• Aucun résultat trouvé

Gouvernance climatique et trajectoires de développement durable: les enjeux de

Chapitre 2. Curriculum Vitae

4.1. Le changement climatique, nouvel enjeu pour les processus de développement durable et

4.1.3 Gouvernance climatique et trajectoires de développement durable: les enjeux de

Face aux enjeux climatiques, l’évaluation des effets des institutions et des politiques s’impose pour penser les innovations institutionnelles dans le domaine des politiques d’atténuation (Auld et al., 2014) ou pour aider à la décision sur des priorités d’action pour l’adaptation (Hannah et al., 2013). Ce domaine d’étude est relativement récent dans la mesure où les institutions et politiques pour faire face aux enjeux climatiques le sont également. En outre, la nécessité d’évaluation est souvent mal prise en compte dans les projets visant à l’atténuation (e.g. REDD, Caplow et al. (2011) ou fonds global pour l’environnement, Biagini et al. (2014)) ainsi que dans les processus d’adaptation (Dovers et Hezri, 2010). Deux grands types d’approches sont néanmoins mis en œuvre : 1) l’évaluation de l’intérêt potentiel et la robustesse face à ces enjeux climatiques d’options connues et d’instruments existants, 2) l’évaluation des effets potentiels d’instruments nouveaux et spécifiquement définis pour faire face aux enjeux climatiques.

Nous présentons ci-après les différents enjeux en termes d’effets des institutions et des politiques pour faire face au changement climatique ainsi que les différentes caractéristiques spécifiques conduisant à des enjeux méthodologiques pour l’évaluation de leurs effets.

Efficacité et d’efficience

Dans un contexte de financement qui reste limité, l’efficacité et l’efficience sont des critères primordiaux pour juger du succès des politiques visant à faire face aux enjeux climatiques (Adger et al., 2005) ; et comme pour les politiques environnementales, l’évaluation de l’efficacité et de l’efficience des politiques climatiques posent différents problèmes: 1) le choix d’un horizon de temps sur lequel les évaluer, problème renforcé par l’incertitude des changements auxquels elles sont censées faire face, 2) le choix des échelles (ou périmètre) d’évaluation, 3) le choix de métrique d’évaluation, 4) la complexité des interrelations entre facteurs et des chaines causales.

 Incertitude et choix des horizons de temps

La mesure de l’efficacité des instruments pour faire face au CC se fait dans une situation de multiples incertitudes en terme de temporalité (timing), de magnitude et d’orientation (Smith, 1997). Ces incertitudes ont des implications en termes d’effet des instruments selon les horizons de temps considérés. En effet, même si les modifications du climat commencent à s’opérer, les modifications majeures sont attendues pour un horizon de temps de plusieurs dizaines d’années. Ainsi, une politique ou un instrument apte à répondre à l’enjeu aujourd’hui à court terme, ne l’est pas forcément à long terme. L’évaluation doit donc prendre en compte de manière claire et systématique les différents horizons de temps.

Ce problème d’horizon de temps est particulièrement sensible pour l’analyse des effets en termes d’adaptation au CC. En effet, face à une situation où les acteurs peuvent avoir tendance à repousser la mise en place de solutions et d’actions face à l’incertitude du risque encouru, la décision actuelle repose sur une anticipation de problèmes futurs. L’analyse de l’efficacité suppose donc de considérer si les instruments modifient des processus d’irréversibilité, ou si ils permettent de mettre en place des actions qui seront plus difficiles à prendre plus tard (Smith, 1997).

 Le choix des échelles et des périmètres d’évaluation

Le choix de l’échelle et du périmètre de l’évaluation est aussi un critère sensible pour l’évaluation de l’efficacité et de l’efficience des politiques climatiques.

