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Le groupe de sociétés: périmètre de sauvegarde de l’emploi

Paragraphe 2 : L’interaction fonctionnelle entre le contrat de travail et le groupe de sociétés

A. Le groupe de sociétés: périmètre de sauvegarde de l’emploi

Le groupe de sociétés peut être un cadre de reclassement des salariés victimes d’accident de travail et ceux licenciés pour motif économique. Ainsi, le licenciement pour motif économique a la particularité de générer la priorité de réembauche qu’il fait bénéficier au salarié qui en est victime. En dehors de la priorité de réembauche, le salarié a droit à un préavis, mais également il perçoit une indemnité de licenciement et une indemnité spéciale159. Cette dernière est non imposable et est égale à un mois de salaire brut160. D’autre part, selon l’art. L.62 du code du travail sénégalais, le salarié licencié pour motif économique bénéficie d’une priorité de réembauche dans son ancien entreprise. A cet égard, le droit de priorité de réembauche pèse sur l’entreprise et non sur l’employeur, car en s’inspirant de l’art. L.66 dudit code, s’il y a eu un changement juridique d’employeur, le droit de priorité survit à la charge de l’entreprise. En droit français aussi, une jurisprudence a retenu que le droit de priorité de réembauche est lié à l’entreprise et non à l’employeur161.

Par ailleurs, il a été posé à la cour suprême la question de savoir s’il existe un lien juridique entre la filiale et la société mère établies respectivement au Sénégal et en France ? La haute cour a répondu par l’affirmative, en affirmant que la société mère et la filiale forment une seule

159 Art. L. 62, code du travail sénégalais de la loi 97-17 du 1er déc.1997.

160 Ibid.

161 Soc. 26 février 1992, Bull. civ. V, n° 128 ; Soc. 9 mai 2000, n° 98-41.201.

et même entreprise relevant d’une seule autorité, dès l’instant que l’une est la filiale de l’autre162. De cette disposition ressort une fusion des personnes juridiques distinctes en une seule et même entreprise. Ainsi, l’entreprise, en tant que sphère du droit du travail définissant le champ d’application de ses normes, a permis au juge de réunifier ce qu’a divisé le droit des sociétés. Elle permet au juge de procéder à l’abstraction de la personnalité juridique de plusieurs sociétés. Alors, l’entreprise renvoie à l’unité économique voire l’autorité commune plutôt qu’à la personnalité morale. Etant qualifié d’entreprise, le groupe de sociétés devient, sans conteste, le lieu de mise en œuvre du droit de réembauche des salariés licenciés pour motif économique.

C’est proprement dans ce sillage que s’inscrit la décision de la cour d’appel de Dakar selon laquelle « les travailleurs saisonniers en cessation de service bénéficient d’une priorité d’embauche ; ils peuvent faire valoir leur droit dès l’instant où des salariés ont été embauchés dans l’usine principale car cette dernière et l’usine annexe où ils exerçaient leurs activités constituent une seule et même entreprise163 ». L’on s’aperçoit clairement que le domaine de réintégration du salarié victime du licenciement pour motif économique s’étend dans tout le ressort du groupe d’entreprises qui, en d’autres termes, forme une même entreprise au sens du droit social. Partant, l’employeur devra établir un plan de sauvegarde de l’emploi, non pas dans les limites de l’entreprise qu’il incarne lui-même, mais à l’échelle du groupe tout entier.

En tout état de cause, il importe de souligner que l’obligation de réembauche ne pèse directement que sur l’employeur du salarié. Il lui appartient de tout mettre en œuvre pour trouver au salarié un réembauche aussi bien dans son entité juridique que dans les autres entités du groupe. L’obligation de l’employeur est une obligation de moyen. C’est pourquoi, lorsqu’il ne parvient pas à trouver un réemploi aux salariés, alors qu’il a fait tout ce qu’il fallait, l’obligation s’éteint après l’écoulement du délai légal fixé à deux (2) ans selon l’art. L.62. Pour leur part, les autres entités du groupe, semble-t-il, seraient tenues de l’obligation de reclassement. En effet, rappelait la cour d’appel de Dakar que les salariés peuvent faire valoir leur droit de priorité de réembauche dès lors que l’usine principale et les autres constituent une entreprise unique. Alors, quoi qu’il en soit, le réembauche est un droit pour le salarié bénéficiaire d’un droit de priorité. Or, tout droit est une créance qui crée une obligation à la charge du débiteur. Par conséquent, considérer le groupe comme une seule entreprise revient à

162 C. sup., 1er avril 1987, loc. cit.

163 C.A Dak., n°542, 23 novembre. 1979, Armand SAGNA et autres c/ ETS VQ PETERSEN et Cie, inédit, in EDJA, Code du travail du Sénégal annoté, éd. 2014, p. 15.

admettre l’obligation de reclassement comme une dette à la charge de toutes les entités du groupe. Ce point de vue reste légitime dans tous les cas, si le juge social reste conséquent envers sa perception unitaire de l’entreprise. Néanmoins, les autres entités du groupe ne sont tenues que dans la mesure de la disponibilité d’un emploi. Elles ne sont pas non plus tenues de prévoir un plan de sauvegarde de l’emploi incombant à l’employeur contractuel.

S’agissant maintenant de l’obligation de reclassement164 du salarié victime d’accident de travail, elle est posée par l’art. 21 de la convention collective nationale interprofessionnelle (CCNI). Il semble en outre que le procédé ne change pas en droit sénégalais. L’entreprise, ignorant les lisières de la personnalité morale, permet au salarié victime d’accident de travail d’avoir la chance d’être reclassé par toutes les entités du groupe. En fait, au regard de la logique jurisprudentielle antérieure165, le reclassement du salarié dans le groupe reste a priori valable.

Cette validité est sous-entendue par une interprétation a fortiori. En effet, si les salariés licenciés pour motif économique ont pu bénéficier d’une priorité d’embauche au sein du groupe d’entreprises, a fortiori, pourquoi pas les salariés victimes d’accidents de travail dont les contrats sont en cours d’exécution.

Il convient de réfléchir sur le point de savoir qu’adviendrait-il lorsque le titulaire du droit de reclassement et le titulaire de la priorité de réembauche convoitent un même emploi ? Il semble que la logique juridique voudrait que la préséance soit attribuée au salarié bénéficiaire du droit de reclassement, car son contrat de travail reste toujours en vigueur, contrairement au salarié déjà licencié. Une telle solution est celle qu’a retenue la CA de Lyon lorsqu’elle décide qu’un

« emploi destiné au reclassement de salariés relevant de sociétés du même groupe ne peut être considéré comme disponible, pour l’exercice de la priorité de réembauchage166 ». Au-delà de l’influence légale du contrat de travail sur le groupe de société, il est question de voir aussi l’impact légal du groupe sur les conditions de travail des salariés.

164 Art.21 CCNI, « Le contrat du travailleur accidenté du travail est suspendu jusqu'à consolidation de la blessure,

et, au cas où après consolidation de la blessure, le travailleur accidenté du travail ne serait plus à même de reprendre son service et de l'assurer dans les conditions normales, l'employeur recherchera, avec les délégués du personnel de son établissement, la possibilité de reclasser l'intéressé dans un autre emploi ».

165 C. Sup., 1er avril 1987, loc. cit.

166 C.A Lyon, 19 décembre 1997, RJS 1998, n° 1258.