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À l’étape de la défence du projet de mémoire, la première esquisse de la grille de lecture (4.3.1), s’est nettement et rapidement avérée, de sorte qu’il a fallu la repenser en- tièrement d’où une deuxième mouture, beaucoup plus détaillée (4.3.2), qui, quoique satis- faisante, devait tout de même subir une dernière petite retouche226(4.3.3).

4.3.1 Première esquisse

Pour les fins du projet de mémoire, une première esquisse de la grille de lecture fut élaborée. Mais, elle s’est rapidement révélée beaucoup trop succinte lors de la défense du projet, car il est vrai qu’elle ne contenait que peu de balises, comportait peu d’indica- tions, et laissait beaucoup de place à la narration ainsi qu’aux commentaires du lecteur.

Cette première version fut tout de même d’une grande utilité dans l’élaboration de la démarche analytique, confirmant du même coup la faisabilité de cette étude, car, ce qui était important à ce stade de la recherche, c’était, d’une part, d’être en mesure de détermi- ner et de confirmer les grands axes du modèle opérationnel, autour des notions de dis- crimination en mileux de travail et du devoir juridique de représentation syndicale, et, d’autre part, d’élaborer une structure d’analyse complète qui soit viable et valable pour les fins de cette recherche, allant donc des variables jusqu’aux indicateurs.

Or, pour ce faire, nous avions, dès le départ, recueilli ici et là une cinquantaine de décisions, tant auprès des Commissions des relations de travail, qu’auprès des Tribunaux des droits de la personne, qu’auprès des Tribunaux supérieurs227, décisions qui nous per-

mirent, à ce stade, de confirmer les principales dimensions de la variable dépendante, qui

(220) Pour une illustration, voir O.H.R.C. and Lilian Kaminski v Pilkington Libbey-Owens-Ford-Lof Glass of Canada Lim- ited et al 2003 HRTO 2 ; Pauline Smith v Smurfit-Stone Container Canada Inc. 2009 HRTO 471, 1298 ; Joseph Perpich v South Essex Community Council 2009 HRTO 469.

(221) Cf. Stanley Dwyer v Chrysler Canada Inc. 2009 HRTO 88 ; Keeling v General Motors of Canada 2009 HRTO 1509. (222) Cf. Goodridge v Toronto Police Services Board 2009 HRTO 94 ; Louise Cartier v Marilyn Nairn 2009 HRTO 2208 ; Mi-

raglia v University of Waterloo and Faculty Association University of Waterloo 2009 HRTO 468.

(223) Cf. David Sharrock v Nanaimo Forest Products and Pulp, Paper & Woodworkers of Canada, local 8 2009 BCHRT 339 ; Ulysse Guerrier v Canadian Imperial Bank of Commerce 2009 HRTO 124 ; Tracy Williams v Clean Harbours Canada Inc. et al 2009 HRTO 710 ; Katherine Zan v Canadian Blood Services and Anna Kelly 2009 HRTO 987.

(224) Cf. Maurice Messiah v Snap-On Tools of Canada Ltd. and United Steelworkers of Canada 2009 HRTO 95.

(225) Cf. Gerarda Fournier v Chrysler Canada Inc. 2009 HRTO 302 ; David Kileen v Soncin Construction 2009 HRTO 2209. (226) c’est cette version qui se retrouve en annexe, accompagnée du résumé de quatre décisions, deux par institu- tion du Québec (soit la Commission des relations de travail du Québec et le Tribunal des droits de la personne du Québec). (227) Nous parlons ici principalement de la Cour supérieure du Québec, de la Cour d’appel du Québec, et de la Cour suprême.

jusque là n’avaient été élaborée qu’à partir de la littérature, ainsi qu’un premier portrait, un peu plus global et substantiel, de la variable indépendante, par le biais des différents motifs illicites de discrimination que nous pouvions dès lors observer dans ces décisions, même s’il n’y en avait que trop peu par institution, ce qui ne nous avait pas permis à l’époque d’en arriver à la vision complète des variables que nous avons aujourd’hui, ce qui, à l’origine, avait faussé quelque peu notre réflexion, et par conséquent, nous avait forcé à reviser, voire même à redéfinir, les prémisses de la grille de lecture.

