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Partie III : Applications au risque routier

Chapitre 8. Les modèles agrégés de risque routier

8.1. Historique de la modélisation de l’insécurité routière

Le premier modèle de l’insécurité routière est reconnu être celui de Smeed (1949) ; il relie le nombre annuel de décès dans des accidents de la circulation routière au nombre de véhicules motorisés et à la population correspondante. Bien que la loi de Smeed ne s’ajuste plus aux données depuis les années 1970, l’on voit déjà apparaître ici de manière sous-jacente la variable de mesure de l’exposition au risque qu’est le volume de trafic - plus précisément le nombre de véhicule-kilomètres parcourus par une population sur un réseau routier.

Les premières mesures visant à réduire l’insécurité routière ont été prises en 1968 aux Etats-Unis, et Peltzmann (1975) suscite un débat important en mettant en cause leur efficacité. Il développe une théorie du comportement du conducteur, qui réaliserait un arbitrage entre un type de conduite, caractérisé par un indice de prise de risque, et une probabilité de décès :

cette adaptation au risque44 de la part des conducteurs expliquerait l’inefficacité des mesures

de sécurité routière.

Suite à ce débat, les gains constatés au début des années 1980 aux Etats-Unis et en Grande Bretagne ont amené à s’interroger sur leurs causes : pouvait-on attribuer ces gains à l’effet des politiques de sécurité routière, ou à des facteurs exogènes à la sécurité routière ?

Une approche systémique s’est imposée : elle consiste à appréhender le système sécurité routière dans sa globalité, en prenant en compte l’ensemble des déterminants du risque routier. Des modèles globaux sur données agrégées ont été développés, avec un double

objectif : évaluer l’effet des politiques de sécurité routière, et estimer simultanément l’impact

des autres déterminants.

Oppe et Koornstra (1990), en modélisant le nombre de tués comme le produit du taux de

tués45 et du volume de trafic, parviennent à expliquer ce renversement de tendance du nombre

de décès sur la route observé dans les années 1970 dans les pays développés.

La tendance du taux de tués est modélisée comme une fonction exponentielle décroissante du

temps. Ce modèle met en évidence l’importance du trafic en tant que facteur d’exposition au

risque, et son effet multiplicatif sur le nombre de tués. Le modèle proposé pour le taux de tués a ensuite été suivi d’une formulation plus générale, dans laquelle le nombre de tués est modélisé directement comme une fonction du trafic, et n’est plus contraint à être

proportionnel au trafic46

L’approche systémique a permis l’émergence d’un ensemble de variables associées à des

facteurs de risque, grâce à un grand nombre de modèles sur données agrégées, développés sur coupes transversales et sur séries temporelles à périodicité annuelle et mensuelle (Hakim et al. 1991). Outre le volume de trafic comme mesure de l’exposition au risque, ou encore le parc de véhicules, nous citerons l’activité économique mesurée par exemple par le revenu des ménages, le prix des carburants, la structure de la population mesurée par exemple par la part des jeunes conducteurs, et des mesures réglementaires telles que les limitations de vitesse, l’instauration du contrôle technique ou de l’âge d’accès à la boisson alcoolisée.

Wirkowsky et Heckard (1977) ont proposé une estimation des effets du choc pétrolier et de la limitation de vitesse de 1974 sur le taux de tués au Texas, et Wagenaar et Maybe (1986) ont cherché à estimer la relation entre âge d’accès à la boisson alcoolisée et l’insécurité, toujours

Chapitre 8. Les modèles agrégés de risque routier

au Texas. Les deux exemples suivants montrent que des démarches de modélisation différentes peuvent produire les mêmes évaluations. En Grande Bretagne, Scott (1986) estime l’effet sur l’accidentologie du choc pétrolier de 1974 et de la limitation de vitesse en rase campagne, tout en prenant en compte le trafic, le prix des carburants, l’influence du climat par le biais de la température et de la hauteur de pluie, et le nombre de jours ouvrables. Toujours en Grande Bretagne, Harvey et Durbin (1986) proposent une estimation de l’impact de la loi sur le port de la ceinture de sécurité, tout en intégrant l’effet du trafic et du prix des

carburants ; le caractère novateur de leur approche structurelle, fondée sur l’estimation de la

tendance et de la saisonnalité en tant que composantes aléatoires a suscité un débat important. Scott, en utilisant des modèles autorégressifs sur les mêmes données, a confirmé les estimations proposées par Harvey et Durbin pour l’impact de la loi sur le port de la ceinture de sécurité.

