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Hôpital psychiatrique et habiter

Dans le document UNIVERSITE CLAUDE BERNARD (Page 112-116)

2. De l’asile à nos jours : l’hôpital et sa fonction d’asile

2.2. De l’Hôpital psychiatrique au Centre Hospitalier : psychiatrie et chronicité

2.2.5. Hôpital psychiatrique et habiter

Afin de clore notre partie traitant de l’évolution de l’institution psychiatrique, et à l’image de notre réflexion concernant l’asile d’antan, nous proposons de poser de nouveau la question de l’habiter, au sein cette fois-ci de l’hôpital actuel.

S’il nous a été difficile d’affirmer que les aliénés habitaient l’asile, cela nous est apparu plus évident concernant les soignants. Pourrait-on dire qu’actuellement l’hôpital psychiatrique est habité ? Notre propos concerne les centres spécialisés, héritiers de l’emplacement géographique asilaire, les services de psychiatrie de l’hôpital général nécessitant, selon nous, une analyse particulière.

Nous pourrions commencer notre réflexion sur l’habiter de l’hôpital en nous intéressant à l’habit. L’habit des soignés, mais aussi l’habit des soignants. De plus, à côté des soignants et soignés, cohabite une troisième population : le personnel technique, généralement vêtu de bleu.

Concernant le malade, l’habit n’a finalement que peu évolué. Nous faisons bien évidemment allusion au célèbre pyjama, bleu, jaune, vert, beige, qui pare un certain nombre de patients des plus belles couleurs, lors de leur séjour « dans les murs ». Autant utilisé que peu étudié, le pyjama perdure pourtant dans les pratiques. La psychiatre lyonnaise F. Bourdoncle est une des rares à s’être penchée sur la question. Elle propose une étude de cet élégant vêtement, qui, de loin, « annonce la couleur »…

« Ce pantalon « ample et flottant porté par les femmes en certaines régions de l’Inde », introduit dans notre lexique en 1908 comme « vêtement de nuit ou d’intérieur, ample et léger, fait d’un pantalon et d’une veste », figurerait avantageusement à l’index des traités de psychiatrie, entre pycnolepsie et pyrétothérapie, entre pulsion sexuelle et pyromanie ou entre pyridoxine et Qaly… En effet, synonyme de confort dans l’intimité du foyer, ou réduit à un strict usage nocturne éventuellement superflu, généralement paré de la neutralité affective propre à la juste régression des braves plutôt que d’un érotisme torride, le pyjama sort du domaine privé en franchissant les murs de l’hôpital psychiatrique. »[111]

« Dehors », c’est-à-dire hors les murs hospitaliers, le pyjama est une tenue d’intérieur au port nocturne, alors qu’il s’exhibe de jour au sein de l’hôpital psychiatrique. Usuellement et aconflictuellement porté dans les services de soins généraux où l’état des patients nécessite en général l’alitement, le pyjama s’est malgré tout exporté en psychiatrie, dont la clinique se présente et se pratique pourtant moins « au lit du malade ». Ainsi, en psychiatrie, « la question de la mise et du maintien en pyjama comme éléments du cadre thérapeutique (…) représente pour beaucoup de nos patients le paradigme de l’atteinte à leur liberté et pour les soignants une consigne rituelle, avec celles relatives aux visites et aux sorties dans le parc »

A l’asile, les malades se voyaient troquer leurs effets personnels contre un « trousseau » composé habituellement d’un uniforme de travail, d’un uniforme d’intérieur, d’une tenue pour la nuit ainsi que de sous-vêtements, tenues que les malades devaient porter « jusqu’à leur fin », jusqu’à ce que le plus appliqué des raccommodages ne puisse redonner vie à l’habit.

De nos jours, la décision du port de l’habit hospitalier est médicale, le dénommé pyjama se prescrit. Dans son article, F. Bourdoncle propose d’identifier les fonctions du pyjama, tant institutionnelles que cliniques. Ainsi, selon l’auteur, le pyjama au plan institutionnel comporterait une fonction de surveillance, un système de récompense punition (« pyjama-bâton et vêtement-de-ville-carotte »), une fonction asilaire, une fonction d’alibi (en référence au constat de l’impuissance de l’institution à faire respecter la loi dans ses propres murs). Les fonctions cliniques seraient, quant à elles, contenance, régression, médiation relationnelle (« Réalité anodine porteuse d’un pouvoir symbolique indéniable, il organise un jeu psychodramatique associant patients et soignants dans un exercice transférentiel qui mérite l’analyse »), médicalisation en tant que médiation corporelle, ou encore fonction structurante (« le Moi-Pyjama ? »).

Et si, la fonction de ces « fonctions du pyjama » n’était pas au fond, plus qu’un reliquat asilaire, qu’un objet transitionnel, ou qu’une mesure préventive, une stratégie défensive des soignants ?

