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3 — L’enjeu de la rémunération

S ECTION 2 — L’ ÉTHIQUE APPLIQUÉE AU CONTRAT

En faisant le lien entre les fondements de l’éthique des affaires et les normes essentielles au bon fonctionnement de la relation contractuelle, l’éthique appliquée permet la formulation d’une norme générale de coopération. Elle fait ainsi la jonction entre deux logiques normatives, la normativité juridique et la normativité sociale, et justifie une approche renouvelée en matière de rémunération du dirigeant.

809 Kenneth J. Arrow, « The Economics of Agency » dans John W. Pratt et Richard Zeckhauser, dir, Principals and

Agents: The Structure of Business, Boston, Harvard Business School Press, 1985, 37 aux pp 37–51 ; Kathleen M.

Eisenhardt, « Agency Theory: An Assessment and Review » (1989) 14 The Academy of Management Review 57 ; Michael C. Jensen et William H. Meckling, « Theory of the Firm: Managerial Behavior, Agency Costs and Ownership Structure » (1976) 3 Journal of Financial Economics 305.

810 Joseph Heath, « Business Ethics without Stakeholders » (2006) 16 Business Ethics Quarterly 533 à la p 539. 811 Oliver E. Williamson, « Transaction Cost Economics Meets Posnerian Law and Economics » (1993) 149

Journal of Institutional and Theoretical Economics 99 à la p 102.

812 Ralph D. Stacey, « The Science of Complexity: An Alternative Perspective for Strategic Change Processes » (1995) 16:6 Strategic Management Journal 477 à la p 491, reproduit dans David O. Faulkner, dir, Strategy. Critical

Perspectives on Business and Management, vol 4, New York, Routledge, 2002, 3 à la p 11 ; Ralph D. Stacey, « The

Science of Complexity: An Alternative Perspective for Strategic Change Processes » (1995) 16:6 Strategic

Sous-section 1. — Le mécanisme extra-légal de coopération

Les normes éthiques sont enracinées à la fois dans les pratiques institutionnelles et le droit des sociétés. La nature ouverte de cet ensemble normatif contribue à produire des normes adaptées au particularisme de la relation d’agence.

Paragraphe 1. — Le rôle du droit et du contrat

Prenant appui sur la théorie de l’agence, la gouvernance des sociétés par actions se préoccupe des relations entre individus aux intérêts divergents et aux modalités d’incitation de l’agent à agir dans l’intérêt de la société. Dès lors, il nous semble qu’une bonne gouvernance a été à tort réduite aux instruments de contrôle, d’incitation financière et de surveillance813. Nous pensons que cette conception de la gouvernance empêche la prise en compte de considérations et de normes de nature éthique qui pourraient enrichir la rationalité procédurale quant aux problèmes de gouvernance, notamment en matière de rémunération. En réduisant de la sorte la complexité des comportements économiques, la théorie de l’agence tend à ignorer d’autres éléments qui sont susceptibles d’influer sur la conduite de l’agent, son pouvoir discrétionnaire et sa prise de décision.

L’approche de Herbert Simon en matière d’économie comportementale permet de prendre en compte l’importance d’autres paramètres pour une prise de décision optimale. Alors que les mécanismes de la théorie de l’agence demeurent pertinents, d’autres perspectives théoriques offrent des explications alternatives et complémentaires aux comportements des agents. Ainsi, une partie de la littérature en théorie des organisations est consacrée au rôle de la confiance dans les organisations et souligne son importance pour la coopération dans les relations au sein de la firme814.

813 Frédéric Grotino et Jean-François Gaudreault-DesBiens, « La comparaison de l’efficacité des systèmes juridiques et la résilience des canevas de raisonnement : le cas du droit des sociétés par actions » dans Pierre- Emmanuel Moyse dir, Quelle performance ? De l’efficacité sociale à l’entreprise citoyenne, Montréal, Thémis, 2013, 187.

