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Chapitre VI : Fédérer les hommes

2. André Bloc, le fédérateur

Figure essentielle du milieu de l’architecture, André Bloc (1896-1966) est un personnage atypique. Ingénieur diplômé de l’Ecole centrale des arts et manufactures en 1920903, il exerce quelques années comme ingénieur d’entreprise dans des usines de moteurs et de turbines904. S’intéressant très tôt à l’édition, il fonde ses propres revues : la Revue

générale du caoutchouc (1924), L'Architecture d'aujourd'hui (1930) puis Art d'aujourd'hui

(1949), après avoir été secrétaire général des revues Science et industrie (1922) et la Revue de

l'ingénieur905 (1923). Sa sensibilité artistique le porte pourtant vers la pratique de différentes formes d’art et en particulier la peinture et la sculpture, puis l’architecture et le design906. Cette activité protéiforme le pousse à militer activement dès les années 1930 pour une synthèse et l’intégration des arts, qui se concrétise notamment par la fondation entre 1950 et 1952, du Groupe Espace.

Les réseaux qui se constituent autour de la figure d’André Bloc sont très vastes. La multiplicité de ses centres d’intérêt ainsi que le rayonnement international de L’Architecture

d’aujourd’hui -et ses différentes filiales907- qu’il dirige de 1930 à 1966, en font un personnage central, autour duquel gravitent plusieurs générations d’hommes et différentes catégories d’acteurs. Plasticiens, peintres, sculpteurs, architectes et ingénieurs se côtoient et se réunissent, au gré des différentes actions d’André Bloc.

2.1. Le réseau de L’Architecture d’aujourd’hui

Le premier réseau d’André Bloc, et de loin le plus important, est celui de sa revue

L’Architecture d’aujourd’hui. Fondée en 1930 avec Maurice-Eugène Cahen -qui décède cette

même année-, la revue se révèle être une véritable plaque tournante. Ouverte à toutes les sensibilités architecturales -architectes jeunes et moins jeunes, modernes ou classiques, à l’image de son comité de rédaction908-, elle sera le centre d’amitiés de nombreux acteurs de la

903 « Liste générale alphabétique des anciens élèves de l’Ecole centrale des arts et manufactures, promotions

1900 à 1975 », Annuaire des anciens élèves de l’Ecole Centrale, 1900-1975, 1976.

904

http://fr.wikipedia.org/ (dernière consultation le 28 septembre 2009).

905 Id.

906 Cf. FRAC Centre, André Bloc, guide de l’exposition, 15 septembre-15 décembre 2000, Orléans, Frac Centre,

2000, s.p.

907

Et notamment Chantiers, organe technique de l’architecture d’aujourd’hui (1933-34) et Art d’aujourd’hui (1949-1954) qui devient Aujourd’hui. Art et architecture (à partir de 1955). LENIAUD Jean-Michel et BOUVIER Béatrice, Les périodiques d’architecture, XVIIIe-XXe siècle. Recherche d’une méthode critique d’analyse, Paris, Ecole des Chartes, 2001, pp. 233, 236, 252.

908

construction, révélé par les nombreux signataires de l’hommage que lui rend la revue909, au moment de son décès. En 1932 déjà, l'Architecture d’Aujourd'hui créait les Réunions internationales d’architectes (RIA). Ancêtre de l’Union internationale des architectes (UIA) fondée en 1948, elle s’en distingue par son ouverture à l’ensemble des professionnels de l’architecture, qu’ils soient artistes ou techniciens910. Base de « nouvelles relations internationales entre professionnels »911, l’UIA est en effet avant tout une plate-forme de contacts entre architectes de différentes nationalités912. Cette tolérance répond à la largeur d’esprit et au souci de rassembler les hommes qui ont toujours animé André Bloc.

