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La gestion du taux de change au sein d’un régime de change

Section I La variable taux de change et sa gestion au sein d’un régime de change

B. La gestion du taux de change au sein d’un régime de change

Le régime de change désigne l’ensemble des règles qui régissent l’intervention des autorités monétaires (la banque centrale notamment) sur le marché des changes, dans le but de définir la parité ou la valeur de sa monnaie. Cette intervention peut être : directe, si la banque centrale acquiert et cède des devises sur ce marché proprement dit ; ou : indirecte, si elle agit ailleurs que sur le marché des changes par exemple en échangeant des titres nationaux sur les marchés tiers de manière à influencer le comportement des agents privés. On définit ainsi deux régimes extrêmes que sont le « régime fixe », et le « régime flexible », entre lesquels il existe toutefois une variété de régimes plus large. Pour expliquer leurs implications en ce qui concerne la détermination de la valeur d’une monnaie, nous revenons brièvement sur la classification des régimes de change et les critères de choix qui y sont associés (1), avant de présenter, brièvement aussi, les contraintes qui sont liées à la gestion du taux de change au sein d’un régime de change donné (2).

1. Retour sur la classification et les critères de choix des régimes de change

Il convient de revenir sur les différentes classifications des régimes de change (a), afin de mieux présenter les principaux critères qui président au choix d’un régime de change (b), notamment dans les pays en développement.

a. La classification

D’une manière générale, la classification des régimes de change est une tâche complexe car il est apparu que les déclarations officielles des pays membres du Fonds Monétaire International (FMI) ne correspondent pas exactement à leurs agissements effectifs sur les marchés de change. De ce fait, on retrouve deux principaux types de classifications dans la littérature : la classification officielle ou « De Jure » (i) et les classifications non-officielles, dites « De facto » (ii).

i. La classification officielle

Dans le cadre de sa mission de surveillance de la politique de change de ses membres, le FMI a établi une première terminologie, entre 1975 et 1998, permettant de recenser les régimes de change sur la base des déclarations desdits membres. Celle-ci distinguait trois grandes catégories à savoir : l’arrimage ferme, l’arrimage souple et le flottement. Mais les divergences observées entre les déclarations officielles et les actions effectives des pays membres ont conduit le FMI à réviser sa terminologie afin d’intégrer l’évolution des pratiques desdits pays. Ainsi, depuis 1999 la nouvelle terminologie repose sur les analyses qualitatives et quantitatives de la politique de change et de la politique monétaire, lesquelles ont permis d’identifier huit types de régimes à savoir : le flottement indépendant ; le flottement géré sans annonce préalable sur la trajectoire du taux de change ; les bandes de fluctuations mobiles ; les parités mobiles ; l’arrimage à l’intérieur d’une bande de fluctuation ; les caisses d’émission et les régimes sans monnaie officielle distincte40

. Pourtant, cette nouvelle classification présente elle aussi des limites liées notamment à l’absence de données historiques pour les années antérieures à 1999, ce qui réduit sa portée sur le plan empirique. D’où l’intérêt que certains auteurs ont porté à l’élaboration des classifications non officielles (voir par exemple Ghosh et al., 2013).

ii. Les classifications de facto

S’il existe plusieurs classifications comme celles de Bubula et Otker-Robe (2002) ou Bailliu et al. (2002), les plus employées dans la littérature empirique restent celles de Levy-Yeyati et Sturzenegger (2005) et Reinhart et Rogoff (2004). Les premiers proposent d’améliorer la nouvelle classification du FMI à partir d’une analyse statistique exhaustive portant sur la volatilité des taux de change nominaux et les réserves de change.

Les seconds quant à eux intègrent les données de taux de change sur les marchés parallèles et introduisent de nouvelles catégories, notamment celle des régimes dits de « chute libre » (freely

40 Dans l’annexe 2 de ce chapitre nous présentons un tableau récapitulatif contenant les principales caractéristiques

falling) qui comprend les pays dont l’inflation annuelle est supérieure à 40%41. Précisément, leur classification comprend 14 types de régimes que l’on peut regrouper de façon sommaire en 5 grandes catégories, c’est ce que montre le Tableau 4.

