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Exemple 3 : Les bases de connaissance

II. 2 6 En guise de conclusion : « nouvelles propositions pour une physiologie de l’action »

Dans la conclusion de ce numéro thématique « Repenser le corps, l'action et la cognition avec les neurosciences », les auteurs s’engagent nettement pour volontairement bousculer les habitudes de pensée en ce qui concerne le fonctionnement de l’organisme humain. Que l’on en juge.

La philosophie contemporaine a développé toute une théorie de l’action qui repose sur l’analyse des concepts dans lesquels nous concevons, décrivons, expliquons et justifions nos actions (Jean Luc Petit, 1991204). Pour Jean Luc Petit (cf. http://www.chez.com/jlpetit/recherche.htm) cette

théorie de l’action ne mérite pas sans réserve le titre de philosophie de l’action sous lequel on la désigne. S’inscrivant, en effet, dans une tradition de philosophie analytique, non dans celle de la phénoménologie, elle s’est systématiquement détournée de notre expérience vécue de l’agir. Une volonté de limiter le choix des procédés de traitement de cette information à ceux d’une logique philosophique en ses différentes versions, tour à tour grammaticale, sémantique et pragmatique, a fait exclure le recours à l’intuition directe de l’agent lui-même sur son propre « faire » corporel dans le monde actuel au bénéfice de l’intuition du « théoricien-observateur-non-acteur » concernant d’autres mondes possibles que le sien.

La physiologie de l’action laisserait donc aux sciences cognitives classiques l’héritage de la philosophie intellectualiste de Descartes à Fodor. En s’inscrivant dans autre tradition philosophique (de la phénoménologie de Husserl à la phénoménologie de l’incarnation de Merleau- Ponty et bien d’autres, cf. suite) elle rassemble ceux qui se sont essayés à saisir conceptuellement la priorité de l’acte entendu comme « cette actualité de présence à soi d’un vivant qui s’auto-affecte et s’auto-évalue en son action même et qui, par là, constitue en sa perception consciente le sens des choses pour lui, le sens de son corps comme corps propre, le sens d’autrui comme alter ego, le sens du monde comme monde de vie ».

Il s’ensuit dix sept propositions que nous présentons brièvement : le lecteur pourra retrouver dans tout ce qui a été présenté précédemment dans ce cours, les filiations et arguments qui pour une grande part soutiennent ces propositions :

- « le dualisme repose sur l’opposition de deux images statiques de l’esprit comme ensemble de représentations mentales et une image statique du cerveau comme ensemble de cellules nerveuses ». Les auteurs proposent pour surmonter ce dualisme une nouvelle description des processus dynamiques responsables de l’adaptation mutuelle et continuelle entre le cerveau, le corps et le monde

- « le cerveau n’est pas un ordinateur ». Les auteurs proposent d’en tirer les conséquences en rejetant les approches computationnalistes de la pensée.

- un renversement de paradigme a lieu en ce qui concerne l’étude des mécanismes biologiques sous-jacents aux fonctions cognitives : l’intérêt porté sur le langage et le raisonnement au détriment de la perception et de l’action est battu en brèche au bénéfice de l’intégration de la perception et de l’action dans la théorie de langage et de l’action.

- « le cerveau n’est pas un réceptacle d’informations unimodales traitées indépendamment les uns des autres par des systèmes de traitement modulaires ». Nos idées concernant la réceptivité sensorielle doivent tenir compte que le cerveau contrôle de façon intermittente la conformité de

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Berthoz, A. Petit, J.L (2003). Nouvelles propositions pour une physiologie de l’action. Intellectica, 36-37, pp 367 – 372

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la configuration globale des récepteurs à des patrons d’activation répondant à des attentes définies.

- « notre sens du mouvement – kinesthésie - est une activité dynamique à laquelle coopère l’ensemble des récepteurs sensoriels et qui doit sauvegarder la congruence de leurs analyses respectives »

- Le corps humain n’est pas une somme d’organes fonctionnant de manière indépendante : « l’organisation du squelette, les propriétés dynamiques des muscles, le pré-câblage des synergies motrices dans les systèmes nerveux imposent aux ordres moteurs des contraintes à priori qui soulagent le travail du cerveau »

- Le mot « représentation » est ambigu. Les auteurs fondent leur conception de l’activité de l’organisme – non sur la représentation – mais sur l’action au sens fort de « l’acte ». « Sensation et mouvement étaient croyions-nous des frontières intangibles entre extérieur et intérieur ». Ainsi, fidèles à la tradition phénoménologique, la perception pour les auteurs ne représente pas le monde : elle le constitue.

- En se différenciant de la « théorie de l’esprit » qu’ils trouvent trop rationaliste, les auteurs rejettent la distinction « intérieur – extérieur » base de la notion de représentation. « La physiologie de l’action a vocation à rétablir entre émotion et mouvement la continuité malheureusement interrompue par l’interprétation de l’action comme mouvement concluant un raisonnement déconnecté de l’affect »

- « La perception n’est pas ordonnée à l’idéal d’une vison contemplative de la réalité objective telle qu’elle est en soi ». Elle est structurée par l’action qui la motive et la prépare.

- « La kinesthésie n’est pas une sensation passive des états de mouvement ou de repos : jusqu’en ses capteurs périphériques intra-musculaires elle est pénétré par les intentions du mouvement volontaire. Le mouvement qui vient de nous n’est pas senti comme l’est un mouvement passivement subi ; c’est plutôt le vouloir qui dans l’épreuve s’éprouve soi-même »

- « Des mécanismes de « bas niveau » responsables des configurations motrices sensori-motrices du corps agissant peuvent parfaitement prendre en charge certains des étages présumés « supérieurs de la cognition ».

Et Jean Luc Petit205 de conclure sur l’hypothèse à mettre à l’épreuve : i) l’insuffisance radicale, mais non fausseté, de l’actuelle théorie de l’action ; ii) due à son orientation logico-linguistique unilatérale (imprimée par la première révolution, linguistique, de la philosophie analytique) ; iii) créant un abîme entre une conceptualité essentiellement langagière et les corrélats neurobiologiques découverts par les neurosciences cognitives ; iv) conservée par sa transcription dans la théorie représentationnelle de l’esprit (issue de la seconde révolution, cognitiviste, de la philosophie analytique) ; v) requérant une phénoménologie de l’agir comme remède adéquat, dans la mesure où cette phénoménologie est l’interface manquante entre la couche des déterminations sémantico-pragmatico-représentationnelles et le substrat neurophysiologique de l’action.

205 Petit, J.L. Projet de recherche : Le renouvellement de la philosophie de l’action par les neurosciences.

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III. L’interrogation des sciences sociales sur la cognition : cognition et action située,