814 James S. Coleman, Foundations of Social Theory, Cambridge, Harvard University Press, 1994 à la p 175 et s ; Francis Fukuyama, Trust: The Social Virtues and The Creation of Prosperity, New York, Free Press, 1996 aux pp 23–32 ; Roderick M. Kramer et Tom R. Tyler, Trust in Organizations: Frontiers of Theory and Research, Thousand

Dans un contexte de rationalité limitée et d’absence de garanties juridiques complètes, la confiance permet une réduction des coûts de transaction815. Elle œuvre comme substitut aux mécanismes de contrôle et de coordination par le biais de règles éthiques816. Dans le contexte corporatif, la confiance est une croyance, individuelle ou collective, selon laquelle un individu ou un groupe d’individus « makes good-faith efforts to behave in accordance with any commitments both explicit or implicit, (…) is honest in whatever negociations proceeded such commitments, and (…) does not take excessive advantage of another even when the opportunity is avalaible »817. Nonobstant l’incomplétude contractuelle, la confiance facilite donc la contractualisation des relations et le respect d’engagements réciproques818. Le rôle de la confiance dans la coopération des agents économiques peut être interprété de différentes manières819. Premièrement, la confiance peut s’interpréter comme la manifestation d’une série de normes sociales parmi lesquelles figurent la réciprocité, la coopération, l’équité, la loyauté et l’honnêteté820. Deuxièmement, la confiance peut être interprétée in situ dans le cadre de la relation du dirigeant avec la société et ses actionnaires. Dans ce cas, la confiance se manifeste par des obligations concrètes. Et troisièmement, la confiance s’analyse comme le résultat d’une

Oaks, Sage, 1996 ; Daniel J. McAllister, « Affect- and Cognition-Based Trust as Foundations for Interpersonal Cooperation in Organization » (1995) 38 Academy of Management Journal 24.

815 Oliver E. Williamson, « Calculativeness, Trust, and Economic Organization » (1993) 36 Journal of Law and

Economics 453 à la p 463 et s ; Thomas M. Jones, « Instrumental Stakeholder Theory: A Synthesis of Ethics and

Economics » (1995) 20 The Academy of Management Review 404 à la p 422 ; Thomas M. Jones et Will Felps, « Shareholder Wealth Maximization and Social Welfare: A Utilitarian Critique » (2013) 23 Business Ethics

Quarterly 207 aux pp 218–219 ; Margaret M. Blair et Lynn A. Stout, « A Team Production Theory of Corporate

Law » (1999) 85 Virginia Law Review 248 à la p 264 ; Avner Grief, « Reputational and Coalitions in Medieval Trade: Evidence on The Maghribi Traders » (1989) 49 The Journal of Economic Hystory 857 à la p 858.

816 Andrea Larson, « Network Dyads in Entrepreneurial Settings: A Study of the Governance of Exchange Relationships » (1992) 37 Administrative Science Quarterly 76 à la p 84.

817 Philipp Bromiley et Larry L. Cummings, « Transaction Costs in Organizations with Trust » dans Roy J. Lewicki, Robert J. Bies et Blair H. Sheppard, dir, Research on Negotiation in Organizations, vol 5, Greenwich, JAI Press, 1996, 219 aux pp 223–224.

818 Diego Gambetta, « Can We Trust Trust? » dans Diego Gambetta, dir, Trust: Making and Breaking Cooperative

Relations, New York, Blackwell, 1988, 213 à la p 217 ; Pascal Billan, « Rationalité et coopération : le rôle de la

confiance en économie » (1998) 84 Revue d’économie industrielle 67 à la p 67.

819 Todd H. Chiles et John F. McMackin, « Integrating Variable Risk Preferences, Trust, and Transaction Cost Economics » (1996) 21 The Academy of Management Review 73 à la p 84.

820 John K. Butler, « Toward Understanding and Measuring Conditions of Trust: Evolution of a Conditions of Trust Inventory » (1991) 17 Journal of Management 643 à la p 648 ; Jeffrey L. Bradach et Robert G. Eccles, « Price, Authority, and Trust: From Ideal Types to Plural Forms » (1989) 15 Annual Review of Sociology 97 à la p 105.

rationalité économique. En effet, sous l’angle de la théorie des jeux et du dilemme du prisonnier, les parties ont intérêt à collaborer et donc à se faire confiance notamment lorsqu’elles peuvent être appelées à collaborer de nouveau821. La confiance est ainsi une exigence qui permet d’atténuer la crainte que l’un des contractants agisse de manière opportuniste822. Elle favorise par ailleurs l’efficience et la rapidité des décisions prises puisqu’elle permet de contracter autour de l’opportunisme et de la rationalité limitée des parties823. Elle implique donc dans la relation d’agence que l’agent fait sien l’intérêt du principal afin de ne pas malmener le processus de coopération.

