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III. 2. 1. Comment les patients se positionnent par rapport à la décision médicale

Certaines personnes revendiquent une autonomie : elles prennent une décision, sans forcément en « référer » au médecin. Cette décision peut être prise en dehors du cadre de la consultation, soit en préambule (« la négociation elle était déjà à l’intérieur de moi-même, je me fixe des objectifs »), soit après (« t’as toujours le choix de dire OK, ou bien de prendre l’ordonnance et de ne pas acheter le médicament, de pas le prendre »).

Cette décision peut reposer sur :

ƒ des croyances (« j’ai un peu mes idées à moi aussi... j’ai toujours été pour les méthodes naturelles. Donc j’écoute pas forcément le médecin de médecine générale, bien que je pense qu’ils aient une certaine sagesse. Mais moi j’en ai une autre »).

ƒ des préférences qui orientent le choix des patients vers différentes options de traitement. Lors de l’évocation du cancer à travers le cas clinique, une distinction est apparue entre les participants. Les plus jeunes du groupe accordaient plus d’importance au maintien de leur qualité de vie, alors que les plus âgés semblaient privilégier une plus longue espérance de vie.

ƒ des craintes (« j’aurais tendance à préférer la chirurgie que la radiothérapie [...]

j’ai pas confiance en la radiothérapie [...] c’est moins naturel... y a un risque de cancer qui est plus important »).

ƒ le rejet des certitudes du médecin (« c’est un gros problème de la médecine [...]

on est souvent face à des gens qui vous disent « c’est sûr que » et qui auraient tendance à vous enlever la décision »)

ƒ la recherche d’informations : lectures (« j’essaie de lire des choses qui m’ouvrent un peu les yeux »), association de malades (« si je suis à « RESEAU SANTE », c’est déjà que j’ai quand même ce souci de la santé, d’écouter les gens qui ont vécu la même chose »).

ƒ l’effet attendu et ressenti du traitement (« si j’ai un effet secondaire [ou] si je vais mieux, j’arrête le traitement »). Le patient peut parfois adopter une attitude

« irrationnelle » du point de vue strictement biomédical (« se soigner en mettant le médicament dans sa poche » ).

Cette autonomie rencontre des limites :

ƒ le manque de compétence du patient (« le milieu médical, c’est pas ma compétence, donc je suis obligée de faire confiance au médecin »).

ƒ l’implication personnelle en tant que malade, qui rend plus difficile la demande d’information (« ça m’était plus facile de demander car je n’étais pas en cause moi même »).

ƒ la gravité de la situation. Des nuances sont apparues lors de l’entretien. Soit elle est directement et implicitement ressentie par le patient, et celui-ci adoptera spontanément une attitude de dépendance. Soit la réflexion est encore présente, et c’est alors une question posée au médecin (« est-ce qu’il y a un risque immédiat ») qui va permettre au patient de prendre conscience du pronostic. Le patient, sauf en cas de risque immédiat (« que quelque chose se déclenche entre ce soir et demain matin ») souhaite prendre un temps de réflexion, chercher des alternatives.

ƒ l’état psychologique du patient : ce désir d’autonomie est une démarche qui semble coûteuse en énergie, en investissement personnel pour le patient (« tout dépend à quel stade on va être, et tout dépend aussi moralement, comment on est. Le moral compte »).

ƒ le manque de temps est une difficulté pour le patient (« y a le problème du temps aussi. C’est souvent, il faut faire très vite ») (« je pense que y a plein de cas où les gens peuvent prendre une semaine pour réfléchir et avoir tous les éléments pour décider, sans avoir à décider tout de suite en sortant de chez le médecin »).

L’attitude face à la prise de risque semble être un autre déterminant important des décisions du patient . Deux attitudes ressortent dans cet entretien :

ƒ l’acceptation du risque, en l’occurrence de ne pas se traiter : celle-ci repose sur deux conceptions différentes : la première repose sur une prise de risque passive, par défaut, avec l’acceptation du risque d’être confronté à une complication (« je

ne veux pas prendre un médicament alors que après tout on est encore dans l’incertitude et ce n’est que des suppositions »). Dans une situation de prévention comme l’hypertension artérielle, cela fait intervenir les notions de plaisir, de confort qui vont être privilégiées par opposition aux contraintes d’un traitement. La deuxième conception s’appuie sur une prise de risque active, délibérée (« je n’aurais pas pu faire certaines choses de la même façon si je m’étais bourré de calmants [...] la douleur que j’ai subie un certain temps, alors qu’on me disait qu’il fallait pas, c’est un des éléments qui m’a permis de sortir de ce truc-là »).

