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A - Une gestion traditionnellement passive du patrimoine privé

Le souhait de maintenir dans la continuité le patrimoine privé des établissements fait traditionnellement partie de la culture hospitalière.

Dans la présentation en première page de son ouvrage « Vignobles et hôpitaux de France 44», la société française d’histoire des hôpitaux indiquait « le pouvoir central s’est toujours efforcé de faire vendre ces

« biens de main morte » notamment pour les convertir en rentes sur l’Etat… La Révolution en aliéna une très grande partie et souvent à vil prix. L’Etat pendant les XIXème et XXème siècles fit constante pression pour la vente des biens hospitaliers. Quelques établissements grâce à la sagesse et à la perspicacité de leurs administrateurs sauvèrent cependant et non sans difficulté, ce qui fut longtemps appelé le « bien sacré des pauvres » et qui est un des témoignages encore vivant de notre Civilisation. »

Cette situation n’a évolué que lentement. Ainsi, les HUS de Strasbourg se sont séparés de leurs vignes, déficitaires, en 1999.

Toutefois, le conseil d’administration a refusé de renoncer entièrement au label viticole ainsi qu’à la cave, située sous le bâtiment administratif au cœur de l’hôpital civil, en centre ville. L’AP-HP a des revenus réguliers de cession de son patrimoine privé (en dehors des sites hospitaliers désaffectés), autour de 9 M€ en moyenne entre 2001 et 2010, mais sans qu’une stratégie de valorisation définie dans la durée ait été rendue publique.

La gestion active du patrimoine privé a de fait été généralement une préoccupation secondaire. Dans de nombreux établissements, aujourd’hui encore, il est mal connu, à la fois en termes physique et financier,. Sa gestion est parfois confiée à un tiers spécialiste des questions patrimoniales, qui effectue, sans toujours un contrôle suffisant de l’établissement, les tâches de base, sans objectif précis d’optimisation des recettes qu’il procure et sans contrainte globale d’amélioration de sa contribution à la réalisation des projets portés par ailleurs. Le rendement

revanche, une proposition d’achat a été faite et est cours d’expertise par l’établissement.

44. Supplément au Bulletin de la Société française d'histoire des hôpitaux, n°92 avril 1998.

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réel de ce patrimoine n’est pas au demeurant apprécié de manière rigoureuse. En effet, les responsables hospitaliers raisonnent traditionnellement en termes de coûts et recettes marginaux pour appréhender les bénéfices de la DNA, ce qui exclut la prise en compte de l’ensemble des coûts associés à ces biens, y compris le coût d’opportunité que représente le fait de les conserver alors que le produit de leur vente pourrait participer au financement des investissements ou au désendettement des établissements.

La gestion des terres agricoles, des forêts ou des vignes par la plupart des hôpitaux qui en détiennent est révélatrice de ce manque d’intérêt pour leur valorisation, qu’il s’agisse de cession ou d’exploitation. Ces biens sont les plus courants dans l’actif de la DNA, mais leur recensement est parfois lacunaire, la connaissance de leur valeur souvent approximative, et leur mise en valeur peu dynamique (ce que n’expliquent pas à elles seules les contraintes juridiques qui s’attachent aux baux ruraux).

En ce qui concerne les terres, la plupart des établissements les cèdent sur demande des fermiers ou de collectivités locales souhaitant réaliser des aménagements mais ils ne témoignent guère souvent d’une volonté de mettre en œuvre une politique déterminée de valorisation, même si les plus grands établissements ont récemment commencé à définir une stratégie à cet égard. Il est vrai que celle-ci est en tout état de cause complexe, car la valeur du terrain dépend de son classement en termes d’urbanisme et des perspectives éventuelles d’évolution de ce classement. La vente de parcelles individuelles, parfois de petite taille, peut de surcroît générer des délais et des frais de gestion importants. Pour y remédier, certains établissements cherchent à vendre en bloc. Ainsi, les HUS, propriétaires de 1900 ha de terres, ont étudié la possibilité de vendre en une seule fois à la communauté urbaine de Strasbourg les terrains situés sur son territoire, mais les négociations sont pour le moment bloquées car la proposition faite par cette dernière (13,5 M€), considérée comme trop faible, n’a pas été acceptée par l’hôpital. Pour sa part, l’AP-HP, qui dispose de 588 ha de terres agricoles, a fait le choix, après avoir réalisé elle-même les premières opérations, de passer, à l’automne 2010, un appel d’offres pour externaliser la vente de tous les terrains pour lesquels une évolution des règles d’urbanisme est peu probable. Le plus souvent, le produit de cessions est faible, mais les fermages l’étaient également. La charge symbolique de ces ventes est en revanche forte, car elles mettent à mal la vision de l’hôpital riche propriétaire et elles envoient un signal pour encourager la cession de biens de plus fort potentiel.

