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Chapitre II. Les grandeurs dans la construction des mathématiques savantes

7. Les grandeurs et le géométrique

Dans cette partie, nous allons montrer certains liens potentiels entre les grandeurs géométriques et le domaine géométrique.

7.1 Les longueurs

Plusieurs mathématiciens, comme Descartes ou Stevin, ont construit les opérations numériques à partir des objets géométriques. Ce passage entre le numérique et le géométrique est réalisé à l’aide des longueurs. Dans cette partie, notre but est de construire les opérations sur les longueurs en utilisant des notions géométriques. Connaissant deux

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segments de longueur x et y et un nombre naturel n, nous allons rappeler comment on peut

définir certaines opérations sur les longueurs comme x

n x nx x y y x , , , , .

7.1.1 Constructions géométriques des opérations sur les longueurs

 L'addition de longueurs : x y

On trace une demi-droite d'origine O et on reporte à l'aide du compas la longueur x et tout à côté on reporte la longueur y. Le segment obtenu a pour longueur x + y.

Figure 2-1. Addition géométrique de deux longueurs

 La soustraction de longueurs :

y

x

Dans notre exemple, y est supérieur à x. On va donc reporter la longueur y et ensuite on reporte la longueur x comme dans l’addition, mais "dans l'autre sens"

Figure 2-2. Soustraction de longueurs

 La multiplication par un naturel : nx

On additionne n fois la longueur x.

Figure 2-3. Multiplication d’une longueur par un naturel

 La division par un nombre naturel :

n x

On trace deux demi-droites d1 et d2 d'origine O.

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l’autre et toujours à partir du point O, on reporte le segment de longueur x et on obtient le

point A.

On trace la droite

AB

n et les droites parallèles à

AB

n passant par

B

1

,B

2

,...,B

n1. Elles

coupent le segment de longueur x en n parties égales.

Par exemple pour n 3, on obtient la construction suivante :

Figure 2-4. Division d’une longueur par un naturel

Cette procédure est une conséquence du théorème de Thalès.

 Bilan sur les constructions géométriques des opérations sur les longueurs

Depuis Euclide et jusqu'au XVIIe siècle, les mathématiques comportent deux grands

domaines : l'arithmétique et la géométrie. On peut établir un pont entre géométrie et arithmétique, en appliquant aux longueurs les opérations sur les nombres. Comme nous l’avons montré, on utilise des objets géométriques, les segments pour déterminer les opérations élémentaires sur les longueurs.

7.1.2 Constructions géométriques des longueurs connaissant une

unité de longueur

Les opérations géométriques suivantes sur les longueurs ont été réalisées par Descartes dans son livre « La géométrie » (Santos-Farias, 2010). Dans ce but, il choisit une unité de longueur et utilise diverses propriétés géométriques. Il détermine géométriquement la multiplication et la division entre deux longueurs, ainsi que la racine carrée d’une longueur.

 La multiplication entre deux longueurs Soit la figure suivante :

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Figure 2-5. La multiplication de deux longueurs

Pour calculer la multiplication entre deux longueurs AD et AC, on prend le segment AB comme l’unité. On sait que les triangles ABC et ADE sont semblables et donc les longueurs de leurs côtés homologues sont proportionnelles, c’est-à-dire

AC AE AB AD . Ce qui peut-être écrit AB AC AD

AE , comme la longueur AB est unitaire, la longueur AE représente le

produit des longueurs AD et AC.  La division entre longueurs

On souhaite construire la division de deux longueurs AE par AD. En prenant la configuration de la figure 2-5 et de façon analogue à la multiplication, on a AB

AD AE

AC .

AB étant la longueur unité, la longueur AC représente la division de AE par AD.  La racine carrée d’une longueur

On veut construire le segment ayant comme longueur la racine carrée d’une longueur. Soit la figure suivante :

Figure 2-6. Construction de la racine carrée d’une longueur

Soit la longueur FG l’unité. Comme l’angle HIF est droit, on obtient que IG2 HG GF . La longueur FG étant unitaire, on conclut que

IG

HG

.

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L’idée de Descartes était de définir les opérations multiplication, division et racine carrée en passant par le cadre géométrique. Il choisit « une unité » de longueur pour construire géométriquement ces opérations. Le passage entre le numérique et le géométrique est réalisé à l’aide des longueurs de segments.

7.1.3 Bilan sur les longueurs et la géométrie

En mathématiques les constructions géométriques des opérations élémentaires à l’aide des longueurs nous révèlent une dynamique entre le cadre géométrique, celui de l’arithmétique et celui des grandeurs. Ces constructions sur les segments apparaissent au collège sous la forme des constructions géométriques à la règle et au compas.

