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3.4 Modélisation des gradients spatiaux de la biomasse

3.4.2 Gradients spatiaux de la biomasse en Amazonie

En Amazonie, l’évaluation d’ORCHIDEE à l’aide de mesures de terrain (Malhi et al., 2004, 2006 ; Chave et al., 2010 ; Aragão et al., 2009) révèle que la gamme de biomasse simulée est réaliste, mais que l’allocation de produits de la photosynthèse est systématiquement trop forte pour les parties ligneuses aériennes (Figure 18) et trop faible pour les racines fines et les feuilles. L’excès de carbone alloué au bois est compensé par une perte de biomasse par la mortalité également trop forte, ce qui explique la gamme de biomasse réaliste : 3,33% de la biomasse est prélevée par an dans le modèle, alors que les mesures montrent un taux moyen de 1,8% (Malhi et al., 2004). On a donc deux erreurs qui se compensent pour donner une biomasse du bon ordre de grandeur.

La distribution spatiale de la biomasse simulée est différente de celle montrée par les mesures de terrain : le modèle donne les plus fortes biomasses au pied des Andes, alors que les plus fortes biomasses mesurées se situent en Amazonie Centrale et dans les Guyanes (Malhi et al., 2006). Les différences de gradients spatiaux de biomasse s'expliquent en partie par la mortalité fixe dans le modèle, alors que les mesures de terrain montrent que le taux de mortalité est plus élevé pour les forêts où les arbres croissent

51 plus vite (Malhi et al., 2004). En conséquence la biomasse simulée croît avec la productivité primaire nette (voir Figure 18c), alors que les mesures de terrain montrent que les forêts à croissance rapide ont eu une biomasse plus faible en raison d'une plus forte mortalité (Phillips et al., 2010).

Figure 18 : Evaluation de la biomasse ligneuse aérienne (AGW : above ground woody) et de la part de la productivité primaire nette allouée à cette biomasse en Amazonie. En noir : données in situ (Malhi et al. 2004, 2006) ; en rouge :

modèle ORCHIDEE. Issus de Delbart et al. (2010).

Cette étude montre donc que même si la productivité primaire nette était correctement simulée, les gradients spatiaux de biomasse seraient faux en raison d’une mauvaise modélisation de l’allocation et de la mortalité. En particulier, et c’est le principal résultat de cette étude, on peut conclure qu’un taux de mortalité constant spatialement, fixé pour le PFT, empêche de modéliser les gradients spatiaux de biomasse.

Delbart et al. (2010) discutent ensuite de la possibilité de résoudre ce problème via une formulation empirique de la mortalité, établie grâce aux données disponibles, dans laquelle le taux annuel de mortalité dépend de la productivité, avec une mortalité plus importante pour les fortes productivités, sous la forme suivante :

52 Avec K et α deux paramètres étalonnés empiriquement grâce aux données disponibles (Figure 19). Ce qui implique que :

Biomasse à l’équilibre = K × NPPAGW α

Figure 19 : Etalonnage empirique de la relation entre le temps de résidence du carbone dans les parties ligneuses et la productivité primaire nette de bois. Haut : observations (carrés), meilleur ajustement avec α=-1 (trait fin), meilleur ajustement avec α et K étalonné conjointement (trait épais) lors de l’exploration systématique (en bas) de la différence

quadratique moyenne entre les données et les modèles et suivant la minimisation de cette différence.

Dans la formulation proposée, K et α sont fixés grâce aux données pour l’ensemble de la forêt amazonienne. Cette formulation nécessite pour que les gradients spatiaux de biomasse soient correctement modélisés que NPPAGW soit également spatialement correctement modélisé. Or on a vu que la fraction d’allocation dans le modèle pose également problème. L’introduction de cette formulation de la mortalité est inutile tant que celle de l’allocation n’est pas améliorée.