Compte tenu de l’opportunisme et de la rationalité des agents dans la société, la structure de gouvernance s’articule autour d’une rationalité procédurale où les moyens déployés lors de la prise de décision importent plus que les résultats obtenus et visés. Dès lors, la procédure décisionnelle permet de dépasser une analyse utilitariste, axée sur les résultats, et permet d’insister sur l’aspect déontologique, axé sur les moyens. En ce sens, la conformité à des normes sociales, comme la confiance, et à des normes juridiques, telles que la loyauté ou à toute autre norme morale, est une forme de contrainte déontologique. Eu égard à la spécificité du statut du dirigeant et à l’étendue de ses prérogatives, les normes éthiques de nature déontologique traitent de problématiques relatives au statut et aux devoirs du dirigeant d’entreprise. Dans la mesure où la relation d’agence repose largement sur la coopération volontaire, de telles normes assurent un degré minimal de confiance et de contrainte morale824. Néanmoins, on ne saurait limiter une éthique de la coopération à des règles déontologiques ou à un régime de responsabilité des dirigeants et administrateurs sanctionné par les tribunaux. En effet, nombre d’actes et de comportements peuvent porter atteinte à la confiance dans la relation d’agence, mais également

821 Robert Axelrod, The Evolution of Cooperation, New York, Basic Books, 1984 à la p 126.

822 Jeffrey L. Bradach et Robert G. Eccles, « Price, Authority, and Trust: From Ideal Types to Plural Forms » (1989) 15 Annual Review of Sociology 97 à la p 104.

823 Todd H. Chiles et John F. McMackin, « Integrating Variable Risk Preferences, Trust, and Transaction Cost Economics » (1996) 21 The Academy of Management Review 73 à la p 85 ; W. E. Douglas Creed et Raymond E. Miles, « Trust in Organizations: A Conceptual Framework Linking Organizational Forms, Managerial Philosophies, and the Opportunity Costs of Controls » dans Roderick M. Kramer et Tom R. Tyler, dir, Trust in

Organizations: Frontiers of Theory and Research, Thousands Oaks, Sage, 1996, 16 ; Ejan Mackaay et Stéphane

Rousseau, Analyse économique du droit, 2e éd, Montréal, Thémis, 2008.

à celle dont elle bénéficie sur le marché sans pour autant entrer dans le champ des obligations fiduciaires. Enfin, toute perte de confiance revêt un enjeu financier puisqu’elle va se traduire par une augmentation du coût du capital. Autrement dit, à la méfiance à l’égard de la société et de son équipe dirigeante va succéder un sentiment de crainte des investisseurs auquel il va falloir répondre souvent par l’octroi de garanties supplémentaires afin qu’ils acceptent ce qu’ils peuvent percevoir comme une part de risque supplémentaire liée à leur investissement.

Le régime général de responsabilité des administrateurs et des dirigeants imposé par la législation en droit des sociétés permet de sanctionner et de réparer des abus flagrants qui pourraient résulter de la discrétion managériale des dirigeants825. Cependant, la portée des obligations fiduciaires et la règle du jugement d’affaires ne permettent une contestation judiciaire au regard des normes de conduites que dans les cas manifestement contraires à l’intérêt social826. En dépit de leur spectre limité, les devoirs fiduciaires demeurent des fondements aux normes éthiques. La capacité des agents à agir de manière opportuniste ou à refréner leur intérêt personnel est fonction de nombreuses circonstances propres à l’individu, au contexte institutionnel et à sa culture personnelle. Les normes et les valeurs qui sont partagées par une organisation et une communauté, tout comme la capacité des individus à subordonner leurs intérêts personnels à celui d’un groupe, permettent de réduire les coûts d’agence. La confiance, la loyauté, l’honnêteté supposent chez les agents économiques des dispositions éthiques qui dépassent le postulat d’égoïsme et le modèle de la maximisation de l’utilité personnelle. Au-delà de la diminution des coûts de transaction, ces dispositions éthiques s’inscrivent dans une logique d’efficience du système de gouvernance. Il existe donc un argument économique clair en faveur du comportement éthique. Nous pensons qu’une réduction efficace des pertes de coopération dues aux conflits d’intérêts passe par le recours à des éléments de la culture contractuelle. Ce sont ces éléments, implicites, mais indispensables, qui peuvent pour partie réguler la conduite des agents économiques. En effet, puisque la discipline fiduciaire n’opère que pour les cas les plus flagrants, d’autres motifs doivent nécessairement guider la

825 Robert C. Clark, « Agency Cost versus Fiduciary Duties » dans John W. Pratt et Richard Zeckhauser, dir,

Principals and Agents: The Structure of Business, Boston, Harvard Business School Press, 1985, 55 à la p 71 et s.

conduite des agents. Autrement dit, la loi n’est pas le seul mécanisme qui encadre la conduite des dirigeants pour qu’ils agissent de manière responsable. D’autres contraintes pèsent sur les dirigeants pour qu’ils accomplissent leur mission du mieux possible827.