7.2 Les aires

Nous avons choisi de présenter deux approches théoriques concernant les aires. La première travaille sur le concept d’aire sans faire appel aux mesures, c’est la théorie d’Hilbert (Pressiat, 2002, 2009). La deuxième définit les aires à partir de la notion de mesure, c’est la théorie de Lebesgue (1975). Ces théories sont aussi exposées dans le document d’accompagnement « Grandeurs et mesures » (2007).

7.2.1 La théorie d’Hilbert

Euclide a développé dans le livre I toute une théorie des propriétés et des comparaisons des aires sans recours à leur mesure (Pressiat, 2009). Les démonstrations faites par Euclide dans ce livre consistent à ajouter et retrancher des figures congruentes (ou isométriques) à des figures congruentes, pour obtenir d’autres figures congruentes. Le résultat de ces travaux est synthétisé au « Grundlagen der Geometrie » (Fondements de la géométrie) de Hilbert. Dans le chapitre IV de ses Fondements, après avoir défini un polygone comme réunion finie de triangles, il convient qu’un polygone A est décomposé en deux polygones B et C si l’on a A = BUC et si B∩C est réduit à une réunion de segments. La décomposition en un nombre fini de polygones se définit de façon analogue. Suivent alors les deux définitions :

- Deux polygones A et A' sont équivalents par décomposition (ou

équidécomposables) si l'on peut décomposer A en triangles T1 , ... , Tn, et A' en triangles T1' , ..., Tn' de sorte que chaque triangle Ti soit congruent au triangle Ti'.

- Deux polygones A et A' sont équivalents par complémentation (ou

équicomplémentables) s'il existe deux polygones équivalents par décomposition

C et C' tels que C soit décomposé en A et B, et C' en A' et B', avec B et B' équivalent par décomposition.

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Il est clair que si deux figures sont équidécomposables alors elles ont même contenance (sont équicomplémentaires). Bolyai (1832) et Gerwin (1833) démontrent le théorème : "Deux polygones ont la même aire si et seulement si ils sont équivalents par décomposition". Ce théorème assure donc qu’on peut toujours trouver un puzzle pour passer d’un polygone à un polygone de même aire.

Au collège, on se réfère plus habituellement à la méthode d’équidécomposabilité comme la méthode de découpage-recollement. À partir de cette théorie, on justifie aussi la méthode de complémentation. Ces deux procédures seront approfondies dans le chapitre IX de notre thèse.

À partir de ce théorème, on peut démontrer plusieurs propriétés (Perrin, 2006), par exemple :

- Soit ABCD un parallélogramme. La diagonale partage ABCD en deux triangles de même aire.

- Soit ABCD un parallélogramme et soit M un point de [DC]. Alors, l’aire du triangle AMD est la moitié de celle du parallélogramme.

- Soit ABC un triangle et soit M le milieu de [BC]. On a A(ABM) = A(AMC) (la médiane AMpartage letriangle en deux triangles de même aire).

- Soient ABC et DBC deux triangles de même base [BC] dont les sommets A et D sont sur une parallèle à (BC). Alors les deux triangles ont même aire.

La théorie élaborée par Hilbert définit l’aire à l’aide des objets géométriques, les polygones. Ainsi, plusieurs théorèmes géométriques peuvent être démontrés à l’aide des aires, par exemple le théorème de Thalès et de Pythagore.

7.2.2 Lebesgue et la mesure de l’aire (1975)

Lebesgue (1975) souhaite expliquer la notion d’aire et propose un exemple. On suppose qu’on veut paver des différentes pièces avec des carreaux ayant la forme de carrés tous égaux. Pour une première pièce, il suffira de 100 carreaux utilisés convenablement et entièrement et pour un seconde pièce on utilisera 150 carreaux. On dit alors que la première pièce a une aire plus petite que la seconde et on précise en disant que la première a une aire de 100 carreaux et la seconde une aire de 150 carreaux. Après avoir expliqué cette notion d’aire. Lebesgue construit une définition d’aire avec une procédure analogue à celle de la notion de longueur. Dans le plan, on considère d’abord le quadrillage donné par les droites parallèles aux axes à partir d’un carré C. L’aire de ce carré C fermé du quadrillage est égale

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Ensuite, on subdivise les côtés de ces carrés en dix parties égales, on obtient un réseau

R

1 de

carrés qui sont dits les carrés

U

1, il procède de même façon en construisant les réseaux

R

2 ,

3

R

, etc. Comme chaque quadrillage i est la réunion de 100 carrés du réseau i-1, on va

attribuer aux petits carrés

U

i l’aire i

100 1

. La réunion de n carrés aura pour aire n i

100 .