4.3.2 Modifications et rajouts

La première version étant insuffisante, c’est lors d’une deuxième récolte de quel- ques centaines de décisions, qu’il fut constaté qu’il était très difficile, voire quasiment im- possible, de faire des comparaisons directes, ni même d’établir des ponts, entre les deux types d’institutions sélectionnées228, sans d’abord porter une attention particulière à la no-

tion d’approche juridique : processualiste, contextuelle et axiologique. Or, c’est une réali- té qui n’appartient qu’au droit et qui ne sert qu’à l’analyse des jugements, afin d’éliminer le plus possible les jugements de valeur, suivant en cela le concept de rationalité juridique développé par Michel Coutu (2004). En effet, ce dernier distingue, pour l’essentiel, trois types-idéaux gouvernant la jurisprudence constitutionnelle, tel qu’inspiré par la sociolo- gie du droit de Max Weber. Mais, en faisant les quelques ajustements nécessaires au niveau conceptuel, ces types-idéaux peuvent très bien servir à adapter ses approches, à l’analyse de la jurisprudence de première instance, tant en droit du travail qu’au plan des droits de la personne, et tant au niveau administratif, qu’à celui des tribunaux de droit commun.

Ainsi, le premier de ces types-idéaux est une jurisprudence dite de type formelle, l’approche formaliste, laquelle s’axe sur un positivisme juridique processualiste qui, tout en aspirant à la neutralité axiologique, se base en fait presqu’exclusivement sur des indices de nature purement formels tels que l’application systématique des précédents229, le litté-

ralisme230, ou l’originalisme231. Or, contrairement à Jalbert (2008), nous croyons que cette

approche fondamentale, traduite comme étant l’approche processualiste aux niveaux des commissions des relations de travail et des tribunaux des droits de la personne, trouve son application à toutes les étapes du processus judiciaire, mais plus particulièrement à celles du jugement final, ou des requêtes préliminaires pour jugement déclinatoire rationæ ma-

teriæ ou rationæ personnæ.

(228) que sont, d’une part, les Commissions des relations de travail et, d’autre part, les Tribunaux des droits de la personne. (229) Ce sont les principes du stare decisis et du distinguishing développés plus tôt. Cf. notes 125 et 126.

(230) c’est le fait d’interpréter les textes légaux de façon littérale en se référant en premier lieu à la définition ju- ridique des mots incorporée dans le corps du texte de loi. Par exemple, au Manitoba, les « forêts » sont des biens- fonds non cultivés de la province sur lesquels des arbres ou buissons poussent ou sont sur pied ainsi que les terres désertiques, les marais asséchés et marécages, que les biens-fonds appartiennent à Sa Majesté ou à des particuliers ou qu’ils soient loués de Sa Majesté (Loi sur les forêts, C.P.L.M. chap. F-150, art. 1) et non, vous n’avez pas la berlue : dans cette province aux immenses plaines balayées par le vent, les déserts, les marais asséchés et les marécages sont des forêts ! (231) C’est le fait d’interpréter les textes légaux en se référant au sens usuel des mots. Exemple, dans Nix v Hedden

([1893] 149 U.S. 304) la Cour suprême des États-Unis s’interrogeait à savoir si la tomate était un fruit ou un légume dans un contexte où seuls ces derniers étaient soumis à des restrictions à l’importation ainsi qu’à l’im- position de droits de douane en vertu du Tariff Act (22 Stat. 504, chap 121, March 3, 1883). Or, après un long raisonnement, la Cour estime qu’elle est un légume en raison de l’usage qu’il en est fait dans la société.

Le deuxième type-idéal est une approche dite instrumentale basée sur une

« pondération des intérêts respectifs de l’État et d[es] individus ou de[s] groupes au sein de la société, [pondération qui devient] l’essence même de l’intervention du juge. »232

Développée autour des mouvements rattachés au réalisme juridique, c’est une approche qui, porte essentiellement sur la pondération des intérêts des parties, tout en faisant abs- traction des valeurs propres à l’adjudicateur, qui doit donc ne concentrer son attention que sur la réalité externe du droit, basée sur les éléments essentiels et constitutifs de la règle de droit, ainsi qu’au rapport instrumental étroit qui doit exister entre les moyens utilisés et la fin poursuivie par les parties lors d’un litige. Or, en droit du travail, comme en droits de la personne, cette approche devient l’approche contextuelle, et se traduit en importance accordée à l’autonomie des acteurs et à la primauté de la convention collective, en vue de la sauvegarde de la paix industrielle. Il s’agit donc, ici, de l’approche la plus classique qui soit dans ces secteurs du droit, dominante même, mais non à l’extrême.

Enfin, le troisième type-idéal embrasse les valeurs fondamentales de la société, telles celles codifiées dans les législations touchant les droits de la personne. Il s’agit donc ici, selon Coutu, d’une approche dite axiologique qui se veut, dans les faits, une méthode d’interprétation fondée sur une éthique constitutionnelle de la conviction qui rejette toute neutralité axiologique pour, sur le plan matériel, rechercher une cohérence d’ordre éthi- que qui va au-delà de la simple facture formelle233. En droit du travail comme en droits de

la personne, si le concept est identique, il se traduit, par contre, en une tendance à accor- der une importance hiérarchique prédominante aux valeurs et aux principes fondamen- taux gouvernant la société en général, et le droit en particulier, certaines normes juridi- ques devant donc en transcender d’autres, allant jusqu’à vouloir les appliquer à tout prix,

de facto, et au-delà même des règles propres aux législations du travail234.