ƒ la recherche du risque minimum, qui se traduira par une acceptation apparemment sans discussion des traitements (« je prends les médicaments, pas

« bête et disciplinée » mais en sachant très bien que j’aurais plutôt envie de passer à côté d’un accident cérébral ou d’une insuffisance rénale [...] et pour le diabète c’est pareil. Donc je me soigne parce que il n’y a pas d’autre solution, si on veut pas s’abîmer la vue et j’sais pas quoi, tout ce qui y a avec le diabète»).

Cet item a été exprimé plutôt par les personnes les plus âgées du groupe.

Notons qu’une même personne peut adopter des comportements différents selon la situation. Par exemple, la personne qui se dit obligée de faire confiance au médecin à cause de son manque de compétence technique prend l’initiative de consulter un spécialiste endocrinologue pour faire vérifier son diabète, à un moment où elle se sent moins bien physiquement. Elle le fait sans demander l’avis de son médecin traitant, quitte à revenir lui en parler après (« Je fais confiance entre guillemets à mon généraliste car il y a des choses que j’ai été faire vérifier par d’autres [...] Je lui en ai parlé après, mais la décision venait de moi, de m’informer un peu mieux sur le diabète. J’en étais à un point vraiment fatiguée, alors j’ai pris les choses en main»).

Cette attitude est d’autant plus singulière qu’elle correspond à une augmentation de l’autonomie du patient dans une situation de plus grande gravité ressentie.

L’information est une attente importante des participants, et c’est un préalable indispensable à leur prise de décision. Le médecin n’est pas la seule source d’information. Les composants de l’information attendus de la part du médecin, cités lors de l’entretien sont :

ƒ des explications sur la maladie (« ça commence par l’explication de la maladie.

Ca commence par là : expliquer »), ses causes.

ƒ une liste exhaustive des options thérapeutiques disponibles, méthodes

« expérimentales » comprises.

ƒ pour chaque option, les bénéfices attendus mais aussi les risques, les complications possibles, le taux d’échec.

L’information reposerait aussi, pour les participants, sur une recherche de leurs propres sources d’information. Cette démarche nécessite du temps, et semble peu compatible avec une prise de décision dans le temps de la consultation. Cela indique également que les patients auraient besoin, au moins en partie, d’une information qui ne correspond pas au savoir biomédical. Nous mettrons cela en perspective avec le « manque de temps » évoqué auparavant comme limite de leur autonomie.

L’information donnée par les médecins est source d’insatisfaction chez les patients si elle leur semble :

ƒ trop partielle : ils ne se sentent pas assez informés sur les risques, les effets secondaires des traitements. Le manque d’information diminue la confiance du patient, et entraîne chez lui de la frustration.

ƒ manipulée (« est-ce que les médecins noircissent pas le tableau ») dans le but de leur imposer un traitement.

ƒ inadaptée à leurs attentes : comme dans l’exemple donné par une personne en demande « d’explications sur sa maladie » : « Moi j’ai une polyarthrite [...] on ne m’a jamais dit que c’était une maladie qu’on ne guérissait pas. J’ai été vraiment frustré de ce contact, de ne pas savoir ce qu’était ma maladie. Je l’ai appris par la suite par moi-même, par les associations. On reste frustré de ne pas savoir ce qu’on a. »

Un modèle de décision partagée est évoqué, plutôt comme un idéal (« dans l’utopie peut-être d’une situation idéale, est-ce que si la décision était prise à deux, sans à priori de part et d’autre, que ce soit du patient ou du thérapeute »). Il est fondé sur un

« dialogue » où les informations circulent dans les deux sens, le médecin alternant les rôles d’émetteur et de récepteur. Le patient attend que le médecin s’implique personnellement dans le choix, tout d’abord en présentant les différentes options (« la question de base, moi j’y reviens parce qu’elle me tient à cœur, c’est que

encore faut-il qu’on vous dise qu’il y a plusieurs solutions »), puis en les hiérarchisant (« quand on dit décision prise à deux, c’est : « voilà, je pense, ce qui est le mieux ». Il faut qu’il y ait ce petit dialogue »).