Maintenant on prend un domaine

D

, on compte combien il y a des carrés i

U

formés entièrement de points de

D

; soit

n

i. Comme un carré

U

icontient 100 carrés

U

i 1, on a donc :

...

100

100

100

3 3 2 2 1

n

n

n

n

En dénombrant les carrés

U

i dont certains points appartiennent à

D

, soit

N

i, on a :

... 100 100 100 3 3 2 2 1 N N N N On obtient : i i i i

N

AireD

n

100

100

Autrement dit, Lebesgue encadre l’aire à partir des suites de quadrillages intérieurs et extérieurs.

Lorsque

N

i i

n

i

100

tend vers zéro quand

i

augmente indéfiniment, on dit que le nombre défini

par ces deux suites est l’aire de

D

par rapport à l’unité U . Ainsi, on peut définir une

fonction mesure (l’aire) sur l’ensemble de domaines quarrables, telle que (C) 1. Elle

vérifie les propriétés suivantes :

- Si

D

1 et

D

2 sont quasi-disjointes, alors

(D

1

UD

2

)

(D

1

)

(D

2

)

;

- (D) 0, pour tout

D

;

- est invariante par isométrie : pour toute isométrie

g

et tout domaine

D

,

) ( )) (

(g D D

- Pour tout polygone convexe

P

, il existe une seule application définie sur l’ensemble des polygones et vérifiant les propriétés ci-dessus que telle que

. 1 ) (P

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A partir de ces propriétés, on peut démontrer les théorèmes suivants :

- Tout polygone a une aire

- Si l’on subdivise un polygone

P

en polygones

P

1

,P

2

,...P

m on a m

AireP

AireP

AireP

AireP

1 2

...

- Deux polygones égaux ont même aire

À différence de Hilbert, Lebesgue définit la notion d’aire à partir d’une unité de mesure. Pour construire cette notion d’aire, ce mathématicien emploie des carrés. Ainsi, l’espèce de grandeur aire fait le lien entre des objets géométriques et les nombres considérés comme mesures.

7.2.3 Bilan sur les aires et la géométrie

À travers ces deux théories, on peut observer que la notion d’aire peut être définie à l’aide des objets géométriques comme les polygones, dans la théorie élaborée par Hilbert, ou les carrés, dans la théorie élaborée par Lebesgue. Cependant, ces deux approches théoriques renvoient à deux manières de concevoir la notion d’aire. La première définit les aires sans faire appel aux mesures et la deuxième s’appuie sur une « unité d’aire ». Dans tous les cas, la notion d’aire est toujours attachée aux objets géométriques et cette espèce de grandeur sert à démontrer plusieurs propriétés et théorèmes dans le cadre géométrique.

7.3 Les volumes

La théorie des volumes, au départ, est très proche de celle des aires. En dimension 3, un résultat crucial affirme que les trois pyramides ABCA', BCA'B' et A'B'C'C en lesquelles se décompose un prisme à base triangulaire ABCA'B'C' ont même volume.

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II suffit pour cela de prouver que deux tétraèdres ABCD et ABCD' ont même volume si la droite DD' est parallèle au plan ABC. Mais ce dernier résultat nécessite chez Euclide de la méthode d'exhaustion, c'est-à-dire un découpage continué indéfiniment et une application de l'axiome d'Archimède (ou, de façon moderne un calcul d'intégrale). On comprend alors le troisième problème d’Hilbert : « Étant donnés deux polyèdres d'égal volume, est-il possible de découper le premier polyèdre en des polyèdres et de les rassembler pour former le second polyèdre ? » L’équidécomposabilité des polyèdres dans l’espace a ainsi fait l’objet du troisième des 23 problèmes que Hilbert a posés lors du second Congrès International des Mathématiciens à Paris, en 1900 sous le titre : De l’égalité en volume de deux tétraèdres de bases et de hauteurs égales. Ce problème a été résolu par Max Dehn la même année que Hilbert l’avait posé. Dehn a trouvé une condition nécessaire pour que deux polyèdres de même volume soient équidécomposables. Cette condition fait intervenir un invariant, l’invariant de Dehn d’un polyèdre. Si deux polyèdres sont équidécomposables, leurs invariants de Dehn sont égaux. En montrant que les invariants de Dehn du tétraèdre régulier ayant pour côté l’unité et celui du cube de même volume sont différents, on prouve qu’ils ne sont pas équidécomposables. Ainsi on ne peut pas calculer tous les volumes, en utilisant uniquement le découpage-recollement, l’analogue de Bolyai est faux dans l’espace. À travers cet exemple, on voit que les propriétés de la notion d’aire ne sont pas toutes applicables à la notion de volume. Ainsi, il est nécessaire de définir des théories spécifiques à chaque espèce de grandeur.

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