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Les grandes questions et l’histoire comme laboratoire “Beaucoup de progrès dans les sciences sociales sont dus au génie de ceux qui ont dé-

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couvert, évalué et comparé de manière critique [...] des expériences naturelles dans des domaines où une expérience de laboratoire n’est pas pratique, voire impossible.” – Ernst Mayr (1997, p.29)

Les recherches les plus remarquables en économie au cours des dernières décennies ont été caractérisées par une combinaison de réponses à des questions pertinentes avec les méth- odes les plus convaincantes. Cela a impliqué de se concentrer sur les grandes questions, d’exploiter des techniques ou des modèles de recherche qui fournissent des contrefactuels appropriés, et d’avoir une compréhension approfondie des contextes étudiés.

L’un des aspects qui a reçu le plus d’attention a tourné autour des sources du développe- ment économique. Pourquoi certains pays sont-ils plus riches que d’autres ? Que peut-on faire pour promouvoir la croissance économique et la prospérité ? Selon les mots de Robert Lucas (1998): “[...] Les conséquences pour le bien-être humain qu’impliquent de telles questions sont tout simplement stupéfiantes : une fois que l’on commence à y penser, il est difficile de penser à autre chose.” Ce type de questions remonte aux économistes classiques tels qu’Adam Smith (1776) et David Ricardo (1817) et a reçu des contributions majeures dans la seconde moitié du XXe siècle (Solow, 1957 ; Mankiw, Romer et Weil, 1991). Malgré les progrès remarquables de nombreux pays en développement dans plusieurs domaines, tels que les investissements dans le capital physique ou l’accès à la santé et à l’éducation (Deaton, 2013), nous constatons encore aujourd’hui de grandes différences dans les niveaux de revenus à travers le monde, ce qui a suscité un vif débat sur les causes fondamentales du développement. Pour expliquer ces inégalités persistantes, certains économistes ont souligné le rôle joué par des facteurs tels que la géographie (Sachs et Warner, 1995 ; Dia- mond, 1998), les institutions (North, 1990 ; Acemoglu, Robinson et Johnson, 2001), et plus récemment la culture et son interaction avec la première (Tabellini ; 2010, Nunn ; 2011). Ces derniers temps, non seulement le champ de la recherche économique s’est élargi, mais elle a également connu un changement rapide dans son approche, mettant davantage l’accent sur l’estimation crédible des effets de causalité. Aujourd’hui plus que jamais, les économistes s’efforcent d’évaluer soigneusement les données qu’ils exploitent, de constru- ire des contrefactuels significatifs et d’énoncer clairement les hypothèses qui sous-tendent

leur conception de la recherche, ainsi que de fournir des preuves qui peuvent étayer ces hypothèses. Cette "révolution de la crédibilité" (Angrist et Pishke, 2010), qui a commencé dans l’économie du travail et l’économie publique au début des années 1990 (Angrist, 1990, Angrist et Krueger, 1991), s’est rapidement étendue à des domaines très importants de l’économie du développement (voir les travaux de Duflo, 2001 ; Miguel et Kremer, 2004) et, plus récemment, à des domaines traditionnellement moins quantitatifs tels que l’histoire économique (quelques exemples importants sont Nunn, 2008 ; Dell, 2010).

Cette révolution de la crédibilité s’est accompagnée d’une augmentation extraordinaire de l’utilisation d’expériences naturelles historiques au sein de l’économie (Margo, 2020). La raison en est que l’histoire fournit un laboratoire idéal avec des sources de variation uniques qui permettent d’aborder les grandes questions de manière désinvolte (Cantoni et Yuchtman, 2020). En fait, les événements historiques permettent souvent de vérifier des hypothèses ou d’explorer des questions qu’il aurait été impossible d’aborder à l’époque moderne ou avec des données contemporaines. Un autre avantage de l’adoption d’une perspective historique et à long terme est qu’elle permet de laisser passer suffisamment de temps et donc d’examiner comment différentes dynamiques évoluent ou de prendre en compte les effets d’équilibre général.

Il y a eu une explosion d’études utilisant des modèles de recherche innovants et une variété de techniques tout en tirant parti des données historiques. Par exemple, des variables in- strumentales originales telles que la direction des vents et leur importance pour différentes technologies de navigation, comme celles utilisées par Feyrer et Sacerdote (2009) pour étudier les impacts du colonialisme ou par Pascali (2017) pour explorer l’impact du com- merce sur le développement. La distance à une frontière dans un modèle de discontinuité de régression pour comprendre les effets à long terme des institutions extractives (Dell, 2010) ou des économies d’agglomération (Ahlfeldt et al., 2015). Egalement des instruments de partage de la production qui tirent parti de la variation des facteurs de changement spatial et temporel (Sequeira, Nunn et Quian, 2020).

