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III. 3. 1. Comment les patients se positionnent par rapport à la décision médicale

Trois conceptions ont été évoquées lors de l’entretien.

ƒ Un premier modèle a été décrit par l’un des participants : son autonomie de décision prédomine. Sa démarche était fondée sur une évaluation personnelle du risque. Pour l’exemple de l’hypertension, son critère de décision était le délai d’apparition supposé des complications, en l’occurrence différé de plusieurs années.

Puisque le risque n’est pas immédiat, il devient acceptable de ne pas se traiter tout

de suite (« on me dit : 10 à 20% de chance d’avoir un accident quelconque chez l’homme dans les 10 prochaines années, donc moi je dis je me donne 6 mois [...] je me permets d’essayer autre chose, 6 mois c’est pas grand chose »). Il restait néanmoins ouvert à l’avis du médecin. Celui-ci peut justement l’aider à prendre conscience du risque immédiat (« si mon médecin me dit : « Y a un fort risque, on ne sait pas », là c’est sûr, j’élimine [la tumeur chirurgicalement] »). De plus, il a émis des réserves sur les statistiques : on considère une moyenne, donc les chiffres ne lui sont pas adaptés. En étant consciencieux, il aura forcément de meilleurs résultats (« ce taux de survie, c’est global, si on prend le nombre de gens qui ont suivi scrupuleusement les indications qu’on leur a faites, tout de suite il va augmenter [...]

y a forcément un bon nombre de gens qui suivent pas les indications. Moi je vais me dire déjà, ce chiffre il est pas adapté à moi »). Dans l’exemple sur le cancer de la prostate, il choisirait la radiothérapie plutôt que la chirurgie, en se disant que son sérieux augmenterait ses chances de guérison. Il s’est montré critique à l’égard des possibilités de manipulation de l’information par le médecin (« l’art de la rhétorique »).

Il a été le seul à évoquer l’hésitation du médecin comme une opportunité laissée au patient de faire un choix (« c’est plus de l’incompétence mais de la liberté, de la prise de liberté du patient. Ce qui n’est pas forcément plus mal [...] un médecin qui doute, qui ne sait pas, qui dit : écoutez, je ne vois vraiment pas comment je pourrai prendre une décision, c’est à vous de la prendre »).

En cas de désaccord, le médecin serait responsable, puisque contrairement au patient, il est censé avoir la connaissance et être objectif. Ce serait donc sa faute s’il n’a pas réussi à convaincre le patient.

Enfin, il a évoqué le dépistage plutôt comme une contrainte, liée à la difficulté d’accepter un traitement alors qu’il ne se sent pas malade et à la nécessité de renouveler l’ordonnance.

ƒ Le deuxième modèle énoncé a les caractéristiques suivantes : le patient est limité par ses peurs1 et son manque de compétence dans le domaine biomédical. La

1 Les composants de la peur cités étaient : les conséquences de la maladie, proportionnelles à la gravité ressentie de celle-ci, la symbolique de certains mots ( « traitement à vie » lié à la dépendance,

« cancer » lié à la mort), la responsabilité de la décision.

confiance que le médecin lui inspire va lui permettre de se rassurer (importance d’un médecin « qui nous correspond »). Il attend une information objective1, fondée sur les données de la science ou sur l’expérience professionnelle du médecin. Pour les participants se retrouvant dans ce modèle, les statistiques ont de l’intérêt : cela leur permet de peser les conséquences de chaque option thérapeutique. Cette information va lui permettre d’augmenter ses connaissances et de se sentir capable de décider (« devenir expert sur soi même »). Le conseil du médecin est très important pour orienter le patient dans son choix, et son soutien va l’aider à assumer ce choix. Pour résumer, on pourrait parler de « décision médicalement assistée » : la décision revient en apparence au patient, même si elle reste très dépendante de l’intervention du médecin (« il faut toujours que le patient ait l’impression d’avoir pris lui même la décision »).

Chez ces participants, l’hésitation du praticien fait peur car elle est synonyme d’incompétence (« un médecin [...] on croit quand même qu’il a la solution miracle »).

Pourtant, ils sembleraient préférer une relation transparente où le médecin fait part de ses doutes. Ils ne veulent pas être manipulés par le médecin. Pour preuve, un médecin trop sûr de lui aura l’air suspect et les motivera à demander un deuxième avis. En cas de désaccord avec le médecin, le patient aura tendance également à demander un deuxième avis.