Le développement de règles applicables à l’entreprise ne peut pas être séparé de la question des normes éthiques et des processus judiciaires. En effet, l’activité des cours et des tribunaux tout comme l’office des juges sont primordiaux dans un système de common law. En ce sens, l’idée de contrôle social dans la théorie de J. R. Commons est fondamentale puisque :

La jurisprudence est [pour Commons] une source de données pour comprendre le fonctionnement du contrôle social, source largement ignorée par les économistes, alors qu’elle contient des notions, de transactions et de règles, pertinentes quand on s’intéresse aux pratiques réelles régulant les comportements828.

Les normes éthiques propres au contexte corporatif et aux agents dans l’enceinte de la société par actions visent à rendre plus lisibles les obligations implicites qui pèsent sur les dirigeants. Sous cet angle, cette éthique a un aspect professionnel puisqu’elle vise à articuler une série de normes implicites, mais attendues dans les rapports contractuels et dans la gestion de la société. Étant donné que le dirigeant est le plus à même de fournir l’effort que nécessite la réalisation de la tâche qui lui incombe, il doit à la fois être fiable et digne de confiance. Selon nous, tout mécanisme susceptible de promouvoir l’esprit de collaboration et la confiance contribue à circonscrire l’aléa moral de la relation d’agence. C’est dire également que des mécanismes axés sur l’incitation financière et la sanction judiciaire ne peuvent suffire seuls au maintien d’une relation optimale entre des parties qui ne sont pas en situation d’égalité. Par exemple, comme nous le verrons dans le chapitre suivant, l’élaboration d’un contrat de rémunération est une opération complexe dont les incidences sur la performance financière de la société sont difficilement évaluables. S’ajoutent à cela les difficultés liées à l’observation des

827 Lynn Stout, « On the Proper Motives of Corporate Directors (Or, Why You Don’t Want to Invite Homo Economicus to Join Your Board) » (2003) 28 The Delaware Journal of Corporate Law 1 aux pp 8–9.

828 Laure Bazzoli, Action collective, travail, dynamique du capitalisme : fondements et actualité de l’économie

institutionnaliste de J.R. Commons, thèse de doctorat en sciences économiques, Université Lyon 2, 1994 [non

publiée] à la p 82, tel que cité dans Marie-Claire Villeval et Thierry Kirat, « Chapitre 3 – L’insaisissable entreprise de l’économie et du droit. Débats autour de l’entreprise, du contrat, de l’institution » dans Entreprise, institution et

société (juillet 1995) Direction de l’Animation de la Recherche des Etudes et des Statistiques du Ministère du

efforts fournis par l’agent et leur corrélation avec la performance financière. Soulignons également que le développement d’une approche incitative exclusivement financière génère des biais comportementaux chez l’agent, tel que le « framing effect », qui se traduit par une déloyauté des agents et une dépendance aux mécanismes de contrôle829. Autrement dit, les implications de la théorie de l’agence sur les postulats comportementaux et le rôle des incitations amoindrissent le potentiel normatif et régulateur que peuvent revêtir des contraintes d’ordre éthique. En conséquence, si on considère que les coûts d’agence et les problèmes d’action collective ne relèvent pas exclusivement de ces mécanismes, mais qu’ils relèvent également de normes éthiques, alors il est possible que les agents soient moins enclins à agir de manière opportuniste et non coopérative. De la même manière, cela aurait pour effet de les priver de la possibilité de rationaliser un comportement non éthique.