Or, ces trois approches, qui ne sont pas strictement nécessaires au modèle analyti- que car il n’ajoutent rien à la démarche opérationnelle, le sont par contre aux fins de l’in- terprétation des décisions. En effet, lorsqu’un adjudicateur rend jugement, il ne le fait pas uniquement en s’appuyant sur un certain nombre de faits juridiques et de règles de droit, ici les motifs de la décision, mais également en sous-pesant tous et chacun des témoigna- ges rendues à l’audience, surtout en première instance, en accordant, ou non, une certaine crédibilité aux différents témoins qui défilent à la barre. Au nivau de la ratio decidendi, il y a donc là l’inclusion d’un certain biais qu’il faut éliminer ou, à tout le moins, dont il faut tenir compte au moment de l’interprétation, car au niveau des institutions du travail, comme au niveau des droits de la personne, il faut souligner que le régime de preuve qui s’applique est le régime civil, c’est-à-dire, par prépondérance235.

(232) Coutu (2004), p. 243 ; repris dans Jalbert (2008), p. 46. (233) Coutu (2004), p. 249.

(234) Dixit l’arrêt Parry Sound, op. cit., note 59, plus particulièrement les ¶¶ 20 et 21, ainsi que 68 et 69.

(235) « Upon establishing a prima facie case, the burden shifts to the respondent to provide a credible and rational explanation demonstrating, on a balance of probabilities, that its actions were not discriminatory. » In Daniel Touseant v The Corpo- ration of the City of Thunder Bay 2009 HRTO 2066 ¶ 10.

Une deuxième page a donc été rajoutée à la grille de lecture initiale, sur laquelle la variable indépendante a été grandement élaborée en tenant compte de ces trois appro- ches ; puis, dans un même souffle, tous les indicateurs de cette variable ont été revus, cor- rigées, raffinés, et reclassés, en fonction des constats observés dans l’ensemble de la ju- risprudence récoltée jusqu’alors.

Par ailleurs, profitant de cette revision de la grille de lecture, et toujours en tenant compte de l’ensemble de la jurisprudence récoltée jusqu’alors, une troisième page a été rajoutée afin de mieux documenter la variable dépendante, mais sans tenir compte, cette fois, des approches, car au niveau de cette variable, il n’y a pas lieu de les considérer outre mesure, étant donné que toute l’attention, dans ce cadre, ne porte uniquement que sur des faits juridiques tangibles (les « gestes concrets ») pouvant permettre de comprendre et d’expliquer, en tout ou en partie, non seulement le comportement de l’acteur syndical, mais également, aider à la compilation des données empiriques quantitatives afin d’être en mesure de mieux étoffer la réponse à la première hypothèse.

Ces changements furent-ils suffisants ? Plusieurs milliers de décisions plus tard, nous

pouvons confirmer que toutes les modifications, ainsi que tous les rajouts, qui ont été ap- portés à la grille de lecture, furent non seulement suffisants, mais se sont également avérés très utiles lors des analyses, ainsi que lors des discussions.

4.3.3 Version finale

Mise à l’essai sur un nombre conséquent de décisions, la deuxième mouture de la grille de lecture s’est rapidement révélée conforme aux attentes mais, même si les résul- tats furents concluants, il fallait tout de même y apporter une dernière modification afin de compléter le tout, à savoir, préciser laquelle des approches dominait au sein d’une dé- cision, alors qu’auparavant, lors des tests préliminaires, elles étaient toutes traitées sur un même pied d’égalité.

En effet, c’est la prééminence de l’une ou l’autre de ces approches qui joue un rôle déterminant dans la compréhension que nous pouvons avoir du raisonnement qu’em- prunte l’adjudicateur lorsqu’il rend jugement, en plus d’être un élément important à l’é- tape des analyses comparatives, ainsi que lors des discussions qui s’en suivent, lorsque vient le temps d’établir l’influence que peuvent avoir certaines institutions sur les autres. Nous avons donc rajouté cette mention au bas de la deuxième page de la grille de lecture, accompagnée de quelques lignes pour commentaires, ou extrait de jurisprudence, et c’est, en bout de ligne, ce modèle final de la grille qui se retrouve en annexe de ce mé- moire et que nous avons utilisée, lors de la collecte des données empiriques, afin de trier et de classer les décisions en vue de leur analyse éventuelle.

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