ƒ Enfin, le troisième modèle décrit est plus proche du modèle paternaliste. Le médecin est le mieux placé pour décider, le patient doit accepter son aide, s’en

« remettre totalement » à lui car il n’a ni le recul ni l’expérience suffisants pour décider. Lorsque le patient consulte, il fait implicitement confiance au médecin. Il accorde de l’importance à la réputation du médecin, d’autant plus que la situation est grave (« pour une grosse opération, je ferais plus confiance à quelqu’un dont je sais qu’il a des bonnes compétences »). Le médecin ne peut pas imposer sa décision au patient car celui-ci ne l’accepterait pas, mais il lui semble licite que le praticien mette tout en oeuvre pour le convaincre, en utilisant notamment ses compétences en communication (les autres participants ont dénoncé une possible manipulation).

1 Par opposition à l’avis personnel du médecin (« moi, je serais vous... »). Ces participants ont insisté sur ce point. Il garantit leur « liberté de choix ».

Pour ces participants, le dépistage a été plutôt évoqué comme une opportunité. Le médecin ne doit pas se focaliser uniquement sur la plainte du patient.

Ce modèle n’exclut pas une participation active du patient (« acteur de sa maladie»).

Un des participants a insisté sur l’importance pour le patient de la recherche active d’information. Cela aurait, selon lui, un effet bénéfique sur son moral et sur la guérison en générale. Cela n’a cependant pas d’implication dans la décision.

Dans ce modèle, la « faute » d’un désaccord serait plutôt à la charge du patient, qui n’aurait pas fait l’effort de comprendre, de s’intéresser suffisamment. En cas de conflit, le médecin serait en droit de refuser d’assumer une décision du patient qui lui semble dangereuse. Cela pourrait être le moyen d’obliger le patient à réfléchir.

Notons que dans ces trois modèles, l’information circule à sens unique. Le patient participe plus ou moins à la décision, mais le médecin n’a rien à apprendre de lui.

III. 3. 2. Attitudes et capacités du médecin selon les représentations du patient III. 3. 2. 1. Attitudes et capacités du médecin qui auraient un effet favorable sur la confiance

ƒ Dans le premier modèle (autonomie du patient)

- proposer une information personnalisée (par opposition aux statistiques impersonnelles).

- répondre aux interrogations du patient sur les traitements1. Recevoir de l’information sur les effets indésirables ne remet pas forcément en cause l’acceptation du traitement.

ƒ Dans le deuxième modèle (patient limité par ses peurs et son incompétence) : - faire preuve d’objectivité, se limiter à parler de son expérience

professionnelle.

1 Les questions citées étaient : Quels sont leurs effets indésirables ? Sont-ils transitoires ou permanents ? Peut-on interrompre le traitement après l’avoir commencé ? Existe-t-il des alternatives non médicamenteuses ?

- dire la vérité, dans un vocabulaire choisi avec tact (« dire la vérité mais pas de façon choquante »).

- essayer de convaincre le patient, et en dernier ressort ne pas imposer, accepter le choix du patient.

- rassurer le patient face à l’inconnu.

ƒ Dans le troisième modèle (paternaliste) :

- être compétent, avoir une bonne réputation : c’est d’autant plus important que la gravité de la maladie augmente ou nécessite des actes techniques.

- faire preuve de détermination : l’avis du médecin a d’autant plus de poids qu’il fait preuve d’une grande conviction.

- savoir se « vendre » : c’est le résultat qui compte.

III. 3. 2. 2. Attitudes et capacités du médecin qui auraient un effet défavorable sur la confiance

Elles comprennent aussi bien :

ƒ l’hésitation du médecin. Globalement, elle fait peur car le médecin est censé savoir, avoir des idées précises (« le doute du médecin est contagieux »). Elle est synonyme d’incompétence, de démystification du médecin1.

ƒ la certitude du médecin. Elle est inacceptable si elle lui sert à cacher ses doutes.

Cela revient à mentir au patient, à le manipuler, à choisir à sa place. Le patient a d’ailleurs la faculté de sentir que le médecin lui cache des choses.

ƒ la subjectivité du médecin. L’avis personnel du médecin intervient seulement si le patient lui demande. Les participants ont été inquiets quant au risque de manipulation de l’information qui réduirait l’autonomie de décision du patient2.

1 L’à priori positif sur l’hésitation du médecin, exprimé dans le premier modèle, est resté isolé.

2 Une nuance toutefois : le degré d’implication personnelle du médecin peut augmenter avec son degré d’ « intimité » avec son patient (ex : « mon médecin traitant qui est un ami »).