Compte tenu de l’importance du taux de change pour la politique économique, le choix d’un régime de change approprié s’avère être crucial pour préserver la compétitivité et la stabilité macroéconomique d’une économie donnée. Il convient donc de présenter succinctement les critères qui régissent le choix d’un régime de change.

TABLEAU 4-Typologie des régimes de change d’après Reinhart et Rogoff (2004)

Catégories "brutes" Type de régime de change 1 Sans monnaie officielle distincte

Caisse d'émission

Bande de fluctuation inférieure ou égale à ± 2% avec annonce préalable 1) Arrimage De facto

2 Parité glissante avec annonce préalable

Bande de fluctuation glissante inférieure ou égale à ±2% avec annonce préalable Parité glissante De facto

Bande de fluctuation glissante inférieure ou égale à ±2% De facto 3 Bande de fluctuation supérieure ou égale à ± 2% avec annonce préalable

Bande de fluctuation glissante De facto inférieure ou égale à ±5% Bande de fluctuation mobile inférieure ou égale à ±2% Flottement géré

4 Flottement libre

5 Régime de « chute libre »

Note : Extrait de Montiel (2011 ; pp. 14)

b. Les critères de choix d’un régime de change

Le processus qui aboutit au choix d’un régime de change correspond à une analyse de type « coûts-bénéfices » qui tient compte de l’environnement international et des caractéristiques propres au pays ou à la zone qui effectue ce choix. Ainsi, de nombreux critères indépendants ont été identifiés en pratique, mais la diversité de ces critères implique qu’un même régime de change ne saurait satisfaire tous les pays à tout moment (Frankel, 1999). Quoi qu’il en soit, nous

41 Les auteurs indiquent que cette catégorie était intégrée à tort dans celle des régimes flottants, ce qui contribuait à

focalisons de manière non exhaustive sur deux critères : la vulnérabilité aux chocs (i) et l’influence de la politique de change sur le développement (ii)42.

i. La vulnérabilité aux chocs

D’une manière générale, les économies doivent s’ajuster, c’est-à-dire réorganiser la structure des prix relatifs, à la suite des chocs qu’elles subissent car les prix et les salaires nominaux sont rigides à court terme. Cet ajustement tient ainsi compte de la nature du choc et du type de régime considéré. En effet, d’une part on distingue les chocs monétaires ou réels dont les effets sont liés à leurs origines respectives (marché des actifs ou marché des biens et services), les chocs transitoires ou permanents dont les effets dépendent de la durée, et les chocs externes qui proviennent des marchés d’actifs étrangers. D’autre part, l’analyse classique de l’ajustement en fonction des régimes de change aboutit à deux principales conclusions. Premièrement, les régimes fixes sont mieux adaptés lorsque les chocs sont de nature nominale puisque la politique monétaire est exclusivement dédiée à la défense de la parité de la monnaie, de sorte que la production et la demande agrégée soient préservées. Deuxièmement, le choix d’un régime de change flexible est fondé lorsque les chocs réels et externes prévalent43 car il permet d’en atténuer les répercussions sur l’économie réelle en favorisant la variation des prix relatifs sans modifier le niveau de la production nationale. Il en résulte que les régimes intermédiaires ont la particularité de présenter une partie des avantages de chacun des deux régimes extrêmes, de sorte que les économies les plus fragiles ont un intérêt à les adopter (Levy-Yeyati et Sturzenegger, 2005).

Mais le critère de vulnérabilité aux chocs n’est pas l’unique élément à considérer. L’adoption d’un régime de change dépend également des objectifs du pays considéré, notamment en matière de développement. C’est la raison pour laquelle nous consacrons le paragraphe suivant à l’analyse brève de l’effet de la politique de change sur le processus de développement.

ii. L’influence de la politique de change sur le processus de développement

Plus que le régime de change en lui-même, la politique de change dans son ensemble peut favoriser le développement d’un pays si elle tient compte de l’efficacité de la structure de production, ou de l’opportunité d’accélérer le processus d’intégration commerciale et financière avec les partenaires, ou encore si elle évalue les gains en termes de réduction de l’inflation suite à

42 D’autres critères tels que la théorie des zones monétaires optimales ou celle du « currency mismatch » peuvent être

considérés, mais celles-ci dépassent le cadre de cette présentation succincte. Pour mémoire, le currency mismatch désigne l’effet de bilan généré par les engagements en devises des agents publics et privés.

