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Grands carnivores et populations humaines : persécution, conservation

0.1 Le cadre théorique

0.1.4 Grands carnivores et populations humaines : persécution, conservation

En occident, la relation entre les humains et les grands prédateurs a longtemps été animée par la compétition pour les ressources, en particulier le bétail (Ciucci & Boitani 1998; Naughton-Treves, Grossberg & Treves 2003), et a ainsi été largement conflictuelle (Kellert et al. 1996). L‟interaction homme-loup est certainement la plus viscérale et documentée et remonterait à des temps séculaires (figure 0.4a).

L‟abattage (Mech 1970; Moura et al. 2014) et la perte d‟habitats due au

développement anthropique (Corsi, Duprè & Boitani 1999; Terborgh et al. 2001; Houle et al. 2010) ont contribué à la disparition presque complète du loup dans les années 1970 au Mexique, aux États-Unis et au sud du Canada (Mech 1970; Wayne et al. 1992; Hayes & Gunson 1995). Même en territoire sauvage, par exemple au nord du Canada et en Alaska, les programmes de contrôle des prédateurs, initiés dans les années 1950 (Kulchyski & Tester 2007) afin de limiter l‟impact de la prédation sur les grands herbivores (Cluff & Murray 1995; Haber 1996; Musiani & Paquet 2004) ont affecté la densité et la structure des populations de loups.

Figure 0.4 Illustration comparative des visions occidentale (a) et autochtone (b) de l‟interaction entre les humains et les grands carnivores. La vision occidentale, symbolisée ici par le conte du petit chaperon rouge (Perrault, 1697), considère les grands carnivores, le loup en particulier, comme espèce nuisible à cause de la

déprédation du bétail et des interactions agonistiques avec les humains. Cette vision a mené à la stigmatisation et à la persécution du loup par les populations humaines et à des programmes d‟abattage subventionnés dès le 17e

siècle. D‟un autre point de vue, les cultures autochtones percevaient traditionnellement les grands carnivores avec respect et égalité. Ces derniers faisaient souvent l‟objet de figures sacrées et leurs qualités étaient admirées. La chasse de subsistance des grands carnivores est

également une composante culturelle importante dans les communautés autochtones, bien qu‟elle se soit progressivement transformée en activité commerciale avec la traite des fourrures.

Dans les années 1960, en partie suivant la publication de l‟influant ouvrage „Never Cry Wolf’ (Mowat 1963) décrivant ces programmes de contrôle par empoisonnement aux Territoires du Nord-Ouest, l‟attitude du public à l‟égard du loup changea

drastiquement (Williams, Ericsson & Heberlein 2002; Kulchyski & Tester 2007). On passa ainsi de la stigmatisation à la conservation du loup et d‟autres grands

carnivores, voire à leur réintroduction (Kellert et al. 1996). Ce courant porté par le public fut aussi soutenu par la science, nombre d‟études théoriques et empiriques s‟intéressant aux processus de régulation des écosystèmes. Ces études mettaient en lumière l‟importance de la productivité primaire dans la régulation ascendante des populations d‟herbivores (Hairston, Smith & Slobodkin 1960; Hunter & Price 1992;

Power 1992), répliquant aux théories en place qui suggéraient un contrôle par les prédateurs (Solomon 1949; Lack 1954). Le rôle clé des grands carnivores dans les écosystèmes, et les conséquences de leur absence, fut également établi et donna une assise scientifique solide pour justifier les programmes de conservation. Toutefois, cette attitude moins conflictuelle envers les grands prédateurs ne fut pas

nécessairement adoptée par les utilisateurs du territoire, qui affrontaient certains inconvénients liés à la réintroduction des carnivores (Rodriguez et al. 2003; Ericsson & Heberlein 2003; Bowman et al. 2004; Sponarski et al. 2013). De nouveaux

programmes, comme des compensations pour dédommager les pertes causées par la déprédation du bétail ou du gibier furent ainsi adoptés pour inciter les utilisateurs à prendre part aux efforts de conservation (Wagner, Schmidt & Conover 1997; Wabakken et al. 2001; Naughton-Treves et al. 2003; Agarwala et al. 2010). Ces efforts ont contribué à la restauration de nombreuses populations de loup au Canada et à travers le monde, bien que la relation entre loups et les utilisateurs locaux demeure le véritable enjeu de conservation pour le maintien des populations à long terme (Musiani & Paquet 2004).

À l‟inverse de la situation occidentale, la relation entre les communautés autochtones et les grands carnivores reposait traditionnellement sur une cohabitation durable basée sur la tolérance et le respect. Dans cette relation, les grands carnivores représentaient une importante composante culturelle et spirituelle (Figure 0.4b) (Nelson 1983; Berkes 1999; Clark & Slocombe 2009; Laugrand & Oosten 2010).

Il subsiste toujours un débat quant à l‟impact des pratiques autochtones

traditionnelles sur la faune (Kay 1998), mais l‟impact de ces pratiques sur les grands carnivores était vraisemblablement variable selon le lieu et l‟époque considérée. Par exemple, avant l‟arrivée des pièges à patte métalliques et des armes à feu au début du 20e siècle, et des modes de transport motorisés dans les années 1960, l‟impact des chasseurs inuit sur les populations de loups était très limité étant donné la rapidité de

ces prédateurs (Kulchyski & Tester 2007). Par contre, encore suivant l‟exemple inuit, l‟avènement de la motoneige et la croissance de la demande pour les fourrures de loups a contribué à une augmentation importante de la récolte de cette espèce et, par conséquent, représente une préoccupation pour les biologistes de la conservation (Cluff et al. 2010). De plus, en vertu des droits ancestraux reconnus au Canada, les communautés autochtones ne sont pas assujetties à des quotas pour la chasse au loup. Malgré tout, contrairement aux populations du sud du Canada et des États-Unis, les populations de loups du nord du Canada et de l‟Alaska sont demeurées abondantes. Toutefois, les mesures de conservation du loup sont strictement basées sur des décomptes numériques (lorsque disponibles) et reposent sur la conception selon laquelle les loups seraient très résilients à l‟exploitation de par leur capacité à ajuster leur reproduction (Haber 1996). Conséquemment, il est généralement admis que les populations de loups du Nord pourraient soutenir des taux de récoltes annuels de 25 à 50%, allant même jusqu‟à 90% dans le cas de programmes de contrôle de courte durée (Haber 1996). Pourtant, si l‟exploitation des loups ne semble

vraisemblablement pas affecter ta taille des populations, un nombre croissant d‟études tendent à démontrer des impacts importants sur d‟autres aspects de la biologie de l‟espèce. Ces impacts incluent le stress physiologique et la structure sociale des groupes (Haber 1996; Sidorovich et al. 2007; Rutledge et al. 2010; Bryan et al. 2015), les comportements d‟approvisionnement et efficacité à la chasse (Haber 1996), ou encore la génétique des populations exploitées (Moura et al. 2014). Il devient donc impératif de déterminer ces impacts sur les populations de loups.

À ce jour, le loup est classé comme espèce « non en péril » au Canada (COSEPAC, 1999), mais en « danger d‟extinction » aux États-Unis dans les états contigus sauf le Minnesota, l‟Idaho et le Montana où il est classé „menacé‟ (Endangered Species Act, 1978).

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