre Listeria appartient au groupe des bactéries présentant un pourcentage G+C inférieur à 50%. Dix espèces sont représentées dans le genre Listeria : L. monocytogenes,

L. innocua, L. welshimeri, L. seeligeri, L. ivanovii et L. grayi auxquelles s’ajoutent quatre espèces récemment identifiées : L. marthii (Graves et al., 2010), L. rocourtiae (Leclercq et al., 2010), L. fleischmannii (Bertsch et al., 2013) et L. weihenstephanensis (Halter et al., 2013). Dans le genre Listeria, L. grayi est l’espèce la plus éloignée phylogénétiquement (Collins et al., 1991, Ryser & Marth, 1999a) et son appartenance au genre Listeria est remise en question sur la base de caractères génotypiques (G+C% plus élevé, faible homologie de l’ADN) et phénotypiques (légère variation de la structure antigénique). Parmi ces 10 espèces, deux sont pathogènes, L. monocytogenes pour l’Homme et les animaux et L. ivanovii principalement chez les animaux. Depuis son isolement, la systématique de L. monocytogenes a profondément évolué. Cette espèce bactérienne est à l’heure actuelle classée dans le phylum

des Firmicutes, classe des Bacilli, ordre des Bacillales, famille des Listeriaceae et dans le genre des Listeria (De Vos et al., 2009).

1.3. Caractéristiques d’identification

L. monocytogenes se présente sous la forme de bacilles de 1 à 2 µm de longueur sur 0,5 µm de diamètre, aux extrémités arrondies, regroupés en palissades ou en courtes chainettes, motile à des températures avoisinant 20-25°C grâce à une ciliature péritriche mais immobiles ou faiblement motiles à 37°C. Dans une culture âgée, des filaments peuvent se former. La sporulation et la présence de capsule ne sont jamais observées. L. monocytogenes

se cultive facilement sur gélose nutritive en 24h à 37°C et donne des colonies de 1 à 2 mm de diamètre, translucides, à bords réguliers.

L. monocytogenes est une bactérie Gram-positive possédant une catalase mais pas d’oxydase. Elle est aéro-anaérobie facultative. Son identification biochimique repose sur les caractères suivants : hydrolyse de l'esculine, présence d'une alpha-mannosidase, fermentation du D-arabitol, du L-rhamnose et du méthyl- alpha D- glucopyranoside, mais pas de fermentation du D-xylose, du D-ribose, du glucose-1-phosphate et du D-tagatose. De plus,

L. monocytogenes ne produit pas d'indole, ni de sulfure d’hydrogène (H2S) et ne possède pas de nitrate réductase, d'uréase ni de gélatinase. Son isolement peut se faire par l’intermédiaire de milieux sélectifs tels que les milieux Polymyxin-Acriflavin-Lithium-Chloride-Ceftazidime-Aesculin-Mannitol agar (PALCAM) et Agar Listeria selon Ottaviani et Agosti (ALOA). Sur milieu PALCAM, l’hydrolyse de l’esculine par Listeria spp. se traduit par la formation d’un halo noir autour de colonies vert olive, ce qui permet de différencier Listeria spp de la majorité des autres microorganismes. Le milieu chromogénique ALOA permet d’identifier les bactéries du genre Listeria par la mise en évidence de l’activité béta-glucosidase (colonies de couleur bleu-turquoise) et de différencier L. monocytogenes des autres espèces de Listeria

spp. grâce à la formation d’un halo de précipitation des phospholipides clivés par une des phospholipases impliquées dans le processus infectieux.

Au sein de l’espèce L. monocytogenes, 12 antigènes somatiques (Ag O) et 4 antigènes flagellaires (Ag H) ont été identifiés, aboutissant à 13 sérotypes distincts. Quatre de ces sérotypes (1/2a, 1/2b, 1/2c et 4b) sont responsables de 95% des cas de listériose humaine. Le sérotype d’une souche peut rapidement être établi par PCR multiplex (Doumith et al., 2004a) par l’amplification simultanée de séquences spécifiques du génome (1/2a amplification de

lmo0737, 1/2c amplification de lmo0737 et lmo1118, 1/2b amplification de ORF2819 et 4b amplification de ORF2819 et ORF2110).