43 Il peut s’agir par exemple de la contraction de la demande, des catastrophes naturelles ou de la détérioration des

un changement de régime de change. Plus précisément, la politique de change peut jouer un rôle dans le processus de développement en assurant : l’observabilité du taux de change réel, la réduction des coûts de transaction et la stabilisation de l’inflation.

Premièrement, l’expérience récente des pays asiatiques a révélé le bénéfice associé à la stratégie de développement entrainé par les exportations de produits manufacturés, et ce grâce à la sous- évaluation des monnaies qui assure leur compétitivité. De ce point de vue, le niveau réel du taux de change devrait être clairement observé sur les marchés mondiaux de façon à fournir un signal approprié sur les prix relatifs (Montiel, 2011). Deuxièmement, le choix d’un régime de change définit le niveau des ressources déployées pour le maintien d’une parité ou pour la réduction de l’incertitude liée à la volatilité du taux de change. De ce fait, l’efficacité d’une option peut être déterminée à l’issue d’une opération de minimisation des coûts, qui s’apparentent ici à des taxes sur le commerce international. Troisièmement et enfin, l’orientation de la politique monétaire est étroitement liée à la politique de change car lorsque la Banque centrale n’intervient pas directement sur le marché des changes pour défendre la parité de sa monnaie, sa politique monétaire n’a pas d’influence sur le niveau du taux de change puisqu’elle est entièrement dédiée à l’atteinte des objectifs internes, notamment la stabilité des prix et de l’activité. À l’opposé, lorsqu’elle intervient sur le marché des changes, sa politique monétaire est entièrement dédiée à l’atteinte de cet objectif. Nous reviendrons toutefois sur ce dernier point lorsque nous aborderons la question des contraintes liées à la gestion du taux de change dans le paragraphe suivant.

2. Les contraintes liées à la gestion du taux de change

Les contraintes liées à la gestion du taux de change sont essentiellement de nature temporelle. Elles relèvent précisément du court terme (a) et du moyen-long terme (b).

a. Les contraintes de court terme

Nous distinguons deux principales contraintes à court terme : la peur du flottement liée à la volatilité du taux de change (i) et la trinité impossible (ii).

i. La peur du flottement liée à la volatilité du taux de change

Grâce à l’analyse de l’évolution des réserves de change, des agrégats monétaires et des taux d’intérêt, Calvo et Reinhart (2002) ont mis en lumière la « peur du flottement » des pays en développement due à la volatilité accrue des taux de change en régimes flexibles. En effet, le taux de change est assimilable à un prix d’actif et en tant que tel, il est influencé par les flux financiers de court terme eux-mêmes engendrés par les phénomènes de spéculation, de contagion ou de

panique, d’où sa nature volatile. Cette dernière génère alors de l’incertitude car elle est susceptible d’accroître les taux d’intérêt et les coûts de transaction, lesquels constituent des entraves aux échanges commerciaux à l’international.

ii. La trinité impossible

À court terme, une contrainte importante dans la gestion du taux de change est liée à l’impossibilité de concilier la parfaite mobilité des capitaux, l’autonomie monétaire et la fixité du taux de change. C’est également ce que l’on appelle : la « trinité impossible » ou le triangle des incompatibilités de Mundell. Elle exprime simplement l’idée que les autorités ne peuvent choisir que deux options parmi les trois possibles, ce qui définit donc les conditions d’arbitrage entre la politique monétaire et la politique de change à court terme.

Toutefois, certains auteurs comme Bhagwati (1998) avancent qu’il n’y a pas de raisons a priori de supposer la mobilité parfaite du capital44 puisque la restriction aux flux de capitaux est susceptible d’atténuer les effets ou réduire les risques liés aux crises monétaires, notamment dans les économies dont les secteurs bancaires sont plus vulnérables.