L'Architecture d'aujourd'hui a pu être également pour ses membres un véritable

initiateur. Ainsi, pour l’organisation de l’exposition « Architecture et Ingénieur » par le centre Art et recherches de l’Union centrale des Arts décoratifs en novembre 1966, c’est Renée Diamant-Berger, secrétaire de la revue, qui fournit aux organisateurs les noms des architectes et ingénieurs913 qui seront sans doute exposés914, mais également interviewés915 à cette occasion916. Ainsi, l’exposition met en avant les principaux collaborateurs de la revue qui profitent, de leur côté du réseau professionnel de celle-ci. En s’adressant à la principale revue de l’époque, les organisateurs de l’exposition bénéficient d’un réseau important d’acteurs de la profession, qu’ils soient architectes ou ingénieurs comme Bernard Zehrfuss, Guillaume Gillet, René Sarger, Nicolas Esquillan, Stéphane du Château, Serge Ketoff, Henri Vicariot, Jean Prouvé, etc.

909 « André Bloc (1896-1966) », L’Architecture d’aujourd’hui, n° 128, octobre-novembre 1966, sp.

910 Cf. l’article 3 des Réunions internationales d’architectes, cité in NICOLAS Aymone, L’Union internationale des architectes et les concours internationaux d’architecture et d’urbanisme (1949-1969). Desseins d’architecture et de politique, thèse de doctorat sous la direction de Gérard Monnier, Université Paris I, 2002,

vol. I, note 96 p. 58.

911 NICOLAS Aymone, op. cit., p. 14.

912 Cf. l’article 1er de l’UIA du 15 mai 1947, cité in NICOLAS Aymone, op. cit., p. 59.

913 Il s’agit de Serge Ketoff, Henri Vicariot, Bernard Zehrfuss, Guillaume Gillet, René Sarger, Nicolas

Untersteller, Robert Le Ricolais, Zygmunt Stanislaw Makowski, Vladimir Bodiansky, Édouard Albert, Michel Folliasson, Daniel Badani, Stéphane du Château, Pierre Parat, Nicolas Esquillan, Michel Josserand, Guy Lagneau, Jean-Pierre Faugeron. Lettre de Michel David (adjoint de R. Salanon) à Mme Diamant-Berger (Architecture d'Aujourd'hui) du 29 janvier 1966, 2 pp. dactyl., p. 2 (UCAD, cote D1/406)

914 L'exposition "Architecture et ingénieur" n'avait pas de catalogue propre mais celui de l'exposition "XXe

Century engineering" du MOMA, 1964 (UCAD Cote BB 28/3). Information fournie par Guillemette Delaporte, le 12 juillet 2005.

915 Nous n’avons pu trouver traces de ces enregistrements à l’heure actuelle.

916 Cf. Lettre de Michel David (adjoint de René Salanon, conservateur en chef du Centre Art et Recherches) à

Mme Diamant-Berger du 29 janvier 1966, 2 pp. dactyl., et plus généralement l’ensemble de la cote UCAD- D1/406 consacrée à l’exposition « Architecture et Ingénieur ».

La revue est à la fois une vitrine pour l’architecture et une tribune pour différents auteurs et notamment son comité de rédaction. Celui-ci est notamment chargé d’aider les rapporteurs sur des questions soulevées par l’actualité qui seront abordées dans différents numéros de la revue. Ainsi les thèmes fixés par L’Architecture d’aujourd’hui pour l’année 1955917 portent sur « l’architecte tel qu’il est formé par l’école et défini par les lois », « l’architecte tel qu’il est obligé d’exercer son métier », l’« absence d’urbanisme », l’« absence de doctrine », « les problèmes financiers », « le problème de Paris » et « la mission et la responsabilité de l’architecte »918. Les membres du comité sont également chargés de relire et de compléter le cas échéant par des suggestions, critiques ou exemples précis les textes qui leurs sont soumis par leurs camarades919. Ces travaux communs sont alors signés par le Comité de rédaction de L’Architecture d’aujourd’hui920. Des architectes manifestant un intérêt certain pour la technique et différents ingénieurs comme Serge Ketoff, Robert Le Ricolais, Jean Prouvé et Henri Trezzini en font par ailleurs partie (fig. 24). Si ces trois derniers ne semblent pas profiter de leur présence dans le comité de rédaction de la revue pour faire passer leurs idées ou montrer leurs réalisations921, ce n’est en revanche pas le cas de Serge Ketoff qui se « spécialise » dans l’écriture d’articles sur les relations des ingénieurs à l’architecte922 ou à l’architecture923. Il profite également de cette position pour publier quelques-unes de ses réalisations. La revue constitue ainsi, dans le cas de Serge Ketoff, l’une des sources les plus complètes et sans doute l’une des pistes les plus intéressantes pour connaître les réalisations et opinions de cet ingénieur.