Au milieu du récent boom des évaluations d’impact et des essais contrôlés randomisés, certains économistes du développement élèvent la voix pour remettre en question l’utilité de ces approches sans réfléchir au contexte des études. Tout d’abord, il est souvent dif- ficile de savoir si les particularités du contexte peuvent rendre les résultats difficiles à extrapoler à d’autres contextes, ce que l’on appelle communément la "validité externe" (Deaton et Cartwright, 2016). Deuxièmement, même sans s’interroger sur la validité ex- terne, une mauvaise compréhension du contexte limite la capacité du chercheur à interpréter de manière exhaustive les résultats et leurs implications (Nunn, 2019). Comme le dit Nunn (2019), sans se rendre compte de l’importance du contexte local, les chercheurs auront une vision incomplète ou incorrecte des questions de recherche elles-mêmes, et une mauvaise compréhension des raisons pour lesquelles certaines politiques peuvent réussir ou échouer. Pour y remédier, il est nécessaire d’acquérir des connaissances plus spécifiques au contexte, d’effectuer un travail qualitatif et de collaborer avec des universitaires locaux dans tous les domaines.

de la littérature sur le développement et l’économie politique. Plutôt que d’explorer un seul sujet et diverses questions qui l’entourent, chaque chapitre explore une question différente dans ce qui pourrait être considéré comme un document de recherche à part entière (d’où l’utilisation du mot "papier" dans les chapitres). De même, bien que l’approche soit tou- jours empirique, les techniques utilisées dans chaque chapitre sont également différentes, et particulièrement adaptées à la question et au contexte étudiés. Les chapitres suivants abor- deront des aspects tels que la manière dont l’émigration affecte les communautés d’origine, les chocs émotionnels qui peuvent affecter le sentiment d’identité nationale et influencer les préférences politiques, ou encore les effets de la ségrégation scolaire sur le bien-être à long terme.

Comme exposé précédemment, cette thèse suit l’approche consistant à utiliser avec soin les données et les techniques économétriques afin d’établir des relations causales. Dans les chapitres, je mets en œuvre un large éventail de techniques économétriques telles que les instruments de partage de poste, voire les études et l’analyse de cohorte, entre autres. Les chapitres 1 et 3 tirent parti des expériences historiques naturelles (à savoir la dias- pora galicienne pendant les années 1900-1930 au chapitre 1 et une réforme majeure de l’éducation pendant la dictature du Chili au chapitre 3) tandis que le chapitre 2 repose sur un cadre quasi expérimental dans lequel les individus sont exposés de manière aléa- toire à des chocs inattendus (par exemple, la perte d’un match du Club de football de Barcelone, un porte-drapeau de l’identité catalane). Les chapitres 1 et 3 s’appuient tous deux sur des données historiques uniques recueillies pour les besoins de cette thèse. Dans le cadre d’une tâche héroïque de collecte de données, j’ai effectué plusieurs voyages en Es- pagne, notamment à Madrid et à Santiago, où j’ai recueilli des données historiques à partir des statistiques espagnoles sur les migrations vers l’Amérique latine, des recensements de l’éducation et de la population et de nombreuses autres sources. Au cours de ces visites, j’ai non seulement pris des milliers de photos de ces documents, mais j’ai également profité de l’occasion pour visiter certaines bibliothèques et lire différents livres, thèses et manuscrits, qui auraient été inaccessibles autrement. Dans le même esprit, juste avant d’entamer mon doctorat, j’ai passé plusieurs mois au Chili à la recherche de certaines données que la plu- part des chercheurs considèrent comme "perdues à jamais". Après avoir pris contact avec des dizaines de personnes, j’ai finalement réussi à trouver ces documents "perdus" dans des archives du ministère de l’éducation dans la banlieue de Santiago. J’y ai trouvé des données sur les inscriptions scolaires pour toutes les municipalités chiliennes au cours des années 80, ce qui constitue la base de l’analyse de la réforme des bons d’études de 1981. Dans les deux cas, j’ai dû passer plusieurs mois à taper les données à la main dans des tessons de papier afin de constituer les ensembles de données qui m’ont ensuite permis d’effectuer les analyses. Enfin, il est essentiel de souligner que cette thèse ne traite pas seulement de questions du type "qu’est-ce qui cause quoi", mais vise également à quantifier ces relations et à approfondir le "comment et pourquoi", en étudiant les mécanismes qui sous-tendent les conclusions principales. Pour guider cette analyse, elle s’appuie sur une compréhension ap- profondie du contexte de chaque étude et sur une lecture approfondie de la littérature dans d’autres domaines tels que l’histoire et la sociologie. Cette combinaison de questions de recherche ambitieuses, de méthodes rigoureuses et d’une approche multidisciplinaire sont

les traits distinctifs de cette thèse.

Littérature et principales contributions

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