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D’autres actifs ont une valeur non négligeable. C’est d’abord le cas des forêts. Leur gestion courante est généralement confiée à l’Office national des forêts (ONF) mais, même quand le cours du bois est favorable, le rendement de l’exploitation des forêts reste faible car les établissements ne réalisent pas toujours les investissements nécessaires à leur bonne exploitation ou ne le prévoient pas dans les conventions avec l’ONF (voirie, entretien, renouvellement des plantations…). Ainsi, le CHU de Dijon, qui se dit le plus important propriétaire forestier de Bourgogne avec 2 300 ha ne procède à aucun suivi de la gestion de ce patrimoine, confié à l’ONF. Confronté à un déficit de 6 M€ en 2010 et à la nécessité de trouver des sources de revenu pour financer 350 M€

d’investissement non couverts par sa capacité d’autofinancement, il a décidé de céder une partie de ce patrimoine : le choix a porté sur uniquement 10 % des propriétés, choisies avec l’ONF parce qu’elles étaient les moins rentables et les plus dispersées.

La question des vignes est encore plus emblématique. Si la plupart des hôpitaux ont cédé avec le temps leurs domaines viticoles, ceux qui ont subsisté font aujourd’hui l’objet d’une grande attention des conseils de surveillance, voire de la profession viticole et de l’opinion publique.

Dans son ouvrage précité « vignobles et hôpitaux de France », la société française d’histoire des hôpitaux recensait en 1998 sans que cela soit exhaustif, 19 établissements avec des domaines viticoles : des CHU (Strasbourg, Bordeaux, Dijon), des centres hospitaliers et hôpitaux locaux (Hospices civils de Colmar, hôpitaux de Cadillac, Beaune, Nuits-Saint-Georges, Beaujeu ou Belleville), un CHS (Auxerre), des établissements médico-sociaux (Renaudin à Sceaux, centre départemental de repos et de soins de Colmar, Brunel à Chateauneuf-du-Pape). Le rendement des domaines viticoles est hétérogène. Cette situation a depuis lors évolué, certains établissements, notamment les HUS et le CHU de Bordeaux ayant vendu leurs vignobles, mais certains hôpitaux restent investis dans des activités viti-vinicoles. Le CHU de Dijon, propriétaire de 23 ha de vignes, en retire 90 000 € de chiffres d’affaires par an, l’ensemble étant mis en fermage et requérant donc peu d’investissement. Les hospices de Nuits, dans la même région mais avec des appellations plus prestigieuses, ont une DNA dont les produits s’élèvent en 2010 à 1,3 M€ pour 12,5 ha de vignes et le résultat net à 450 000 €45. Leur exploitation en direct oblige toutefois l’établissement à maintenir des installations et du personnel dédiés. Par ailleurs, alors que les infrastructures d’accueil des personnes âgées de cet établissement, qui est principalement un EHPAD,

45. 220 000 € en moyenne sur les dix dernières années.

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sont vétustes, aucun investissement important46 n’a été consenti sur l’activité hospitalière depuis 1995, date à laquelle un nouvel établissement pour personnes âgés, à proximité du bâtiment historique, avait été financé par les résultats de la DNA. En revanche, des investissements sont intervenus en 2002 pour un total de 2,2 M€ sur les infrastructures viticoles (nouvelle cuverie) ou pour la qualité des extérieurs (parking pour le personnel, espaces verts…). Ainsi, fort d’un patrimoine hérité de l’histoire, cet établissement n’est pas parvenu, sur les dernières années, à l’exploiter pour rénover des conditions d’accueil et de prise en charge vieillissantes.

La gestion des immeubles de rapport, dont la valorisation potentielle est bien plus élevée que celle du foncier non bâti, est rarement optimisée – même si doit être inclus dans le calcul de cette rentabilité l’apport à l’activité de l’hôpital que constitue le logement du personnel à titre privilégié.

Le régime indemnitaire des directeurs d’hôpitaux n’a pas encouragé une gestion dynamique de la DNA. Une indemnité spécifique pour les établissements dotés d’un patrimoine privé peut être versée aux personnels de direction mais les bénéficiaires et les montants, décidés par le conseil de surveillance (et avant lui le conseil d’administration), ne sont pas fonction des résultats du budget annexe ou d’objectifs préalablement définis47. Pour un établissement donné, le montant total de ces indemnités ne peut être supérieur à un dixième du traitement afférent à l’emploi de directeur général ou directeur. Certains établissements, parmi lesquels l’AP-HM, les HCL ou encore le CHU de Dijon, ont renoncé à cette prime48.