La modélisation structurelle proposée par Harvey, que nous développons plus avant en 8.3, a été utilisée par la suite de manière comparative sur les données agrégées de plusieurs pays européens. L’impact des principales mesures de sécurité routière sur les niveaux et les pentes des tendances des nombres annuels de tués a été identifié, avec le volume de trafic comme seul déterminant du nombre de tués (Lassarre, 1996 et 2001). Plus récemment, la modélisation structurelle a été développée dans un cadre multivarié : modéliser simultanément des données d’accidents et de mobilité permet d’estimer le risque latent correspondant à ces données (Bijleveld et al., 2008).

Comme alternative à la modélisation structurelle, la démarche la plus répandue consiste à

utiliser des modèles autorégressifs ou des modèles s’y ramenant. On modélise les nombres mensuels d’accidents ou de tués en éliminant la tendance et la saisonnalité, mais on intègre un petit nombre de variables mesurant : le trafic, l’activité économique et le prix des carburants, les conditions climatiques et la configuration mensuelle du calendrier, ainsi que des variables d’intervention qui permettent de d’évaluer les effets de mesures de sécurité routière et d’événements exceptionnels (COST 329, 2004).

46 De manière similaire, la modélisation directe du taux d’accidents (nombre d’accidents corporels par véhicule-kilomètre) est relayée par une modélisation du nombre d’accidents par une fonction non linéaire du trafic. Cette

La forme la plus avancée de modèle autorégressif explicatif du risque routier est due à Gaudry

(1984) : celui-ci propose une représentation structurée du système de sécurité routière avec

un modèle sur données mensuelles agrégées, qui est explicatif, à trois niveaux et à forme

fonctionnelle plus générale que celle des modèles précédents.

Gaudry formule le nombre de victimes (tués, blessés graves et blessés légers) comme le produit du kilométrage, du taux d’accident (nombre d’accidents par véhicule-kilomètre) et du taux de gravité (nombre de tués, blessés graves et blessés légers par accident). En utilisant un très grand nombre de variables explicatives, qui sont les mêmes à chacun des 3 niveaux, il parvient à prendre en compte les effets directs et indirects - via le kilométrage - des déterminants du risque d’accident et de sa gravité. Enfin, en utilisant une transformation de Box-Cox sur les variables, il autorise des effets non strictement multiplicatifs.

Cette démarche de modélisation, baptisée DRAG (pour demande routière, accident, gravité) a été reprise par d’autres chercheurs, en Europe et aux Etats-Unis, qui l’ont mise en œuvre tout en l’adaptant aux spécificités de leur pays (Gaudry, Lassarre (Eds.), 2000). Sur données françaises, par exemple, un niveau supplémentaire représentant le comportement à risque mesuré par la vitesse pratiquée sur le réseau interurbain a pu être constitué (Jaeger, Lassarre, 1999).

Pour être complète, mentionnons enfin la modélisation des données journalières d’insécurité routière, fort peu répandue. De fait, la grande variabilité des statistiques d’accidents et de victimes rend très délicate l’analyse des évolutions de court terme. Les modèles sur données

journalières répondent à un double objectif : d’une part la connaissance des effets transitoires,

dus à une météorologie atypique ou à une configuration exceptionnelle du calendrier, et

d’autre part l’estimation d’une tendance journalière corrigée de ces effets locaux, sur laquelle

on puisse détecter des inflexions. Citons le modèle de désaisonnalisation de données journalières d’insécurité routière développé sur données françaises (Bergel et al, 1995) qui est discuté dans le chapitre 9. La tendance mensuelle reste cependant la référence pour le suivi conjoncturel : très répandue dans de nombreux autres secteurs, l’analyse des statistiques mensuelles désaisonnalisées commence maintenant à être exploitée par les décideurs publics de la sécurité routière (La sécurité routière en France : bilan annuel de l’année, ONISR, 2006).

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