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C HAPITRE 3 — L’ ÉTHIQUE DE LA COOPÉRATION I NTRODUCTION

3 — L’enjeu de la rémunération

C HAPITRE 3 — L’ ÉTHIQUE DE LA COOPÉRATION I NTRODUCTION

Une réflexion relative à la place de l’éthique dans le contexte économique et dans le milieu des affaires implique un découpage de la démarche d’analyse. La discipline économique elle-même distingue selon son niveau d’analyse : macro, méso et micro. Elle se préoccupe également des objectifs sociaux et des valeurs éthiques sous-jacentes, notamment des valeurs éthiques individuelles696. Par ailleurs, le développement de l’économie expérimentale a contribué à reconnaître le caractère déterminant de certaines valeurs pour l’interaction stratégique entre agents économiques, parmi lesquelles l’altruisme, l’équité ou la réciprocité697.

Dans le cadre de notre problématique sur la rémunération des dirigeants de sociétés par actions, il importe de calquer notre démarche éthique selon un même découpage. Dans sa dimension abstraite, ou macro, l’éthique traite de concepts fondamentaux, de présupposés épistémologiques et métaphysiques. Au niveau mésoéthique, sont envisagées les théories de l’agir moral, telles que l’éthique conséquentialiste, l’éthique déontologique et l’éthique de la vertu. Si la première évalue les actions au regard de leurs conséquences, la seconde ne s’intéresse qu’aux motivations à l’agir alors que la dernière insiste sur les dispositions du caractère moral du sujet. À ce niveau de réflexion, on parle communément d’éthique normative ou substantielle. Et enfin au niveau micro, l’éthique est appliquée et contextualisée afin de proposer des solutions concrètes à des situations où toute réflexion philosophique sur une conception du bien, de la justice ou en d’autres termes moraux n’est pas susceptible d’aider ou d’améliorer l’agir et la prise de décision698.

Le fonctionnement efficient de l’économie, tout comme celui du milieu des affaires, repose sur un ensemble de normes, de règles et de valeurs. Sans ce cadre normatif, les interactions économiques peuvent générer des externalités négatives qui peuvent amoindrir à la

696 Marc Fleurbaey, « Ethics and Economics » dans Steven N. Durlauf et Lawrence E. Blume, dir, The New

Palgrave Dictionary of Economics, vol 3, 2e éd, Londres, Palgrave Macmillan, 2008, 37 à la p 37.

697 Philipp Schreck, « Experimental Economics and Normative Business Ethics » (2016) 12 University of St.

fois le bien-être économique individuel et collectif. L’éthique appliquée accompagne donc l’action et l’agir économique. Le champ de cette éthique est large puisqu’il englobe à la fois les règles du fonctionnement du marché ainsi que les normes propres aux individus dans le contexte corporatif et commercial. En ce sens, l’éthique et l’économie se rejoignent puisqu’elles ont pour communes préoccupations l’action et la prise de décision par les agents économiques. Notre démarche éthique opère comme une synthèse entre la recherche de l’excellence dans l’agir et la réalisation du bien-être collectif dans le fonctionnement de la société par actions. Or, la formalisation que nous en proposons dépasse les postulats classiques de l’orthodoxie économique sur la rationalité des agents économiques ou la conception restreinte de la maximisation de la valeur. Par conséquent, elle est vouée à s’accorder avec l’impératif de maximisation de la valeur et la recherche du profit.

Les travaux et les recherches menées dans le champ de l’éthique appliquée aux affaires tendent à analyser les opérations réalisées sur le marché et celles qui sont intégrées au sein de la société de la même manière. Toutefois, il existe une distinction fondamentale entre ces deux types d’opérations699. Sous l’angle de l’économie des coûts de transaction, les « market transactions » impliquent le marché et l’action d’acheter et de vendre alors que les « administered transactions » sont régies par les règles de la société700. Du point de vue de l’éthique, les premières sont animées par une logique concurrentielle alors que les secondes sont motivées par une logique de coopération.

Il importe donc d’envisager l’éthique des affaires comme une éthique qui distingue selon le type d’opération concerné et le contexte où elles prennent forme701. Autrement dit, à une éthique des affaires adversative s’oppose une éthique des affaires non adversative. L’analyse dans le présent chapitre s’inscrit dans le cadre de cette dernière où l’objectif est de protéger la

699 Joseph Heath, « An Adversarial Ethic for Business: Or When Sun-Tzu Met the Stakeholder » (2007) 72 Journal

of Business Ethics 359 aux pp 359–360.

700 Alan Shipman, The Market Revolution and Its Limits: A Price for Everything, London, Routledge, 1999 à la p 267 ; Oliver E. Williamson, Markets and Hierarchies: Analysis and Antitrusts Implications. A Study in the

Economics of Internal Organization, New York, Free Press, 1975.

701 Arthur Isak Applbaum, Ethics for Adversaries, Princetown, Princeton University Press, 1999 ; Joseph Heath, « An Adversarial Ethic for Business: Or When Sun-Tzu Met the Stakeholder » (2007) 72 Journal of Business Ethics 359 à la p 359.

coopération au sein de la relation d’agence702. À ce titre, les fondements normatifs d’une éthique de la coopération vont contribuer à donner corps aux normes et aux valeurs propres à la relation du dirigeant avec la société, lesquelles n’ont ni la même substance ni la même rigueur morale des règles qui s’appliquent à l’agent qui transige sur le marché703.

Dans la société par actions, les transactions prennent la forme de relations d’agence où la coopération est une norme centrale. Dans ces conditions, il y a un argument fort en faveur de la reconnaissance de la spécificité éthique liée aux relations d’agence au sein des organisations704. Plus particulièrement, l’éthique appliquée accorde une attention particulière au contrat entre le dirigeant et la société. Ainsi, le développement d’une éthique de la coopération appliquée au contrat permet de dépasser les solutions traditionnelles au problème d’agence entre les dirigeants et les actionnaires. Par conséquent, dans le présent chapitre, nous argumentons pour la formulation d’une norme générale de coopération, qui consacre l’interaction entre une norme juridique et une norme sociale. Par l’association de ces deux logiques normatives, le contrat devient l’assise à une éthique propre à la relation d’agence où la norme de coopération permet de répondre à des préoccupations d’ordre éthique, incitatif et réputationnel.

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