Des personnalités très variées gravitent autour d’André Bloc et de sa revue. Il faut dire que les écrits et diverses prises de position de l’ancien ingénieur montrent un homme qui milite pour un rapprochement des diverses professions qui concourent à l’acte de bâtir et

917 On trouve également soulevées les questions portant sur les « doctrines successives du M.R.L. » et « la

méconnaissance du problème social » pour le deuxième semestre 1954. (Lettre de Renée Diamant-Berger, secrétaire de rédaction, le 14 juin 1954, 2 pp. dactyl., p. 1 (Archives privées Henri Trezzini)).

918

Cf. « Malaise de l’architecture en France », 1 p. dactyl. (Archives privées Henri Trezzini).

919 Lettre de Renée Diamant-Berger, secrétaire de rédaction, le 24 juin 1954, réf. RDB/FR, 1 p. dactyl. (Archives

privées Henri Trezzini).

920 Lettre de Renée Diamant-Berger, secrétaire de rédaction, le 14 juin 1954, 2 pp. dactyl., p. 2 (Archives privées

Henri Trezzini).

921 Si nous n’avons pas relevé d’articles particuliers émanant d’Henri Trezzini, ces archives nous révèlent en

revanche que celui-ci a été payé en honoraires pour la rédaction de deux articles pour L’Architecture

d’aujourd’hui parus -entre janvier et octobre 1947- dans son édition espagnole La arquitectura de hoy, dès la

première année de sa parution.

922 Cf. en particulier KETOFF Serge, « Architectes. Ingénieurs », L’Architecture d’aujourd’hui, n° 128, octobre-

novembre 1966, p. 74.

923 Cf. par exemple KETOFF Serge, « Les ingénieurs et l’architecture », L’Architecture d’aujourd’hui, n° 113-

œuvre pour une collaboration intelligente de l’architecte et de l’artiste, de l’architecte et de l’ingénieur. Dès 1957 il consacre, avec Claude Parent et L’Architecture d’aujourd’hui une exposition à l’intégration des arts -et principalement de la sculpture et de la peinture- dans l’architecture, rapprochant de ce fait des disciplines qu’il pratique depuis l’Occupation924. Celui pour qui « il n’est malheureusement pas possible de faire appel aux artistes dans n’importe quelle circonstance et dans n’importe quelles conditions »925, fonde par ailleurs son deuxième réseau autour du Groupe Espace. Prolongement de son militantisme pour l’intégration des arts, celui-ci est intrinsèquement lié au réseau de L’Architecture

d’aujourd’hui, en regroupant un grand nombre d’amis et collaborateurs qui gravitent autour

de la revue. Simple rassemblement d’une poignée d’artistes au départ, le groupe réunit rapidement 150 membres926. Fondé avec le peintre Félix Del Marle, le groupe Espace s’inscrit dans la continuité de deux associations, « L'Union pour l'Art » et « l’Association pour une synthèse des arts plastiques », fondées autour de la seconde guerre mondiale.

2.2. L'Union pour l'Art

Fondée sur une idée d’André Bloc le 17 juin 1936, et présidée par Auguste Perret, « L'Union pour l'Art »927 entend regrouper architectes, peintres, sculpteurs et décorateurs. Rassemblant des personnalités aussi diverses que les architectes Tony Garnier, Auguste Perret, Le Corbusier et Pierre Jeanneret, ou Pol Abraham, Marcel Lods et Eugène Beaudouin, les peintres Pierre Bonnard, Georges Braque, Pablo Picasso, Henri Matisse, Raoul Dufy, Fernand Léger, les sculpteurs Aristide Maillol, Henri Laurens, Ossip Zadkine et Jacques Lipchitz, elle comprend un certain nombre de membres de l’UAM comme l’affichiste Cassandre, Pierre Chareau, André Hermant, Francis Jourdain, Robert Mallet-Stevens, ou des membres du comité de rédaction de L’Architecture d’aujourd’hui tels Roger Hummel, Pierre Vago, Roger-Henri Expert, Louis Faure-Dujarric, Jacques Debat-Ponsan, etc. Elle entend intégrer l’art à l’architecture et favoriser la collaboration des grands noms de l’art moderne. Les questions que cette association soulève et notamment celles de la collaboration dès les premiers instants de la conception et la supervision générale de l’architecte responsable de l’ensemble du projet, anticipent sur les débats portant sur les collaborations artistiques après