Ce modèle où le patient participe à l’élaboration d’une décision trouve une justification dans les propos d’une des participantes, pour qui un patient actif dans le processus de soins, qui augmente ses connaissances sur sa pathologie, aura de meilleures chances de guérison (« Plus il en sait sur sa pathologie, plus il semblerait qu’il puisse lutter contre. Parce que s’il sait pas, il subit, il est passif ! Et que plus il va augmenter son niveau de connaissance et plus il... c’est peut-être que psychologique... mais après tout pourquoi pas mettre cette chance-là aussi de notre côté... de pas être là comme ça les bras ballants, d’être acteur de son mal et de sa pathologie »).

Ce mode d’interaction repose sur la notion de confiance (« on peut accepter une proposition de soins finalement de quelqu’un qui aura su nous inspirer de la confiance et pis c’est tout ! »). Cette confiance est un critère clé, dont les caractéristiques et les définitions énoncées lors de l’entretien sont les suivantes :

ƒ c’est un passage obligé pour le patient et le médecin. Pour le patient, si tant est que tout soin nécessite une position extérieure (« De toute façon [...] y a un moment où tu es obligé de faire confiance [...] je suis pas sûr que tu sois apte à te soigner toi-même »). Pour le médecin, car le patient n’ira pas consulter un médecin en qui il n’a pas confiance.

ƒ c’est une information transparente donnée par le médecin qui répond le mieux possible aux attentes du patient : « je pouvais faire confiance à la personne [...]

qu’effectivement elle ne m’avait rien caché ».

ƒ c’est indépendant du type de pratique du médecin. Le recours à des médecines alternatives a été évoqué, mais la forme d’exercice n’intervient pas directement dans la confiance. Celle-ci reste attribuée au médecin en tant que personne.

ƒ c’est une écoute de la part du médecin : celui ci doit d’abord percevoir les attentes du patient, y compris dans les non dits, quitte à susciter les questions à la place du patient (« c’est pas parce qu’on dit rien qu’on ne demande rien »). Il doit ensuite appréhender le caractère singulier de la plainte du patient (« le

malade, il dit « J’ai mal de telle façon » : essayer de comprendre ce qu’il veut dire, c’est ça aussi la confiance») et accepter de se pencher sur la complexité de son cas particulier.

ƒ c’est une attitude réciproque : le médecin doit respecter les préférences du patient, l’accompagner dans sa décision, y compris si celle-ci va à l’encontre de ce que le médecin pense être le mieux pour lui (« la confiance, faut qu’elle soit réciproque... [le médecin] a fait confiance à mes capacités [...] et finalement ça a eu encore plus d’effets bénéfiques qu’il le pensait lui-même »).

ƒ c’est un moment d’échange privilégié (« C’est une relation pas qualifiable. C’est un instant de confiance, d’échange, de regard. Pour ma part, c’est l’instant qui va me faire prendre la décision, pas la réflexion »). Il y a donc une possibilité de prise de décision dans l’instant plutôt que dans le temps de la réflexion. Notons que cela contraste avec d’autres conceptions évoquées auparavant, fondées sur ce temps de réflexion et la recherche systématique d’information.

Les trois derniers items montrent l’importance d’une communication à double sens, et pas seulement unidirectionnelle comme dans un modèle médecin émetteur / patient récepteur.

Ce modèle semble rendre acceptables au patient des éléments qui autrement seraient rédhibitoires :

ƒ la subjectivité du médecin : elle semble dans ce cas recherchée par le patient qui attend qu’il lui dise « moi, je pense que ». Alors qu’elle est inacceptable dans une relation de type paternaliste (« il [le médecin] sait ce qu’il sait, mais après tout, est-ce qu’il sait ? Alors il sait plus, c’est sûr qu’il a des connaissances aujourd’hui, mais après tout [...] et puis aussi il a ses croyances »).

ƒ l’absence d’alternative de traitement (« Mais parfois, il peut ne pas y avoir d’alternative, c'est-à-dire que il se peut très bien selon un diagnostic, on dise :

« sincèrement, si vous me demandez mon avis, je pense que c’est ça qui est mieux, maintenant, et dans cette situation ». Des fois il n’y a pas d’alternative, et je pense que là bon, pourquoi lutter ? »).

ƒ l’hésitation du médecin. Lorsqu’elle est expliquée au patient, elle engendrerait plutôt sa confiance (« Ah non, moi l’hésitation du médecin, moi, ça me fait l’effet inverse »).

ƒ l’acceptation de l’échec, et l’évolution vers une responsabilité partagée (« cette décision prise ensemble, en adultes, ça aurait un effet [...] « je te tape pas dessus parce que, en trouvant toutes les excuses du monde, on [l’]avait prise ensemble, et ben ça a pas marché»).