Afin de complexifier notre réflexion, penchons-nous à présent sur la question de l’habit des soignants. Le port de la blouse a gagné les établissements psychiatriques suite aux travaux de L. Pasteur et au courant hygiéniste du milieu du XIXème. Les psychiatres puis les infirmiers exerçant en « extra » ont ensuite posé leur blouse dans l’élan communautariste des années

1968, revendiquant un rapprochement nécessaire entre soignants et soignés et un mouvement de rébellion contre la médicalisation de la discipline.

« Le jour où le surveillant chef nous a vu avec des survêtements verts, les mêmes que les malades, il nous a dit : « alors on ne sait même plus qui est dingue et qui ne l’est pas ! »[79]

Avec la re-médicalisation s’est réactualisée la mode du blanc, bien que la plupart des psychiatres continue à exercer en tenue civile.

« Un patient nous suggérât que nous mettions les malades en pyjama uniquement pour ne pas les confondre avec les psychiatres qui, comme chacun sait, ne portent plus de blouse blanche »[111]

Ces illustrations exposent bien l’idée de la nécessaire différenciation entre soignants et soignés, se posant comme remède contre une contagiosité latente.

Reviendrait donc en force l’inquiétude quant à une contamination de la folie de par une confusion entre soignés et soignants. R. Barrett parle d’un triple risque auquel sont confrontés les soignants : « celui de pollution par des patients souillés, celui de contagion sociale du fait de la promiscuité qu’ils entretiennent avec la folie, enfin, celui du danger physique d’être attaqués lorsque les effusions délirantes deviennent incontrôlables » [112]

R. Roussillon expose les stratégies défensives mises en œuvre par tout aidant contre l’identification narcissique de base à l’aidé. Le port de la blouse et du pyjama illustre bien la différenciation visiblement nécessaire entre soignant et soigné. Nous reviendrons dans la dernière partie sur l’identification narcissique de base et les stratégies défensives érigées contre elle.

Les habitudes présentes à l’hôpital psychiatrique comportent des similitudes avec celles de l’asile d’antan. Nous venons de voir que blouses et pyjamas, habitudes parmi les plus visibles, ont partiellement résisté aux évènements de 1968, et perdurent à l’heure actuelle au sein de l’hôpital psychiatrique. Seuls une majorité de psychiatres et certains infirmiers de « l’extra » exhibent leurs vêtements de ville, refusant de porter « l’habit ». Autour des années 1968, il aurait même été possible de décrire l’habitus du psychiatre : barbu, chevelu, allure nonchalante, un tantinet négligé, consommation soutenue de café et cigarettes.

Outre les « habituels habits », d’autres habitudes n’ont pas quitté les murs de l’hôpital. Ainsi, les habitudes ayant trait à la rythmicité du quotidien ont guère évolué, en dehors de celles inhérentes au travail des malades qui ont disparu avec lui. En effet, des similitudes existent avec l’asile en partie du fait de la temporalité propre à la maladie mentale. Les aliénistes, s’ils avaient une conception du quotidien de l’asile ne laissant pas de place au vide, avaient par ailleurs perçu l’importance de « l’habitude » pour certains patients. Ainsi, encore aujourd’hui les journées à l’hôpital restent rythmées par les temps forts du quotidien : le lever, les repas, la toilette, le ménage, la nuit. D’autres habitudes sont apparues avec l’évolution et l’ouverture de l’hôpital, nous pensons aux entretiens soignants, aux sorties dans le parc ou « à la cafétéria », aux ateliers thérapeutiques ou encore aux accompagnements à l’extérieur.

Les soignants aussi ont leurs habitudes : le temps de la relève lors du changement d’équipe, lors de l’arrivée des médecins, les pauses café riches en réflexion, les repas, la distribution du traitement, le temps du déjeuner : au sein du service ou au « self », les tours dans le service, la visite du patient de chambre d’isolement, la rédaction de la relève…

En ce qui concerne les patients, l’habiter a évolué. Les effets personnels sont plus largement confiés à leur propriétaire, ne sont plus gardés systématiquement jusqu’à la sortie, permettant à certains d’aménager un peu leur chambre. Cependant, la diminution des temps d’hospitalisation, l’augmentation du turn-over, et avec lui la fréquence des changements de chambre, s’inscrivent en contre.

Là encore, il paraît difficile d’affirmer que les patients puissent habiter les lieux, et ce d’autant plus que la politique actuelle lutte activement contre l’implantation d’habitudes, en luttant contre la chronicité.

A l’heure actuelle, qui habite l’hôpital ? Concernant les patients, habitent l’hôpital ceux qui vivent dans les foyers intra-hospitaliers, les services de longue évolution. Mais concernant les soignants, si les gardiens vivaient dans l’asile, les soignants d’aujourd’hui l’ont délaissé, hormis quelques internes résidant à l’internat de l’hôpital au commencement de leur cursus de spécialité. Si les médecins ont un temps occupé les logements de fonction de l’hôpital, nous assistons actuellement, dans la lignée de l’évolution de l’hôpital, à une occupation par le personnel administratif.

Dans le document UNIVERSITE CLAUDE BERNARD (Page 112-116)