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Exemple 3 : Les bases de connaissance

III. L’interrogation des sciences sociales sur la cognition : cognition et action située, cognition distribuée

III. 2 La cognition distribuée

Dans une perspective théorique semblable mais d’inspiration anthropologique, Hutchins (1995 et James D. Hollan, Edwin L. Hutchins & David Kirsh à paraître222 voir le site de l’auteur :

220 Leplat, J. (2000). L’environnement de l’action en situation de travail. In Séminaire du centre de

recherche sur la formation (Ed) L’analyse de la singularité de l’action (pp107-132). Paris : CNAM.

221 Theureau J. (2002) L'hypothèse de la cognition située et l'analyse du travail de l'ergonomie de langue

française, Conférence in XXXVII ° Congrès SELF, 25-27 Sept., Aix-en-Provence.

222

James D. Hollan, Edwin L. Hutchins and David Kirsh. Distributed Cognition: A New Foundation for

Human-Computer Interaction. (Draft Submission for TOCHI Special Issue on Human-Computer Interaction

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http://hci.ucsd.edu/hutchins/) fait de l'homme le site de l'information et propose le concept de cognition distribuée dans le cadre de l'étude de tâches réelles « naturelles » et complexes. La cognition et les connaissances « n'existent pas » dans l’esprit des individus mais sont situées au niveau des interactions entre les membres d'une communauté d'agents qui doivent effectuer une tâche ou interagir dans un environnement donné. Pour lui, la communication n'est pas un simple processus de transfert de connaissance d'un agent à un autre agent, mais renvoie à la création d'une nouvelle connaissance collective qui n'est pas forcement intégrée en totalité par chacun des membres du groupe. C'est à partir de ce qu'il appelle « locus of knowledge » ou site de la connaissance mémorisée, incarnée, qui appartient à chaque individu et ce qu'il appelle aussi des systèmes de connaissances socialement distribués, qu'apparaissent des propriétés cognitives non prédictibles. L'unité des propriétés cognitives se déplace du niveau individuel à un niveau d'analyse plus global afin de décrire et expliquer les propriétés cognitives d'un système. On ne fait pas d'hypothèses sur les processus cognitifs en jeu, on situe l'analyse au niveau des interactions entre agents dans un contexte donné qui lui-même n'est pas un ensemble stable. Le sens se construit et se transmet par ces interactions.

Une étude d’Hutchins (1995223) concernant l’analyse de l’activité des opérateurs dans une cabine

de pilotage permet de comprendre que l’activité cognitive ne réside pas seulement dans le cerveau individuel des pilotes mais dans le système qui inclut des humains, des artefacts et des objets. Hutchins propose, comme l’exemple suivant le montre, de bouger les frontières des unités d’analyse cognitive des acteurs au delà de la seule personne : « les sciences cognitives établissent avec soin des contextes permettant de mettre à jour des comportements qui permettent d’attribuer des états internes (cognitions) aux acteurs. Mais si l’on choisit une cabine de pilotage comme unité d’analyse, on peut regarder à l’intérieur et observer un bon nombre de phénomènes intéressants : il est possible d’observer alors directement les nombreuses représentations qui se trouvent à l’intérieur du cockpit, bien qu’en dehors de la tête du pilote. On peut étudier à souhait les propriétés cognitives d’un tel système. Ce qui conduit à une nouvelle démarche : plutôt que d’appliquer les conclusions d’une étude psycho - cognitive des individus directement aux pilotes du cockpit, nous devrions appliquer le concept de systèmes cognitifs à une nouvelle unité d’analyse : le cockpit dans son ensemble (matériel plus pilote) ». De sorte que le niveau d’analyse ou d’observation comme le propose Hutchins, est plutôt la « situation » que ses différents participants (par exemple, élèves, enseignants, ...) considérés individuellement et successivement.

Hutchins (1995224) étudie la communication et la coopération à travers la propagation d'états

représentationnels de connaissances internes (propres à un individu) et externes (qui appartiennent au groupe et aux supports d'information qu'ils utilisent). La formation dynamique de ces états sert de base aux actions coordonnées au niveau du groupe et se traduit à travers des comportements qui fluctuent en fonction des lieux d'observation. La trajectoire de la connaissance supplante le déterminisme classique (émetteur - récepteur) de la communication. La coordination émerge des interactions du membre du groupe : elle se construit dans un groupe, à l'intérieur d'une culture partagée, en utilisant de nombreux artefacts ou support environnementaux. Les conditions de mise en oeuvre sont produites par les activités des autres partenaires dans un contexte de compréhension intersubjective partagée qui concerne une situation. La réalisation de la tâche émerge des interactions locales des membres. La mise en oeuvre de la coopération en tant que reconnaissance mutuelle et ajustement s'appuie alors sur : i)

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Hutchins (1995) How a Cockpit Remembers Its Speeds. Cognitive Science 19, 265-288. (En français: Comment le cockpit se souvient de ses vitesses ? Sociologie du travail, 1994, 4, 451-473

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la création d'une connaissance commune, de savoirs partagés, de croyances mutuelles, ii) la gestion coopérative de situations mettant en jeu les processus évoqué ci dessus.

La communication et la coopération structurent localement les activités du groupe en l'absence d'un plan global qui ne saurait être le fait d'un acteur individuel (comme l’enseignant …. et qui dans ce cadre d’analyse ne peut pas maîtriser le plan global). Ainsi, la notion de plan d’action conçu préalablement à l’action est fortement questionnée. Hutchins comme Suchman, affirme que les plans ne déterminent pas l'action en situation, ils sont plutôt reconstruits lors de l’évocation de l’action. Du savoir mutuel implique donc la compréhension d'une action dans ses interactions avec son environnement.

Cette conception illustre la complexité de l'action située qui requiert un processus constant d'interprétations entre les acteurs accompli notamment à travers la communication, processus qui exige de la part des interlocuteurs la capacité de reconnaître les situations, d'interpréter des faits et les intentions de leurs partenaires. La cohérence de l'action tient aux interactions locales contingentes aux circonstances de l'acteur. La communication liée aux circonstances et aux ressources locales pallie les difficultés de la compréhension mutuelle. La réussite d'une situation coopérative dépend des capacités des acteurs qui la composent et de leur capacité à comprendre les actions de l'autre et l'évolution de la situation dans des circonstances imprévisibles dont aucun ne perçoit à priori, la globalité.