53 Au-delà, a posteriori il me semble que cette proposition dans Delbart et al. (2010) soulève deux questions assez problématiques. Tout d’abord, les données de biomasse disponibles, et a fortiori les données de productivité qui en sont dérivées, comprennent une forte incertitude et surtout sont très peu nombreuses au regard de l’échelle de l’étude. Ceci est d’autant plus marqué que d’autres études montrent des gradients spatiaux de biomasse différents de ceux révélés par les données de Malhi et al. (2006) utilisées ici. En particulier Saatchi et al. (2007) utilisent les données de télédétection disponibles pour établir une carte de biomasse pour l’ensemble du biome tropical, et montrent des gradients spatiaux de biomasse allant en sens inverse de ceux de (Malhi et al., 2006). Etant donné la difficulté de la mesure de terrain de la biomasse forestière en milieu tropical humide, et étant donné que les données de télédétection actuellement disponibles et utilisées dans Saatchi et al. (2007) ne sont pas réellement adaptées à l’estimation de la biomasse, il est actuellement impossible de dire quelle carte donne les meilleurs gradients spatiaux de biomasse, et donc de réellement évaluer ceux simulés par ORCHIDEE. Cette incertitude devrait être levée dans le futur avec développement du satellite BIOMASS par l’Agence Spatiale Européenne, dont le lancement est prévu en 2020, et dont la mission est d’établir une carte de la biomasse forestière à l’échelle mondiale (Le Toan et al., 2011). Le second problème est que la formulation proposée (Delbart et al., 2010), basée sur les données, et qui pose que la mortalité dépend directement de la productivité, implique entre autre qu’une péjoration des conditions climatiques, qui réduirait la productivité, induirait à long terme une augmentation de la biomasse forestière. Ceci peut paraître étrange mais reflète les différences entre les peuplements actuels, avec des peuplements à pousse lente mais à forte biomasse, et d’autres à pousse rapide mais à plus faible biomasse. Derrière ceci on suppose que lorsque les conditions sont favorables, les espèces à pousse rapides mais forte mortalité sont favorisées par rapport aux autres dans la compétition pour la lumière et pour les autres ressources, alors que lorsque les conditions sont un peu moins favorables l’avantage va aux espèces à plus long temps de résidence mais à pousse plus lente. Cependant il est également tout à fait possible que le lien observé entre le temps de résidence et la productivité ne soit pas un lien de causalité mais une simple co-occurrence, et que la formulation proposée ne reflète en réalité qu’un état de fait. Si la mortalité ne dépend pas directement de la productivité, alors une baisse de la productivité implique au contraire une baisse de la biomasse sur le long terme, ce qui est en soit plus intuitif. Il s’avère que la relation entre le temps de résidence et la productivité s’accompagnent de différences pédologiques (Figure 20). Il est donc possible d’émettre l’hypothèse que le sol pilote directement la productivité d’un côté, et de l’autre la mortalité via des différences d’espèces, mais aussi de profondeur de sol et de relief. J’ai donc exploré, via un encadrement de mémoire de M1 (Rosenthal, 2014), le lien entre la mortalité, la biomasse et la productivité d’un côté, et le sol de l’autre. Ce travail de géomatique n’a pas permis de mettre en évidence comment contraindre les simulations grâce aux données pédologiques disponibles. En résumé, la relation spatiale observée

54 entre la mortalité et la productivité ne peut pas nécessairement être retranscrite en une relation temporelle.

Ainsi de cette étude ce qu’il faut retenir est que fixer un même taux de mortalité (ou autrement un dit un même temps de résidence de carbone) pour tout le biome « forêt tropicale humide » empêche de modéliser correctement les gradients spatiaux de biomasse. En effet ceci impose que les plus fortes biomasses soient simulées pour les fortes productivités, ce qui n’est pas conforme aux données pour ce biome. Ce résultat, simple une fois évoqué ainsi, a été atteint en suivant une approche de validation basée sur l’évaluation des gradients spatiaux et non pas la validation en un nombre restreint de points.

A ma connaissance rien ne permet aujourd’hui de trancher cette question de la bonne formulation de la mortalité dans un DVM. Cependant cette question est essentielle. Jusque récemment les données de terrain de biomasse et de productivité ont montré que les forêts humides amazoniennes se comportent comme un puits de carbone (Phillips, 2009 ; Pan, 2011) : la biomasse de la forêt non impactée par la déforestation s’accroit. Une étude récente (Brienen et al., 2015) montre que ce puits s’affaiblit, en raison d’une diminution du taux de résidence du carbone dans les parties ligneuses du couvert, donc d’une augmentation de la mortalité. La biomasse s’accroit donc moins vite. Ce puits représente environ un huitième des émissions anthropiques de carbone. Le modéliser correctement est nécessaire pour affiner les scénarii de mise en œuvre des mesures à suivre pour respecter l’objectif de la COP21 de 2°C d’élévation de la température mondiale.

Figure 20 : Relation entre le temps de résidence du carbone dans les parties ligneuses et la productivité primaire nette, en fonction des types de sols donnés dans Malhi et al. (2004). Issu de Delbart et al. (2010).