Paragraphe 2. — La normativité sociale

Un des exemples de l’interaction fonctionnelle entre le droit et les normes sociales provient de la théorie économique. D’abord centrée sur la résolution des différends informels entre voisins, l’école de pensée du Droit et des normes sociales offre, en des termes économiques, de nouvelles justifications aux comportements collectifs830. En effet, l’intérêt porté à la norme sociale est venu de la nécessité d’expliquer des comportements qui n’étaient pas cohérents avec le postulat classique de maximisation de l’utilité831. L’analyse économique du droit explique la conformité du comportement social en termes de jeux de coopération, notamment en un dilemme du prisonnier qui se répète832. Dans cette perspective, la norme sociale a pour fonction de faciliter les comportements coopératifs et par la même faire échec à

829 John Boatright, Ethics in Finance, Oxford, Blackwell, 1999 à la p 48 ; Gregory Dees, « Principals, Agents and Ethics » dans Norman E. Bowie et R. Edward Freeman, dir, Ethics and Agency Theory, Oxford, Oxford University Press, 1992, 25 à la p 35.

830 Robert C. Ellickson, Order Without Law: How Neighbors Settle Disputes, Cambridge, Harvard University Press, 1991 à la p 187.

831 David Charny, « Illusions of Spontaneous Order: “Norms” in Contractual Relationship » (1996) 144 University

of Pennsylvania Law Review 1841 à la p 1843.

832 Robert C. Ellickson, Order Without Law: How Neighbors Settle Disputes, Cambridge, Harvard University Press, 1991 à la p 164.

toute situation d’incertitude présente dans la relation d’agence833. D’un point de vue économique, la situation visée est celle de l’opportunisme du dirigeant. L’impossibilité de régir en termes complets la relation contractuelle du dirigeant avec la société, oblige la mise en place de mécanismes légaux et extra-légaux garantissant la primauté de l’intérêt de la société tout en préservant la valeur créée834.

Le droit des sociétés met ainsi à disposition les instruments légaux pour réguler le comportement des agents, notamment en instaurant un régime d’obligations fiduciaires qui sanctionne les conduites non coopératives et destructrices de valeur les plus flagrantes. De plus, la législation sur les sociétés par actions et la jurisprudence relative aux obligations fiduciaires énoncent des valeurs essentielles aux gens d’affaires et au contexte corporatif. Ainsi, ces valeurs dessinent une morale des affaires dont l’objet est la préservation et la promotion de la coopération dans les rapports contractuels. Les normes sociales ont donc un rôle important à jouer. La norme sociale correspond à toute règle ou pratique qui font naître sur celui sur lequel elles pèsent un sentiment d’obligation ou d’adhésion, conscient ou inconscient835. Elles jouent le rôle de symboles à partir desquels les agents déterminent s’ils vont coopérer. De même, elles témoignent d’une conformité à une norme générale de coopération836. Cette norme offre une visibilité au comportement coopératif puisqu’elle alerte les parties de la crédibilité des informations qui fondent leurs relations contractuelles. En effet, comme l’a souligné Eric Posner, les normes sociales sont un ensemble d’actes rationnels qui signalent aux autres qu’ils sont de bons joueurs dans le jeu coopératif837. C’est là la source de la norme sociale qui permet à l’agent d’informer son cocontractant qu’il valorise suffisamment le futur pour s’abstenir

833 Eric A. Posner, « Law and Social Norms: The Case of Tax Compliance » (2000) 86 Virginia Law Review 1781 aux pp 1781–1819.

834 Robert Cooter, « The Theory of Market Modernization of Law » (1996) 16 International Review of Law and

Economics 141 à la p 150 ; Oliver E. Williamson, The Economic Institutions of Capitalism: Firms, Markets, Relational Contracting, New York, The Free Press, 1985 à la p 47 (Oliver E. Williamson définit l’opportunisme

comme « la recherche dissimulée de son propre intérêt »).

835 Melvin A. Eisenberg, « Corporate Law and Social Norms » (1999) 99 Columbia Law Review 1253 à la p 1257. 836 Eric A. Posner, « Symbols, Signals and Social Norms in Politics and the Law » (1998) 27 The Journal of Legal

Studies 765 à la p 767.

837 Eric A. Posner, Law And Social Norms, Cambridge, Harvard University Press, 2000 à la p 15 ; Steven A. Hetcher, « Cyberian Signals » (2002) 36 University of Richmond Law Review 327 à la p 328.

d’adopter un comportement qui nuirait à la pérennité de la relation contractuelle838. Cette signalisation offerte par la norme sociale revêt un intérêt primordial lorsque le contrat lui-même ne peut être rédigé en termes complets. Autrement dit, la norme sociale supplée à l’incomplétude contractuelle et permet de minimiser les conséquences néfastes des comportements opportunistes sur les processus contractuels et d’échanges.

Le pouvoir normatif de la norme sociale est d’autant plus fort lorsqu’elle est internalisée

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