La limite évoquée pour ce modèle est une attitude trop subjective, sans distance professionnelle, qui entraînerait une implication trop personnelle du médecin. Du même coup, le médecin pourrait être gêné dans sa prise de décision (« parfois on a l’impression que c’est peut-être une façon [pour le médecin] de se protéger, de dire

« je parle pas vraiment au patient » [...] c’est peut être une implication qui [...] peut parasiter le diagnostic ou une décision »).

III. 2. 2. Les représentations du médecin

- Les médecins, en général, ont changé : ils sont plus ouverts d’esprit qu’avant.

- L’âge du médecin semble intervenir : les patients craindraient plus les médecins âgés (« si ça avait été un médecin plus âgé, j’aurais peut être craint de faire ça dans son dos, et puis de lui dire après surtout »), alors que la relation est plus détendue avec un jeune médecin (« c’est un jeune médecin, je n’ai rien contre les jeunes mais à mon âge, ça me fait penser plutôt à un de mes fils et la relation est bien sympa, je suis très décontractée avec lui »), le patient ose lui parler plus facilement.

- Le sexe du médecin interviendrait également, pas comme un jugement de valeur, mais là encore comme un facteur qui agit comme une aide ou un frein à la communication. Dans l’exemple ci-après, c’est une femme qui parle : « j’avais à faire à une femme peut-être aussi, je sais pas... J’ai une relation plus facile avec les femmes ou les jeunes filles qu’avec les hommes ».

- Le choix de « son » médecin : une des participantes évoque le médecin comme

« une personne qui nous ressemble », à laquelle on peut s’identifier. Elle emploie le terme d’ « empathie » du patient à l’égard du médecin. Cela suggère que, comme on

parle d’une attitude empathique du médecin vis-à-vis de son patient, il pourrait exister une attitude empathique en miroir du patient qui comprendrait aussi son médecin. Cela fait également référence au transfert sur le médecin.

Les reproches énoncés à l’égard des médecins ont été :

ƒ les attitudes autoritaires, paternalistes du médecin.

ƒ la certitude du médecin. Elle entraîne la méfiance et le doute du patient.

ƒ les médecins « expéditifs ». Certains patients ont exprimé une crainte envers des médecins qui vont proposer d’emblée la solution la plus radicale (« le chirurgien »). Cet item a été cité lors de l’entretien par les personnes les plus âgées du groupe.

ƒ le manque d’ouverture d’esprit du médecin, qui l’empêche d’accepter que le patient cherche et utilise d’autres méthodes de soins que celles que lui préconise.

ƒ les divergences d’avis entre médecins, qui entraînent la confusion du patient.

ƒ la subjectivité du médecin, quand elle n’est pas reconnue.

Les autres critères de qualité attendus de la part du médecin sont :

ƒ être compétent : établir un diagnostic, savoir mettre des mots sur les symptômes du patient.

ƒ utiliser un vocabulaire compréhensible et adapté à chaque patient.

ƒ aborder le patient dans sa globalité, savoir le replacer dans son contexte de vie.

ƒ ne pas considérer le patient comme un objet (« ça donne l’impression de n’être que l’outil de leur technique »).

III. 2. 3. Les aspects de la communication médecin/patient qui peuvent influencer la décision

- Un des participants insiste sur l’importance de la communication non verbale du médecin (son attitude, son regard) : cela met le patient en confiance, le rend

« réceptif ».

- Le lieu : disposer d’un espace agréable et intime est important.

III. 2. 4. Les autres sources d’information que le médecin

Les participants ont évoqué comme nous l’avons vu précédemment le besoin d’une information autre que celle relevant du savoir biomédical. Les recours cités ont été :

ƒ les expériences vécues par d’autres malades, au sein des associations de malades. Celles-ci fondent des à priori qui sembleraient influencer les décisions ultérieures.

ƒ les lectures («lire des choses qui m’ouvrent un peu les yeux»). Cet item est resté assez flou.

ƒ le rôle de l’entourage a été évoqué lors de l’entretien. Les points de vue quant à son poids dans la décision ont été divergents. L’opinion qui semblerait se dégager est la suivante : l’entourage peut aider le patient à assumer sa décision grâce son soutien (ou au contraire augmenter sa difficulté s’il s’y oppose). Le patient n’attend pas que l’entourage participe à la prise de décision.

III. 2. 5. Conséquences sur la notion de responsabilité

Comme nous l’avons vu précédemment, une démarche de décision partagée entraînerait un partage des responsabilités, et une plus grande acceptation de l’échec.

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