III. 3. 3. Attitudes et capacités du patient intervenant dans la décision

Certaines valeurs propres au patient sembleraient influencer sa décision. Les deux exemples cités étaient :

ƒ la confiance dans les progrès de la science médicale. Une participante a justifié son choix de l’option « tumorectomie puis surveillance » dans l’exemple sur le cancer du sein, car plus elle attend, plus elle aura de chance de bénéficier d’un nouveau traitement plus efficace ou moins risqué.

ƒ l’attachement à son intégrité corporelle et la peur de la dépendance. Un des hommes participant a orienté son choix vers le traitement le moins délabrant dans l’exemple sur le cancer prostatique, en préférant diminuer le plus possible le risque de complications immédiates. Cette même personne a évoqué l’acceptation difficile du terme « traitement à vie » qui est assimilé à l’idée de handicap.

L’âge influencerait également la décision. Les jeunes auraient une perception spécifique du risque. Les participants ont expliqué cela par des caractéristiques propres à l’âge. En effet, les jeunes seraient plus inconscients (« on n’a pas les mêmes responsabilités que nos parents »), privilégieraient dans leur décision l’espérance de vie (par le choix de traitements efficaces), auraient envie de participer activement1, et ne seraient pas confrontés directement à la mort. Cela leur semble en opposition avec des adultes plus âgés qui auraient tendance à privilégier le confort de vie, à adopter une attitude fataliste devant la maladie et à se méfier des médicaments qu’ils ne trouvent pas naturels.

Le recours à un deuxième avis médical a été évoqué à plusieurs reprises comme une aide. L’hésitation du médecin, le désaccord entre le médecin et le patient, la trop grande certitude du médecin et la gravité de la maladie incitent le patient à demander ce deuxième avis. La multiplication des avis devient par contre source de difficultés en cas de divergences entre médecins.

1 Le patient « acteur » (cf. le troisième modèle du §1)

D’autres facteurs ont été cités, sans que leur implication dans la décision ne puisse être clairement établie :

ƒ les à priori et croyances du patient. Certains, comme l’accoutumance à des traitements chroniques, sont source d’inquiétude. D’autres, telles les hypothèses diagnostiques personnelles échafaudées avant la consultation, sont évoqués comme un moyen de réassurance. Elles seraient un moyen pour le patient de

« se sentir plus maître de [lui] » (« on soigne mieux ce qu’on connaît »).

Néanmoins, les participants n’ont pas estimé avoir la capacité de remettre en cause le diagnostic du médecin.

ƒ les « affinités » du patient : une des participantes a évoqué la confiance dans son médecin habituel, qui la connaît depuis longtemps et qui lui correspond, ainsi que la préférence d’un médecin qui lui montre de la sympathie et de l’intérêt plutôt qu’une attitude froidement professionnelle.

III. 3. 4. Autres sources d’information

Les expériences de l’entourage, notamment les cas similaires, éveillent la curiosité du patient. L’entourage joue un rôle ambivalent. Le patient sera rassuré de trouver des exemples de cas similaires où le choix qu’il ferait a eu des effets bénéfiques. A l’inverse, il serait angoissant que le choix effectué ne corresponde pas à ses préférences. L’avis de l’entourage a cependant moins de poids que celui du médecin.

III. 3. 5. Implications en terme de responsabilité

Les participants ont exprimé leur souci d’une possible manipulation de l’information par le médecin. Ils ont évoqué deux cas de figure :

ƒ la peur du risque médico-légal. Le médecin prend un risque en acceptant une décision par laquelle le patient se met en danger. Il pourrait chercher à influencer le patient dans son choix pour « se couvrir ».

ƒ le souci de sa réputation. Le médecin chercherait à « améliorer ses statistiques de guérison » en orientant le patient vers les traitements « les plus radicaux ».

L’attribution d’une faute en cas d’impossibilité de parvenir à un compromis a également été abordée. Les avis ont divergé. Pour certains1, la faute reviendrait de principe au médecin. En effet, lui (avec son « savoir » et son « objectivité ») et le patient ne dialogueraient pas sur un pied d’égalité. D’autres2, au contraire, désengageraient la responsabilité du médecin dès lors que le patient prendrait une décision potentiellement dangereuse pour lui même3.

L’information donnée par le médecin au préalable aurait un effet favorable sur l’acceptation d’un effet indésirable ou de l’échec d’un traitement.

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