D’un point de vue physiologique, L. monocytogenes est une bactérie psychrotolérante, capable de se développer à des températures avoisinant 4°C, et dont l’optimum de croissance est situé entre 30 et 37°C. L. monocytogenes peut croître en présence de 10% de NaCl. Son pH optimal de croissance est proche de la neutralité mais L. monocytogenes est capable de se développer à des pH compris entre 4,6 et 9 (De Vos et al., 2009).

1.4. Caractéristiques génomiques

La première séquence complète du génome de L. monocytogenes, publiée par un consortium européen en 2001 (Glaser et al., 2001), a ouvert l’ère post génomique pour les chercheurs du domaine. Le génome de la souche séquencée (L. monocytogenes EGD-e) a une taille de 2 944 528 paires de bases et possède 2853 gènes codant des protéines d’au moins 50 résidus. L’analyse du génome révèle un répertoire étendu de gènes codant des protéines de surface, des protéines sécrétées, des transporteurs et des régulateurs transcriptionnels. Ces caractéristiques sont attendues pour des bactéries capables de coloniser des habitats très différents et d’y persister. Ainsi, 68 lipoprotéines putatives et 86 protéines sécrétées (5,4 % des gènes du génome de L. monocytogenes EGD-e) ont été identifiées in silico. Une partie d’entre elles assure des fonctions de dégradation comme les lipases ou chitinases, d’autres sont importantes pour la virulence de la souche. Trois cent trente et un gènes codant des protéines de transport sont présents dans le génome de L. monocytogenes EGD-e (11,6% des gènes du génome) dont 88 (26%) codent les éléments de systèmes de phosphotransférase dépendant du phosphoenolpyruvate (système PTS) pour le transport de glucides (Glaser et al., 2001). Ce large ensemble de protéines intervenant dans le transport des glucides suggère que

L. monocytogenes est capable d’utiliser des sources de carbone variées en fonction des ressources disponibles dans son environnement, notamment lors de son adaptation à l’environnement tellurique (Leisner et al., 2008, Piveteau et al., 2011) ou lors des étapes de la vie intracellulaire (Chico-Calero et al., 2002). Un nombre important de gènes (209) soit 7,3% des gènes du génome de L. monocytogenes EGD-e, codent des régulateurs transcriptionnels (Glaser et al., 2001). Cette proportion est la deuxième plus élevée parmi les génomes bactériens connus à ce jour. Quinze histidine kinases et 16 régulateurs transcriptionnels formant des systèmes à deux composants de détection/régulation ont également été identifiés.

En mars 2014, 61 génomes du genre Listeria sont disponibles (32 finis et 29 « draft ») (Markowitz et al., 2012). Les analyses de génomique comparative ont permis de définir la taille du pan-, « core- » et « accessory » génome de L. monocytogenes. Le pangénome a été estimé à 4052 gènes (Deng et al., 2010). 2330 à 2456 gènes font partie du « coregénome » soit environ 80% du génome de L. monocytogenes (Severino et al., 2007, Deng et al., 2010, Den Bakker et al., 2013). Cette répartition majoritaire des gènes dans le « coregénome » est révélatrice d’un degré de conservation important du génome dans l’espèce L. monocytogenes

(Den Bakker et al., 2013). Selon les souches, l’ « accessory » génome représente 12 à 23% du génome (Deng et al., 2010). Les gènes codant des systèmes PTS, des composants de la paroi cellulaire, des régulateurs transcriptionnels et des éléments impliqués dans la mobilité sont présents à la fois dans le « core- » et l’« accessory » génome (Den Bakker et al., 2013, Vivant

et al., 2013a) (Annexe). La répartition de ces gènes conforte leur importance dans l’adaptation de L. monocytogenes ainsi que le caractère ubiquitaire de la bactérie.

De plus, la comparaison du génome d’un représentant de l’espèce « pathogène »

L. monocytogenes et de l’espèce « non pathogène » L. innocua a mis en évidence 270 gènes spécifiques à l’espèce pathogène. Parmi ces gènes se retrouvent des protéines sécrétées, des perméases spécifiques aux β-glucosides, des régulateurs transcriptionnels (dont le régulateur transcriptionnel PrfA) et des enzymes impliquées dans la dégradation d’acides et de sels biliaires (Glaser et al., 2001). De plus, la vie intracellulaire de L. monocytogenes nécessite l’action d’une batterie de protéines. Les gènes codant ces protéines sont regroupés dans un îlot de pathogénécité, appelé LIPI-1, qui est absent chez L. innocua (Chakraborty et al., 2000). Ces gènes, uniques à L. monocytogenes, expliquent la capacité d’invasion et le caractère pathogène de L. monocytogenes.