924 Cf. FRAC Centre, André Bloc,…, op. cit., s.p.

925 BLOC André, « Intégration des arts dans l’architecture », introduction du Cat. Architecture contemporaine. Intégration des arts, 23 mars-13 avril 1957, musée des Beaux-arts de Rouen, s.l., s. éd., 1957, s.p.

926 Cat. Groupe Espace. Architecture, forme, couleur, Biot, 10 juillet-10 septembre 1954, Paris, s. éd., 1954, 47

pp.

927 Ces informations sur cette association sont issues de l’article « Union pour l’art », L’Architecture d’Aujourd’hui, n° 6, 7e année, juin 1936, pp. 79-83.

la seconde guerre mondiale. Rapidement avorté, le principe d’un rapprochement entre différents artistes est repris par "l'Association pour une synthèse des arts plastiques", fondée en 1949 par André Bloc et Le Corbusier928. Sans plus de succès que la précédente, elle précède de peu la création du Groupe Espace.

2.3. Le groupe Espace

La différence essentielle du groupe Espace avec les autres associations d’artistes ou d’architectes réside dans une ouverture plus importante aux autres disciplines. Ne se limitant plus aux artistes (peintres, sculpteurs, décorateurs, affichistes, etc.), elle s’ouvre non seulement plus largement aux ingénieurs, et plus généralement à toutes professions ou personnalités désireuses de se rapprocher du monde de l’art, afin de favoriser les collaborations avec les artistes. Cette volonté affichée corrobore l’ouverture plus importante des associations professionnelles après la seconde guerre mondiale. Avant cette période, celles-ci ne posaient pas l’ouverture aux ingénieurs et autres professions intéressées par la construction comme postulat. Il faut véritablement attendre les lendemains de la seconde guerre mondiale pour cela. On peut par ailleurs se demander si l’ouverture générale des associations d’artistes et architectes vers les ingénieurs surtout après la seconde guerre mondiale, n’est pas la preuve d’une plus grande indépendance des ingénieurs, et si ce n’est pas l’un des signes de l’explosion de l’activité des ingénieurs-conseils. On y retrouve par ailleurs un grand nombre de ceux que nous avons croisés dans cette étude, comme Bernard Laffaille -trésorier du groupe Espace-, Robert Le Ricolais -membre du comité-, ainsi que Vladimir Bodiansky, Pier-Luigi Nervi, Jean Prouvé, et plus étonnamment929, Thierri Jeanbloch, en tant que membres actifs. Il est bien évidemment très logique que les ingénieurs- conseils intègrent les cercles des architectes et artistes. Collaborant ou désireux de collaborer avec eux, ils sont naturellement intégrés dans ces différentes associations. L’apparition des plus importantes d’entre-elles dans les années cinquante est également révélatrice, comme l’indique Nicolas Nogue, de ce moment de renouvellement plastique dans la production architecturale930. Réagissant vis-à-vis de la production courante de la Reconstruction931, ces cercles et ces collaborations permettent de renouveler l’acte et la production architecturale.

928 NOGUE Nicolas, Bernard Laffaille…, op. cit., pp. 659-660.

929 En effet, Bernard Laffaille, Robert Le Ricolais et Jean Prouvé sont membres de presque toutes les

associations pluridisciplinaires formées par les architectes. C’est en revanche la première fois que l’on trouve le nom de Thierri Jeanbloch dans une association d’architectes. Nous avons en effet le plus souvent trouvé des traces de cet homme discret du côté des associations et revues d’ingénieurs.

930 NOGUE Nicolas, Bernard Laffaille…, op. cit., p. 661. 931

C’est également tout le propos des premières associations d’architectes et d’ingénieurs dès la fin de la seconde guerre mondiale.

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