Le choix de l’échelle et du périmètre est particulièrement sensible concernant l’évaluation des instruments visant à l’atténuation, notamment du fait de processus de fuite (leakage). En effet, la réduction des émissions de GAS sur un espace donné suite à la mise en place d’un dispositif peut conduire au « déplacement » du problème vers d’autres zones. Ce risque de fuite a été discuté dans la littérature traitant des PSE, e.g. Engel et al. (2008). De même, les résultats d’évaluation peuvent être différents si l’on considère les émissions de GAS des seuls systèmes de production agricoles ou si l’on considère l’ensemble du système alimentaire (incluant les modes de consommation). Par exemple, Popp et al. (2010) ont montré qu’un changement des modes de consommation de viande aurait davantage d’effet sur les émissions de GAS qu’une modification des seules pratiques d’élevage.

 Le choix de la métrique

L’évaluation de l’efficacité et de l’efficience pose le problème du choix de métrique avec laquelle les évaluer. Cet enjeu de définition et de choix de la métrique se pose différemment selon les problématiques liées au changement climatique.

Pour l’atténuation, le choix de la métrique est relativement aisé puisqu’il s’agit de réduire les émissions des GAS. Ainsi, même si elle fait l’objet de multiples débats (Amstel et al., 1999; Janssen et al., 1999; Lim et al., 1999; Vine et al., 2000; Rypdal et Winiwarter, 2001; Griscom et al., 2009), une métrique s’est imposée afin de mesurer les effets des politiques en termes d’atténuation: la tonne d’équivalent CO2.

Pour l’adaptation, la mesure de l’efficacité est plus complexe, et plusieurs indicateurs ont été avancés dans la littérature : le niveau de vulnérabilité des producteurs et des territoires (Eakin, 2005), le niveau de résilience du socio-écosystème, ou encore la « capacité adaptative » des sociétés face au changement climatique (Eakin et Lemos, 2006; Eakin et Lemos, 2010). Toutefois, ces indicateurs posent différents problèmes. Ils ne sont pas simples à renseigner et font appel à de multiples variables. Certains indicateurs, comme la capacité adaptative, dépendent aussi des institutions locales (Eakin et Lemos, 2006; Eakin et Lemos, 2010), positionnant ainsi les institutions dans des situations ambivalentes de variables explicatives et de variables à expliquer dans des processus d’analyse des effets. D’autres indicateurs, comme celui de la vulnérabilité, dépendent de multiples facteurs parmi lesquels les variables climatiques ne sont pas forcément les plus prégnantes.

Par exemple, l’incertitudes des marchés peut être un facteur plus important que la variabilité climatique pour expliquer la vulnérabilité des populations rurales (Eakin, 2005).

 La complexité des processus et des chaines causales

La complexité de l’évaluation des effets des politiques et instruments climatique est accrue par la multiplicité des facteurs qui interagissent et conduisent aux modifications des trajectoires de développement, ainsi que par la complexité des chaines causales qui lient les variables climatiques aux dynamiques des usages des sols et des modes de vie (Dasgupta et al., 2014).

Equité

Dans un contexte où le CC va modifier les conditions de production agricole sur l’ensemble de la planète et affecter les producteurs (et les consommateurs) de produits agricoles (Vermeulen et al., 2012), certains segments de la population (les plus vulnérables, les plus pauvres) risquent d’être particulièrement affectés avec des conséquences plus graves que pour d’autres segments de la population (Thomas et Twyman, 2005). Ainsi, l’évaluation des effets des politiques et instruments visant à l’atténuation et l’adaptation ne peut éviter la prise en compte des dimensions d’équité. De nombreux auteurs ont ainsi souligné les problèmes d’équité posés par la mise en œuvre d’instruments visant à l’atténuation soit à l’échelle internationale entre pays, comme par exemple dans le cas du mécanisme de REDD (Griscom et al., 2009), soit à l’échelle nationale entre différents segments de la société, comme par exemple dans le cas des PSE carbone au Mexique (Brown et Corbera, 2003). Dans le même ordre d’idées, Adger et al. (2005) ont souligné l’importance de prendre en compte les critères d’équité dans l’évaluation des politiques et instruments visant l’adaptation.