Environ 30% des isolats de L. monocytogenes contiennent de l’ADN extrachromosomique (Lebrun et al., 1992, Kuenne et al., 2010). Parmi celles-ci, les souches isolées des environnements agroalimentaires ou de produits alimentaires sont majoritaires (Harvey & Gilmour, 2001). Ces plasmides confèrent une résistance à des métaux lourds (cadmium, cuivre, arsenic), à des antibiotiques (ampicilline, gentamicine, chloramphénicol, rifampicine…) et au stress oxydatif grâce à l’expression de pompes à efflux (Lebrun et al., 1992, Kuenne et al., 2010). De façon intéressante, un plasmide porteur de gènes appartenant à la famille des internalines, protéines associées à la virulence de la bactérie, a récemment été découvert chez des souches de L. monocytogenes isolées d’animaux atteints de listériose (Den

Tableau 1. Occurrence de L. monocytogenes dans le sol (Vivant et al., 2013) (Annexe). Références Nombre d’enrichissement Milieu d’enrichissement Condition d’incubation Pourcentage de sol détecté comme positif

(Welshimer & Donker-Voet, 1971) 2 BHI* 4°C, 3 mois et demi à 5 mois 37°C, 24h 92% des échantillons agricoles 86 % des échantillons non agricoles (Weis & Seeliger, 1975) 1 Lehnert + acriflavine (10µg/ml)

22°C, 7 jours 20% des sols et plantes prélevés (Macgowan et al., 1994) 2 LEB** LEB 30°C, 48h 30°C, 7 jours 0,7% (Garcia et al., 1996) 1 NC NC 8,3% (Dowe et al., 1997) 2 LEB Frazer broth 30°C, 48h 35°C, 24 à 48h 27% (Nightingale et al., 2004) 1 LEB 30°C 24% (Fox et al., 2009) 1 LEB 48h 19% (Sauders et al., 2012)

1 LEB 30°C, 24 à 48h 4,4% des sols, plantes et eaux prélevés (Locatelli et al., 2013a) 2 LEB LEB modifié 37°C, 48h 37°C, 24h

17% sont positifs dans au moins 1 des 3 procédures 2 Frazer broth Frazer broth 37°C, 48h 37°C, 48h 1 Frazer broth 4°C, 2 mois

(Strawn et al., 2013)

1 LEB + supplément d’enrichissement pour

Listeria

30°C, 24 à 48h 15% des sols, eaux et fèces prélevés * Brain heart infusion, ** Listeria enrichment broth, NC: non communiqué

Bakker et al., 2012). Ceci suggère que la présence de ce plasmide pourrait augmenter la virulence de la souche.

Les analyses de génomique comparative ont également été utilisées pour étudier la diversité génomique au sein de L. monocytogenes (Doumith et al., 2004b, Deng et al., 2010, Den Bakker et al., 2013). L. monocytogenes comprend au moins trois lignées génétiques distinctes: la lignée I (LI) est principalement identifiée dans les cas épidémiques de listériose humaine, les représentants de la lignée II (LII), fréquemment isolées des denrées alimentaires, de l’environnement agricole, de la nature sont aussi liés aux cas sporadiques de listériose humaine ; la lignée III (LIII) est marginalement associée à des listérioses animales (Orsi et al., 2011). Les LI et LII partagent 86 gènes absents ou hautement divergents de la LIII. Les fonctions putatives des protéines codées par ces gènes pourraient en partie expliquer la distribution des lignées. En effet, les protéines codées par les gènes spécifiques aux LI et LII sont principalement liées au métabolisme et au transport des carbohydrates, à la régulation, à l’adaptation dans le tractus gastro-intestinal (Deng et al., 2010) et aux protéines de surface (Hain et al., 2012). En revanche, chaque lignée est caractérisée par un « set » spécifique de protéines (Doumith et al., 2004b). Par exemple, la listériolysine S est une hémolysine uniquement retrouvée dans une partie de la LI ou encore, des souches de la LII portent des plasmides qui leur confèrent une résistance aux métaux lourds, aux bactériocines et autres composés retrouvés dans l’environnement (Orsi et al., 2011). Les variations génotypiques des lignées pourraient s’expliquer par la variété des niches écologiques de L.monocytogenes.