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Le sol : Un écosystème complexe et hétérogène

3. Ecologie de L. monocytogenes dans le sol

L’introduction de L. monocytogenes dans le sol entraine un remaniement important de l’expression des gènes de la bactérie (Piveteau et al., 2011). Le nombre de gènes dont le taux de transcrit varie significativement augmente graduellement avec le temps d’exposition de

L. monocytogenes EGD-e au sol. Ce nombre passe de 1237 gènes après 15 minutes de contact à 2230 gènes après 18h. Une grande partie de ces gènes présente un taux de transcrit significativement inférieur. L’analyse par ontologie indique qu’il s’agit de gènes codant des protéines impliquées dans les processus cellulaires, le métabolisme intermédiaire, les voies de signalisation et d’autres fonctions inconnues. Parmi les gènes dont le taux de transcrit est significativement supérieur, la majorité code des protéines nécessaires pour le métabolisme des acides aminés, le transport des protéines (22 des 29 systèmes PTS sont inclus dans cette catégorie) et des enzymes nécessaires pour le catabolisme de sources de carbone complexes telles que la chitine. La capacité à utiliser un large éventail de sources carbonées, notamment des sources complexes telles que la chitine (exosquelette des arthropodes et paroi cellulaire des champignons), est importante pour la survie des bactéries dans l’environnement tellurique où la disponibilité en nutriments peut être faible. La faculté de L. monocytogenes d’acquérir et d’utiliser ces sources énergétiques pourrait être critique pour sa vie saprophyte dans le sol.

Tableau 5. Dynamique des populations de L. monocytogenesaprèsinoculation de microcosmes de sol (Vivant et al., 2013) (Annexe).

Références Type de sol Condition

d’incubation

Inoculum (UFC/g)

Dynamique des populations à la fin de la période d’incubation

Sols non stérilisés

(Welshimer, 1960) Fertile

Argileux

30°C, 295 jours 1.108 Décroissance, détecté à la fin de l’étude

Approche du niveau zero au bout de 195 jours

(van Renterghem et al., 1991) Limono-sableux 15°C, 8 semaines 1.105 Détecté par intermittence 6 semaines après incubation

(Dowe et al., 1997) Limono-argileux, limono-sableux et sableux

25-30°C, 32 jours 1.102 1.106

Détecté à un même niveau quelque soit la taille de l’inoculum (Limono-argileux > limono-sableux > sableux)

(Sidorenko et al., 2006) Arable/champ Forêt

Urbain

20-22°C, 7 jours 1.102 Stable

Non détecté après 2 jours Croissance

(Moshtaghi et al., 2009) Limono-argileux 30°C, 35 jours 3.5.104 3.5.106

Stable

Décroissance, détecté à la fin de l’étude

(McLaughlin et al., 2011) Forêt 8°C, 14 jours

25-30°C, 14 jours

1.106 Détecté

Non détecté à la fin de l’incubation

(Piveteau et al., 2011) Limoneux 25°C, 1 an 1.105 Croissance

(Locatelli et al., 2013b) 100 sols* 20°C, 84 jours 1.106 Décroissance

Sols stérilisés

(Dowe et al., 1997) Limono-argileux, limono-sableux et sableux

25-30°C, 32 jours 1.102 1.106

Détecté à un même niveau quelque soit la taille de l’inoculum

(Moshtaghi et al., 2009) Limono-argileux 30°C, 35 jours 3.5.104 3.5.106

Stable

Décroissance, détecté à la fin de l’étude

(McLaughlin et al., 2011) Forêt 25°C, 14 jours 1.106 Stable

(Locatelli et al., 2013b) 9 sols* 20°C, 84 jours 1.106 Décroissance dans 6 sols, Croissance (1 à 3 log) dans 3 sols

Les populations de Listeria sont capables de survivre dans le sol de quelques semaines à plusieurs mois voire même sur une année entière (Tableau 5) (Welshimer, 1960, van Renterghem et al., 1991, Dowe et al., 1997, Moshtaghi et al., 2009, McLaughlin et al., 2011, Piveteau et al., 2011, Locatelli et al., 2013b). De telles disparités de survie peuvent s’expliquer par les différences de facteurs abiotiques et biotiques rencontrés dans les sols. Ces aspects seront successivement développés dans cette section.

3.1. Paramètres abiotiques affectant la survie de L. monocytogenes dans le sol

Le pH est déterminant pour le devenir des populations de L. monocytogenes dans le sol (Weis & Seeliger, 1975, McLaughlin et al., 2011, Locatelli et al., 2013b). Les sols acides (pH < 5,5) sont moins favorables à la survie de L. monocytogenes que les sols neutres ou basiques. L’humidité est également un paramètre critique (Welshimer, 1960, Weis & Seeliger, 1975). Des différences de survie ont été observées selon le taux d’humidité des sols. La survie de L. monocytogenes ne dépasse pas 70 jours dans des microcosmes de sol ayant subi une perte d’humidité (75 à 82% par rapport au taux mesurée au premier jour d’incubation), alors qu’en absence de perte d’eau, la survie est observée jusqu’à 295 jours (Welshimer, 1960). La température impacte également la persistance du pathogène. En général, la survie est favorisée aux températures basses. Expérimentalement, la survie dans des microcosmes de sol est prolongée à 25°C par rapport à une incubation à 30°C (McLaughlin et al., 2011). De même, alors que la population de L. monocytogenes survit 43 jours dans des microcosmes de sol incubés à 5°C, la survie est limitée à 21 jours à 15°C et 21°C (Xiuping et al., 2004).