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3.5 Conclusion du chapitre

A partir de la simulation du fonctionnement physique et biologique à des pas de temps infra-journaliers et journaliers, les DVMs quantifient les variations interannuelles et spatiales des échanges de carbone entre les écosystèmes et l’atmosphère. D’autres processus interviennent à des pas de temps annuels : mortalité, allocation du produit de la photosynthèse aux différents organes, compétition entre les PFTs, ce qui permet de simuler certains traits relatifs à la structure de l’écosystème comme la biomasse.

La télédétection et les données in situ sont intervenues pour étalonner certains paramètres et pour évaluer les simulations de plusieurs variables. On a vu qu’une modélisation correcte de la phénologie est nécessaire pour quantifier la production primaire brute (GPP) annuelle et donc les échanges de carbone nets (NPP et NEP), et qu’affiner la simulation de la mortalité s’avère également indispensable pour simuler les gradients spatiaux de biomasse. Les travaux ont donc porté sur deux processus, parmi des dizaines d’autres. Cet étalonnage et cette évaluation ont été réalisés à l’échelle du biome, en adéquation avec le caractère global des DVMs dont l’une des applications est de fournir des tendances futures sur le devenir des puits et des sources de carbone, et plus généralement du climat lorsqu’ils sont couplés avec des modèles de circulation atmosphérique. Cette échelle de travail est aussi en adéquation avec celles des données de télédétection et avec l’incertitude de huit jours sur la date de début de printemps, qui est bien inférieure aux variations phénologiques du nord au sud de la Sibérie. Des travaux à l’échelle du site ont également été menés grâce à une approche bien plus détaillée visant à étalonner un grand nombre de processus sélectionnés rationnellement afin d’améliorer les simulations à l’échelle du biome toundra (Dantec-Nédélec et al., 2017). Pour finir, rappelons que par construction, ces modèles fournissent des réponses sur les changements écosystémiques liés aux variations climatiques, alors que les changements liés à l’usage anthropique du sol ou des ressources ne peuvent qu’être prescrits. Les conséquences des changements anthropiques d’occupation du sol sur des variables telles que l’albédo, l’évapotranspiration ou le bilan de carbone peuvent être simulés mais pas les changements eux-mêmes. Au chapitre suivant nous analyserons les dynamiques fonctionnelles des éco-hydro-systèmes pilotées par les variations climatiques. Au chapitre 5 nous nous intéresserons aux changements de l’occupation du sol qui s’expliquent en grande partie par l’impact anthropique sur l’usage du sol mais aussi par une variabilité de la ressource en eau. Séparer les effets climatiques des effets anthropiques sur les dynamiques paysagères est l’un des objectifs des travaux en cours.

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4 Réponse des milieux naturels à la variabilité climatique :

phénologie et ressources hydriques

4.1 Introduction

Comme vu précédemment, la télédétection permet un suivi quasi continu de différents traits fonctionnels et structuraux de l’environnement. On peut dériver à partir des séries temporelles d’images de télédétection des indicateurs annuels du fonctionnement, tels que celui développé sur la date de début de printemps (chapitre 2). Ceux-ci sont utilisables pour étalonner ou valider des modèles simulant des ensembles larges de processus et dont l’objectif est de dériver des variables complexes relatives au bilan de carbone et de simuler l’évolution future des écosystèmes (chapitre 3). En parallèle, l’analyse de ces séries temporelles informe directement sur les effets de la variabilité et des tendances climatiques sur les milieux. Par ailleurs, les corrélations entre les variations interannuelles de plusieurs traits fonctionnels indiquent ou bien une causalité climatique commune, ou bien une influence d’une variable sur une autre.

L’objet de ce chapitre est l’analyse de la variabilité interannuelle des milieux, suivant différents questionnements :

- Comment le climat influence-t-il certains traits fonctionnels du milieu ?

- Différents traits fonctionnels évoluent-ils conjointement et s’influencent-ils mutuellement ?

- Comment la variabilité du milieu avec le climat influence-t-il les ressources nécessaires à l’homme ?

En particulier sont analysées : la variabilité de la phénologie avec le climat dans les régions de taïga eurasienne et de la toundra arctique, la relation entre le manteau neigeux et la végétation boréale, entre le manteau neigeux andin et la ressource hydrique en Argentine, et enfin les crues annuelles du fleuve Sénégal et l’agriculture.

4.2 Utiliser d’autres produits issus de la télédétection : le cas des

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