À ces contraintes s’ajoutent celles qui relèvent du moyen ou du long terme et que nous présentons dans le paragraphe suivant.

b. Les contraintes de moyen - long terme

Dans la mise en œuvre de sa politique de change à long terme, la Banque centrale est contrainte de respecter deux principes qui sont liés à l’ancrage nominal et la solvabilité budgétaire, d’une part (i), mais aussi à la variabilité (de long terme) du taux de change, d’autre part (ii).

i. L’ancrage nominal de l’économie et la solvabilité budgétaire

La définition de l’ancrage nominal de l’économie est une préoccupation importante pour la Banque centrale, car cette dernière indique la variable qui détermine le niveau moyen des prix en termes de monnaie nationale. En effet, si l’on conçoit que l’équilibre général de l’économie détermine l’ensemble des prix relatifs, alors en fixant un prix d’un bien en monnaie nationale, la définition de l’ancrage nominal permet de définir l’ensemble des prix de l’économie. De ce fait, le choix d’un régime de change détermine implicitement la variable d’ancrage nominal. En régime de change fixe le taux de change est la variable d’ancrage, tandis qu’en régime flexible celle-ci correspond plutôt à l’offre de monnaie ou à une combinaison de variables nominales. Dans ce dernier cas, l’objectif de l’ancrage peut être le ciblage d’un taux de croissance des agrégats que

44 Il convient en effet de noter que la notion de « l’impossible trinité » repose sur les hypothèses de substituabilité

sont les indicateurs de la masse monétaire (M1 et M2) ou les réserves de change. Mais un objectif plus couramment poursuivi par les banques centrales ces dernières années est celui du ciblage de l’inflation par un engagement institutionnel quant à un objectif quantitatif précis et explicite. Au regard de ce qui précède, on peut penser que le choix de la variable d’ancrage nominal influence d’une certaine manière la conduite de la politique budgétaire puisque l’une des conditions de solvabilité du secteur public est que le niveau de l’inflation reste compatible avec la contrainte budgétaire inter temporelle. En effet, les potentiels créanciers jugent ce secteur solvable si la valeur actuelle des surplus primaires futurs et des revenus du seigneuriage est au moins égale au montant actuel de la dette. Or, l’évolution des surplus futurs dépend nécessairement de la conjoncture et donc de l’inflation.

En somme, en définissant un taux de variation de l’ancre nominale, les autorités déterminent également le niveau de long terme de l’inflation en fonction duquel elles prévoient l’ajustement endogène du déficit budgétaire et des autres grandeurs nominales. Mais l’ajustement des grandeurs réelles comme le TCR reste une source de préoccupation car la variabilité de ce dernier à long terme est potentiellement à l’origine de l’instabilité de l’activité, au même titre que la volatilité.

ii. La variabilité du taux de change réel

La variabilité de long terme du taux de change réel, plus communément appelée « mésalignement »45, est une préoccupation importante notamment pour les pays en développement car lorsqu’elle correspond à une surévaluation de la monnaie, elle est à la fois associée à l’instabilité des déficits commerciaux, à une crise monétaire et à l’atonie de la croissance (Ghura et Grennes, 1993 ; Razin et Collins, 1997 ; Kaminsky et al., 1998).

Nous ne fournissons pas plus de détails sur ce dernier aspect pour le moment car le second chapitre de ce travail y est largement consacré. Dans cette perspective, un autre aspect essentiel à souligner est celui qui porte sur le taux de change d’équilibre en tant que référence à partir de laquelle les mésalignements sont déterminés. Ce taux de change d’équilibre a fait l’objet d’une littérature importante depuis les travaux de Cassel (1922), mais il est encore à ce jour au centre d’une controverse sur laquelle il convient de revenir afin de justifier le choix des approches retenues dans ce travail.

45 Nous reviendrons plus en détail sur le sens de ce terme, central à notre analyse. Mais précisons d’ores et déjà que

les mésalignements désignent des déviations soutenues du TCR par rapport à son niveau d’équilibre défini par les fondamentaux de l’économie.