La nature des sols est aussi un paramètre affectant la survie de L. monocytogenes. Les sols sableux sont un environnement moins favorable que les sols argileux et les sols limono-argileux (Dowe et al., 1997). Une analyse statistique de la survie de L. monocytogenes dans un panel de 100 microcosmes de sol a montré que dans 71% des sols, le pathogène survit au moins 84 jours alors que la détection de L. monocytogenes n’a pas excédé 14 jours dans le reste des microcosmes. L’analyse statistique des résultats par partition de variance a permis de mettre en évidence que la survie à long terme est liée à la texture du sol et notamment à la proportion d’argile (Locatelli et al., 2013b).

3.2. Impact de la faune et de la microflore du sol sur la survie de L. monocytogenes

L. monocytogenes est en constante relation avec la faune (micro, méso et macrofaune) et la microflore du sol. Des phénomènes de coopération, de compétition et de prédation peuvent avoir lieu.

3.2.1. Relation de L. monocytogenes avec la faune du sol

La microfaune peut être prédatrice ou vecteur de L. monocytogenes. Ainsi, le nématode Caenorhabditis elegans se nourrit et ingère les cellules de L. monocytogenes

(Caldwell et al., 2003). Le portage de L. monocytogenes dans les intestins du nématode favoriserait la dissémination du pathogène dans le sol. Par la suite, Anderson et al et Guha et al ont confirmé in vitro le rôle de vecteur ou « véhicule » de C. elegans pour

L. monocytogenes (Anderson et al., 2006, Guha et al., 2013). Néanmoins, une accumulation trop importante de L. monocytogenes dans les intestins du nématode lui serait fatale (Thomsen

et al., 2006). La dissémination de L. monocytogenes a également été observée par le nématode

Diploscraper sp. (Gibbs et al., 2005). Concernant les protozoaires, ils sont de gros consommateurs de bactéries. Selon Stout et al (1967), la masse de bactéries ingérées par an et par hectare par les protozoaires serait de 6 tonnes. Ils sont par conséquent en étroite relation avec L. monocytogenes. Plusieurs études montrent que les protozoaires du genre

Acanthameba, fréquemment isolés du sol, comme A. polyphaga, A. castellanii et A. lenticulata sont capables d’éliminer ou d’immobiliser les cellules de L. monocytogenes (Akya

et al., 2009, Akya et al., 2010, Doyscher et al., 2013). Cependant, L. monocytogenes pourrait échapper à A. castellanii, voire même se répliquer à l’intérieur du cytoplasme de l’hôte (Zhou

et al., 2007). De plus, cette étude montre un effet synergique entre l’amibe et le pathogène puisqu’en présence de l’amibe, les populations de L. monocytogenes se maintiennent.

L. monocytogenes est en mesure de survivre et de se multiplier à l’intérieur du protozoaire cilié Tetrahymena pyriformis (Ly & Muller, 1990, Gourabathini et al., 2008, Pushkareva & Ermolaeva, 2010). La dissémination de cellules viables de L. monocytogenes passe par la lyse de T. pyriformis (Ly & Muller, 1990) ou son enkystement (Pushkareva & Ermolaeva, 2010). A l’instar de cette étude, la survie intracellulaire de L. monocytogenes a aussi été observée chez le protozoaire Glaucoma sp. (Gourabathini et al., 2008).

Les articles témoignant d’interactions entre L. monocytogenes et la méso- et macrofaune sont plus rares. L’infection des larves et des adultes de Drosophila melanogaster

par L. monocytogenes est létale pour l’insecte (Mansfield et al., 2003). D’autres études font état de la présence de Listeria sp. dans les intestins de l’isopode Porcellio scaber (Lapanje et al., 2010) et du diptère Anastrepha ludens (Kuzina et al., 2001) ainsi que dans la flore du coléoptère Agelastica alni (Sezen et al., 2004). Ces études permettent de supposer qu’un nombre non négligeable d’organismes de la méso- et macrofaune pourrait être porteur et jouer le rôle de vecteur de L. monocytogenes.

3.2.2. Relation de L. monocytogenes avec la microflore du sol

La contribution de la microflore dans le devenir de L. monocytogenes dans le sol n’est pas clairement déterminée. Plusieurs études ont montré que L. monocytogenes est en mesure de croitre dans les microcosmes de sol stérilisés par autoclavage ou par irradiation (Dowe et al., 1997, Moshtaghi et al., 2009, McLaughlin et al., 2011) mais pas dans les microcosmes de sol non stérilisés, indiquant que la microflore tellurique influence la dynamique des populations de L. monocytogenes dans le sol.

Des phénomènes d’inhibition ont été observés entre des souches bactériennes et fongiques isolées du sol et L. monocytogenes. Des substances inhibitrices produites par

Bacillus subtilis BS15 et Enterococcus mundtii contrôlent voire inhibent la croissance de

L. monocytogenes (Alam et al., 2011, Bigwood et al., 2012). Les filtrats des mycelia de

Penicilliumcitrinum, P. janthinellum, P. paxilii, P. sclerotiorum, P. waksmanii,

Rhizopus stolonifer,Syncephalastrum racemosum etTrichoderma reesei ont aussi montré des activités inhibitrices envers la croissance de L. monocytogenes (Takahashi et al., 2008). Cependant, ces études ont été réalisées in vitro avec des concentrations élevées de molécules inhibitrices probablement très éloignées des concentrations effectivement présentes dans le sol. Il est alors difficile d’extrapoler in situ les conclusions de ces études en raison du caractère hétérogène du sol.

Aucune publication ne fait état, à l’heure actuelle, d’interactions entre

L. monocytogenes et des archées. Néanmoins, les archées étant présentes à hauteur d’environ 107/g de sol, il est envisageable que de telles interactions existent.

De la perception de l’environnement aux