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Paragraphe 2 : La considération de l’unité économique du groupe en vue de la mise en œuvre

B. La protection des intérêts privilégiés

La prise en charge des exigences particulières reste le motif déterminant dans nombre de consécrations du groupe de sociétés. Ce qui d’ailleurs rejoint l’idée selon laquelle la reconnaissance des groupes de sociétés relève d’une logique opportuniste. A l’appui de cette évocation, nombre de dispositions s’offrent au regard du droit du travail. Ce droit d’ordre public protectionniste a su reconnaitre le phénomène des groupes de sociétés à travers la mutation du salarié d’une entreprise à une filiale. Le transfert du salarié155 s’accompagne de la préservation des avantages et du bénéfice d’ancienneté acquis au service du premier employeur. Ce principe est une illustration phare de la protection du travailleur face aux mutations et aux détachements dont il est l’objet dans le fonctionnement du groupe de sociétés.

155 Art. L. 66 code du travail sénégalais.

En sus de ce qui précède, l’art. L.66 du code du travail sénégalais précise que le changement de la situation juridique de l’employeur résultant de la restructuration de droit, notamment la fusion, vente, transformation de fonds… n’entraine pas en soi la résiliation du contrat de travail en cours d’exécution. Ainsi, en vertu de l’art. L.66, le contrat de travail conclu avec l’ancien employeur subsiste en cas de changement d’employeur. C’est une règle qui, du côté du salarié, est protectionniste. En fait, les opérations de restructuration juridique ne sont pas subordonnées au consentement des salariés. Dès lors, elles ne devraient pas avoir des répercussions sur la situation juridique des salariés exclus dans le processus de restructuration. De plus, le contrat de travail est un acte juridique indépendant du contrat de restructuration. Considérant que la restructuration est très fréquente dans les groupes de sociétés dont les entités peuvent fusionner, faire des apports partiels d’actif ou se scinder … c’est en réponse à ces pratiques que la préservation de l’emploi est alors posée conformément à l’art.1er du code du travail156 qui promet de sécuriser le contrat de travail par le biais de l’Etat. Cette disposition socialement utile reste tout de même juridiquement critiquable. Dans cette mesure, elle entrave le principe de la relativité des conventions et de l’autonomie de la volonté en imposant la qualité d’employeur à une personne en l’absence de son accord. De même, l’obligation d’exécuter le contrat de travail s’impose à elle sans son consentement.

Si l’on brasse la réflexion en profondeur, l’on note que la règlementation des groupes de sociétés répond aussi à l’impératif de moralisation et de protection de la vie économique et des affaires pour la sécurité et l’épanouissement. C’est ainsi que pour protéger la société contre ses associés et ses dirigeants véreux, le législateur instaure à l’art. 350 AUSCGIE une procédure spécifique appelée conventions règlementées. L’acte suspect est mentionné dans le rapport annuel du commissaire aux comptes et sera soumis à l’autorisation de l’AGO pour l’engagement de la société. La convention règlementée est un contrat conclu, directement ou indirectement, entre une société et l’un de ses gérants ou associés. L’efficacité de la procédure des conventions règlementées réside dans le fait que les voix du cocontractant (associé ou gérant) de la société ne seront pas prises en compte dans le calcul de la majorité au vote157. Au surplus, à défaut d’adoption de la convention règlementée par l’assemblée générale ordinaire,

156 Selon l’art. 1er code du travail sénégalais : « le droit au travail est reconnu à chaque citoyen comme un droit

sacré. L’Etat met tout en œuvre pour l’aider à trouver un emploi et à le conserver lorsqu’il l’a obtenu »

157 Art. 354 AUSCGIE. Selon cette disposition : « l’assemblée générale ordinaire se prononce sur les conventions

règlementées (…) l’associé concerné ne prend pas part au vote de la délibération relative à la convention et ses voix ne sont pas prises en compte dans le calcul de la majorité. »

le gérant ou l’associé contractant supportera individuellement les conséquences préjudiciables du contrat pour la société158.

Concernant le groupe de sociétés en participation, le législateur protège les créanciers en prohibant des prises de participation mutuelle à partir de 10 % entre les SA et les SARL. En effet, l’art. 178 de l’AUSCGIE prévoit que lorsqu’une SA ou une SARL possède des actions ou des parts sociales d’une autre SA ou SARL supérieures à 10%, aucune de ces dernière ne peut détenir une participation envers les premières. Cependant, lorsque le nombre de parts ou d’actions détenu par une SA ou une SARL est inférieur à 10% dans une autre SA ou SARL, celles-ci ne peuvent posséder des parts ou actions supérieures à 10% envers les premières. Ces participations croisées ou réciproques sont canalisées par le législateur Ohada parce qu’elles sont des situations dangereuses. D’une part, il y a le risque de la non réalité d’une partie au moins du capital : diminution voire disparition totale de l’actif réel dans la mesure où chaque société détient envers l’autre des titres sociaux. Ce qui fait qu’une partie de l’actif sera facilement fictive par la volonté des associés réciproques au grand dam des créanciers. Ces derniers risquent de se tromper devant une intrigue malhonnête. Enfin, le risque de verrouillage du contrôle à travers une participation forte peut permettre aux mêmes personnes de contrôler les deux sociétés. De ces deux situations, l’analyse révèle qu’il y a une fois de plus un souci du législateur de moraliser la vie économique, afin de sauver les créanciers contre les subterfuges souvent nuisibles à l’économie et à la sécurité financière.

Au sujet de la consécration du groupe de sociétés en droit fiscal, l’importance est de comprendre qu’une telle reconnaissance du groupe est loin d’être anodine. L’évitement de la double imposition est une manifestation du souci de réduire la pression fiscale. La réduction de la pression fiscale s’est révélée comme une stratégie d’attractivité et de compétitivité de la politique économique et d’investissement. C’est donc l’enjeu de développement économique et le souci d’attractivité juridique qui expliquent la consécration en droit fiscal du concept de groupe de sociétés. Celui-ci reste alors exempté du fardeau de la double imposition fiscale à l’art.203 du CGI.

Sous le bénéfice de toutes ces observations, nous réitérons que le groupe de sociétés est un phénomène que la loi ne méconnait pas absolument. Mais jusqu’à ce jour, il reste un objet de droit qui ne bénéficie pas d’un régime propre. Il n’est reconnu que pour satisfaire un certain

158 V. art. 355 al.1er AUSCGIE.

nombre d’exigences d’intérêt supérieur. Ce caractère fonctionnel du groupe est aussi percevable sous l’analyse de l’interaction légale entre le groupe de sociétés et le contrat de travail.

Paragraphe 2 : L’interaction fonctionnelle entre le contrat de travail et le groupe