• Aucun résultat trouvé

Chapitre IV : Le glissement des statuts des ingénieurs de l’entre-deux-guerres à la fin

3. Les bureaux d’études techniques (BET)

3.2. Hennebique : la naissance du bureau d’études ?

On ne sait à l’heure actuelle pas grand-chose des bureaux d’études techniques du XIXe siècle. Liés à l’histoire de la construction métallique notamment, on ne connaît pas véritablement leur fonctionnement. Intégrés aux entreprises de construction telles qu’Eiffel par exemple, leur histoire et celle des ingénieurs qui les composent font pourtant partie intégrante de la vie de ces entreprises.

594 C’est en effet l’un des principes des sociétés anonymes (SA) ou des sociétés à responsabilités limitées

(SARL), qui sont les deux formes juridiques les plus prisées par les bureaux d’ingénieurs-conseils, par rapport aux sociétés civiles professionnelles, forme qui n’intéresse que les professions réglementées (contrairement à la profession d’ingénieur-conseil) et dont la responsabilité est bien plus importante. (Cf. Me Adam, avocat conseil des ingénieurs conseils en génie civil, in « « Concentration – Fusion – Régionalisation ». Une journée d’étude des ingénieurs-conseils de France. Lyon, 26 octobre 1968 », Le Moniteur des travaux publics et du bâtiment, n° 44, 2 novembre 1968, 65e année, p. 34).

595 Cf. NOGUE Nicolas, René Sarger…, op. cit.

596 Cf. les conseils de M. Nancy, ingénieur général (…) chef du service des bureaux d’étude et de l’ingénierie au

ministère de l’Industrie, in « « Concentration – Fusion – Régionalisation »… art. cité, p. 34.

597

Les premiers bureaux d’études techniques tels que nous les entendons -c’est-à-dire non intégrés aux entreprises- sont en réalité concomitants de l’histoire du béton armé, et notamment de sa diffusion. C’est en effet dans ce cadre que les fonctions de prescription sortent de l’entreprise pour intégrer de nouvelles structures indépendantes, intermédiaires efficaces entre l’architecte et l’entreprise, parfois en relation directe avec le maître d’ouvrage.

Fondée dès 1892, la firme de François Hennebique -jouant sur l’ambivalence entre entreprise et bureau d’études598- fait figure de précurseur. La bataille qui s’engage autour du « nouveau » matériau voit après lui fleurir des bureaux d’études techniques indépendants, comme celui de Considère-Pelnard & Cie, créé dès l’entrée en vigueur de la circulaire ministérielle de 1906599 qui « règlement[e] en France l'usage du béton armé dans les travaux publics »600, ou la "Société pour la construction en ciment armé601, bureau d’études d’Edmond Coignet, fils de l’inventeur du béton aggloméré602. Le bureau d’études techniques tel qu’il se définit alors au début du siècle est en réalité une arme face à la concurrence que se livrent ces pionniers du béton armé, d’autant plus que celui-ci tombe rapidement dans le domaine public. Considéré comme l’inventeur du système du bureau d’études techniques indépendant603, François Hennebique imagine un réseau pyramidal dont le bureau d’études central, basé à Paris depuis 1898604, ne traite que des études techniques des projets qu’on lui soumet. Si parfois même la maison-mère n’a qu’un rôle de supervision, elle ne se charge absolument pas de l’exécution, confiée à un ensemble d’entrepreneurs-concessionnaires installés localement, travaillant sous l’égide d’un ingénieur-agent de la firme qui rabat, surveille et calcule605 les travaux, et dont la filiale rayonne sur l’ensemble d’une région606.

598

DELHUMEAU Gwenaël, L'invention du béton armé, Hennebique 1890-1914, Paris, IFA/Norma, 1999, p. 103.

599 Id., p. 291. 600 Id., p. 23. 601

Id., p. 271.

602 Pour une histoire de François Coignet et de l’invention du béton aggloméré, cf. DELHUMEAU Gwenaël,

« Le béton Coignet, territoires et réseaux techniques », EAV, n° 12, 2006-2007, pp. 32-43 et BARIDON Laurent, « Béton et utopie avant 1914 : architecture et « moule social » », RACAR, vol. XXXI, n° 1-2, 2007, pp. 7-11.

603

SIMONNET Cyrille, Le béton, histoire d'un matériau, Marseille, éd. Parenthèses, 2005, p. 66.

604 Ibid. 605 Id., p. 70.

606 Le fonds d’archives de l’agence centrale de François Hennebique est actuellement, et depuis février 2005, en

cours de repérage à l’Institut français d’architecture. Cf. FOULONNEAU Emmanuelle, FRAPIER Christel, JOULIE-MARES Ikon, VAILLANT Simon, « Les archives du bureau d'études de béton armé Hennebique : aperçu d'un fonds, 1892-1931 », Colonnes, n° 24, décembre 2007, pp. 35-42). Rassemblant quelques 50 000 dossiers traités dans les agences avant d’être envoyés systématiquement à l’agence centrale, le processus est invariablement le même, décrit in DELHUMEAU Gwenaël, L'invention du béton armé,…, op. cit., pp. 66-67.

Le bureau d’études techniques indépendant définit alors une nouvelle relation aux autres acteurs de la construction. Intermédiaire entre l’architecte qui conçoit et l’entrepreneur qui réalise, il ne fait que prescrire les solutions techniques dont il est l’auteur. Assurant un rôle d’assistance technique, le bureau d’études techniques est dans ce cas le garant de la bonne exécution de son procédé, en vendant expertise et conseil607 sous forme d’études, plans et devis608.

Sans atteindre l’importance de cette organisation, certains bureaux d’études d’ingénieurs-conseils reprennent, après la seconde guerre mondiale, l’exemple du bureau d’études tel qui fut imaginé par Hennebique. On retrouve ainsi l’exploitation de procédés constructifs chez Stéphane du Château, qui accorde, dès l’invention de son système Unibat609, diverses licences d’exploitation. Il en est de même chez l’ingénieur suédois David Jawerth, dont le système est exploité et appliqué en France par l’entremise de l’architecte Michel Fourtané. Moins méthodiques et systématiques que l’organisation Hennebique, ces deux ingénieurs ont pris conscience de l’importance commerciale de leurs inventions et imaginé des dispositifs technico-commerciaux contrôlant et garantissant la diffusion de leurs systèmes. Ainsi, la constitution d’un réseau à caractère commercial comme la Société Unibat international pour Stéphane du Château et Interstatik pour David Jawerth est, a priori, la meilleure garantie de la protection industrielle de leurs procédés.

Outline

Documents relatifs