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L’asile : lieu de vie, lieu de travail

Dans le document UNIVERSITE CLAUDE BERNARD (Page 77-80)

1. La réponse omnipotente de l’institution asilaire

1.1. L’asile, premier habitat spécifique de la folie : naissance de l’asile, des aliénés et

1.1.2. La construction de l’asile : un binôme médecin-architecte opérant à partir de la

1.1.2.6. L’asile : lieu de vie, lieu de travail

« L’asile fut un lieu de soins et de garde, un bâtiment d’hébergement fruste et de luxe ; d’autres espaces complétaient cet ensemble pavillonnaire : lieux de travail dans les ateliers et la ferme, lieux de culte et de divertissement. »[60].

Abordant l’asile par le thème du travail, J. Torrente nous dit : « L’asile se présente ainsi en deux parties, l’une pour les aigus et les pensionnaires qui ne travaillent pas, l’autre pour les indigents chroniques qui doivent travailler. »[78]

Ainsi, outre les quartiers de nuit ou les quartiers d’agités, l’asile comprend des bâtiments et terrains réservés aux ateliers techniques. Leur séparation des autres quartiers est franche : éloignement géographique ou présence d’imposantes grilles.

Ceux qui font vivre ces différents lieux et ateliers sont les techniciens, mais plus nombreux encore sont les aliénés. Il s’agit de ceux qui sont « diagnostiqués » aptes au travail, qui sont nommés « malades travailleurs ». Là encore, les aliénés sont « classés », curables et incurables, mais il existe également de « bons malades », ou des « malades travailleurs » :

« Il faut occuper les malades valides, d’où leur affectation aux services généraux, services des fonctionnaires, à la cuisine. Les « bons malades » pallient le manque d’effectif pour les tâches ménagères et sanitaires dans les quartiers des soins, et les « malades travailleurs » à la ferme (culture, élevage) et dans certains ateliers techniques »[65]

« Il n’en est pas moins précisé que le travail constitue aussi une thérapeutique pour les curables et une source d’occupation pour les incurables. »[78]

Le statut de travailleur permet également à ces aliénés une plus grande circulation au sein de l’asile : « Seuls les travailleurs circulent de leur division à leur lieu de travail. Les autres, internés au sens le plus strict, n’ont accès à l’air libre que dans les cours »[79].

Si le travail au sein de l’asile est pensé comme indispensable au traitement des aliénés –P.Pinel préconise un « travail mécanique, rigoureusement exécuté »-, il possède également une fonction de production.

Ainsi, selon les théories aliénistes, le travail a en premier lieu des vertus thérapeutiques. Il s’agit d’un outil de lutte puissant contre une oisiveté délétère :

« Les malades vont aussi se mettre au travail car rien n’est plus néfaste que le désœuvrement qui renforce la folie dans ses extravagances. »[79]

« Une thérapeutique active, celle du travail, s’ajoute en effet à la thérapeutique passive, celle de l’enfermement. » « Le travail (…) préfigure le retour à une certaine raison, ou plutôt l’abandon d’une irratio caractérisée, entre autres, par le désœuvrement. »[60]

L’autre réalité du travail effectué par les aliénés est l’engrangement d’une production conséquente. Les aliénistes étaient convaincus de la possible intrication des deux fonctions : fonctions thérapeutique et productive.

« Le travail va devenir une des principales préoccupations des soignés et des soignants de l’asile. Pour les soignés, et pour cause, puisque le rythme de travail peut facilement atteindre dix heures par jour. Pour les soignants, il va circuler tout au long du XIXème siècle et au début du XXème siècle une idée bien utile : le travail peut être productif et thérapeutique.(...) Il n’y aurait pas d’incompatibilité entre la productivité et la thérapeutique. »[78]

Ce postulat sera bien sûr remis en question notamment dans l’après-guerre où la question suivante sera posée : « thérapeutique du travail ou utilisation des aliénés à des fins serviles ? » Cette particularité du fonctionnement asilaire sera sévèrement critiquée, du fait de son utilisation possiblement déviante et ses conséquences durant la période de la deuxième guerre[80][81].

« Le célèbre règlement des asiles de 1857 ne dit pas autre chose. Le travail est institué comme moyen de traitement et de distraction pour les aliénés, et en contrepartie, le produit du travail appartient à l’établissement. Il est évident que s’instaureront des dérives et que certains aliénés seront mis à contribution davantage pour les finances de l’asile que pour leur soin. Dans certains cas, l’asile ne survit que du travail de ses aliénés. »[78]

Ainsi, afin de remplir les deux objectifs du travail des aliénés, l’asile se dote de nombreux bâtiments techniques et terrains pour les cultures. La plupart des corps professionnels se trouve au sein de l’asile, il n’est donc pas nécessaire de faire appel à « l’extérieur ».

L’asile comprend « une forge, une menuiserie, une serrurerie, une boulangerie, une boucherie, un abattoir, une triperie, un atelier de tissage, un autre de raccommodage, une buanderie, un service de voirie, une maçonnerie, un moulin. Il y a aussi un cordonnier, un peintre, un vitrier, une matelassière, un plombier… La ferme, sous l’autorité du chef de culture, comporte des champs, des vergers, un potager, environ 10 hectares de vigne [le vin produit est vendu à l’extérieur, d’où le nom de Vinatier attribué à l’hôpital], des prairies, des pâtures pour environ 100 vaches, des étables, une porcherie (300 porcs). »[65] Exemple de l’asile d’aliénés de Bron, pour lequel la production de l’asile est destinée aux nécessités de fonctionnement de celui-ci mais également à l’exportation.

Les techniciens qui sont employés au sein de l’asile n’exercent qu’à l’intérieur de celui-ci, et il n’est pas d’usage de faire appel à des entreprises externes pour des interventions au sein de l’asile. L’idée est donc une séparation complète de la cité, un fonctionnement interne en vase clos, réduisant au maximum les échanges avec l’Extérieur.

Dans le document UNIVERSITE CLAUDE BERNARD (Page 77-80)