La prise en compte de multiples objectifs

La prise en compte des enjeux de CC ajoute de nouveaux objectifs aux instruments affectant les dynamiques de développement en milieu rural. L’enjeu de trouver des compromis (trade off) et des synergies entre de multiples objectifs est renouvelé. Le défi pour l’évaluation est alors de pouvoir renseigner différents types de compromis.

 Compromis entre efficacité et équité

A l’instar des instruments visant à la provision de SE, e.g. Calvet-Mir et al. (2015), la question de compromis entre efficacité et équité est présente pour les politiques d’atténuation et d’adaptation. Ainsi, Beuchelt et Badstue (2013) ont montré que la mise en place de pratiques agricoles pour lutter contre le changement climatique, pouvait avoir des effets négatifs en termes de bien-être des populations. Caplow et al. (2011) ont souligné la complexité de mesure des co-bénéfices entre atténuation et bien-être ainsi que le faible recours à des évaluations rigoureuses sur ce point du fait d’un manque d’intérêt des communautés à y prendre part.

 Compromis entre atténuation et adaptation

Plus spécifiquement lié à l’enjeu et aux politiques climatiques, l’équilibre entre objectifs d’atténuation et d’adaptation fait l’objet de nombreuses analyses et débats, e.g. Landauer et al. (2015) ou Tol (2005). En effet, alors que tous les auteurs soulignent les différences entre ces objectifs, certains relèvent les possibles synergies entre atténuation et adaptation, e.g. Locatelli et al. (2015)109 et Kongsager et al. (2016), d’autres soulignent les tensions et les choix contradictoires que

109 Locatelli et al. (2015) ont identifié dans la littérature 3 conceptualisations des liens possibles entre atténuation et mitigation : 1) une conceptualisation en terme de « résultats joints » (« joint outcomes ») qui souligne que des activités sans objectifs liés au climat peuvent délivrer des résultats joints en termes d’atténuation et d’adaptation, 2) un conceptualisation en terme d’ « effets collatéraux non intentionnels » (« unintended side effects »), dans le cas d’actions définies dans le cadre de l’un des deux agendas (atténuation ou

la poursuite de ces deux objectifs peuvent entrainer, e.g. Landauer et al. (2015), enfin d’autres prônent l’intégration des deux objectifs, e.g. Wilbanks et al. (2007).

 Compromis entre services écosystémiques

Les instruments visant à atténuer ou à s’adapter au CC peuvent affecter d’autres dimensions du développement durable. Au-delà de la dimension sociale (compromis entre efficacité et équité), les politiques et instruments climatiques peuvent avoir des effets sur la dimension environnementale ou la dimension économique du développement durable. En effet, les politiques climatiques, et en premier lieu celles visant à l’atténuation, sont focalisées sur un seul type de SE (régulation du climat), affectant éventuellement la fourniture d’autres SE. Plusieurs compromis sont alors en jeu : entre fourniture de service de régulation du climat (séquestration de carbone) et services d’approvisionnement (production agricole) (Paterson et Bryan, 2012) et ses conséquences en termes de sécurité alimentaire et/ou de revenu des populations rurales ; entre services de régulation du climat et biodiversité, e.g. Power (2010).

 L’enjeu d’évaluations multiples et multicritères

L’évaluation des effets des politiques et instruments intégrant les enjeux climatiques constitue donc un défi du fait des caractéristiques propres aux spécificités des enjeux climatiques (incertitude, horizon de temps,…) et des politiques et instruments eux-mêmes (politiques et instruments récents, multiplicités des objectifs). Les effets des politiques de changement climatique sont encore peu connus, et si des évaluations des instruments et institutions ont été réalisées pour les politiques d’atténuation, l’analyse des effets des politiques d’adaptation reste jusqu’ici très peu développée. De plus, ces évaluations posent de multiples défis méthodologiques (absence de recul historique limitant les approches ex-post, métrique, isolement des facteurs explicatifs et complexité des chaines causales, hétérogénéité des situations, interactions entre multiples politiques, multiplicité des objectifs). Aussi, la prise en compte du CC et l’évaluation des effets des instruments visant à lui faire face posent de nouveaux enjeux en termes de processus et méthodes d’évaluation multiples et multicritères.