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La gestion de l’information et de la communication comme support du fonctionnement coopératif

Notre deuxième angle d’approche s’intéressait à la manière dont les agencements coopératifs conçoivent et gèrent les dispositifs d’information et de communication à même de coordonner la multiplicité des projets et des acteurs qu’ils accompagnent. Plusieurs nouveaux points d’importance apparaissent à ce sujet. Le rôle de l’équipe permanente d’animation et de coordination du groupement est toujours central et structurant pour la dynamique communicationnelle, qui est elle-même un support essentiel du processus coopératif dans sa globalité. La diversité des adhérents implique également une pluralité de modalités et de dispositifs d’information et de communication, qui ne se révèlent pas si simples à coordonner, y compris en tenant compte de l'utilisation croissante des nouveaux outils numériques. De nombreux équilibres sont alors à trouver entre différents niveaux de réalité et impliquent aussi des adaptations incessantes, de par la nature même de l’activité des membres coopérants et des fonctions qui sont mises en commun. La transmission à de nouveaux membres de l’histoire du groupement et des savoir-faire accumulés n’est pas la moindre des questions qui se posent.

La centralité de l’équipe permanente d’animation

Une des caractéristiques des groupements est la diversité des projets et des trajectoires des entrepreneurs ou entreprises en faisant partie et la pluralité des contraintes auxquelles ces adhérents doivent chacun faire face. Il n’est alors guère étonnant d’observer la place essentielle des équipes permanentes en charge non seulement du repérage, de l’accueil, de l’accompagnement et du suivi de ces aventures

entrepreneuriales, mais aussi de l’impulsion d’une animation et d’une coordination d’ensemble de la coopération. Sur des emplois du temps plus que bien remplis, ces personnels sont donc aussi fortement impliqués dans les nécessités et les projets de renouvellement de la dynamique coopérative et des dispositifs qui la réalisent concrètement. Chacun dispose d’une marge d’autonomie toujours significative dans l’organisation et la mise en œuvre effective de ses missions, ce qui implique également une responsabilisation sur des choix qui relèvent de sa zone de compétence. Le rôle des fondateurs et des dirigeants des groupements n’en reste pas moins, lui aussi, majeur tant en termes de cadrage général, que d’articulation et de fluidification de la variété d’acteurs qui font que l’élan coopératif se poursuit et se développe.

L’enjeu est en particulier que cet élan arrive à dépasser le stade des épaulements conjoints au coup par coup entre entrepreneurs ou entreprises élémentaires, même si ceux-ci constituent une dimension permanente dans l’économie d’incertitude structurelle du domaine culturel et compte tenu de la flexibilité entrepreneuriale qu’elle induit. Dans ces conditions, on comprend également l’importance des affinités et des liens personnels dans l’apport de chacun à la réflexion collective. Quand il est question de problèmes à résoudre ou de négociations à mener, on se trouve en effet le plus souvent dans des situations se jouant d’abord au travers de relations de personne à personne avant que soient établies des formalisations contractuelles d’organisation à organisation. Y compris dans les entreprises culturelles d’une certaine taille, on peut par exemple noter combien le départ ou le changement d’une seule personne peut assez profondément en modifier le fonctionnement. Ce phénomène est d’autant plus apparent dans les groupements coopératifs que leurs équipes permanentes sont peu nombreuses et que chaque poste a généralement une responsabilité centrale dans le portage de l’une ou l’autre des fonctions support partagées. Si ce phénomène est évidemment plus que perceptible quand il s’agit d’une personne dirigeante, il reste non moins présent au niveau des autres membres de l’équipe en charge d’assurer la permanence et le fonctionnement courant du groupement coopératif. Plus largement, la qualité de la relation établie entre les personnes de l’équipe permanente et celles qui, dans chaque organisation adhérente, porte au premier chef la dynamique coopérative s’avère cruciale.

Une pluralité à coordonner de dispositifs d’information et de communication

Les divers éléments précédents renforcent l’enjeu portant sur la conception, la mise en œuvre et la gestion de systèmes d’information et de communication en capacité de concilier des modalités nécessairement plurielles, aussi bien informelles que formelles, interpersonnelles qu’instrumentales. D’autant que les dynamiques de mise en forme et d’échange des données qui permettent le fonctionnement du groupement fondent également fortement ses possibilités de mise en délibération de points à discuter et de mise en exécution des décisions prises. Cette dimension des agencements coopératifs est encore très peu mise en exergue et finalement bien peu explorée. Elle apparaît pourtant comme hautement stratégique. Dans les cas étudiés, elle a été foncièrement construite de manière empirique, la croissance des membres coopérants ou de l’activité se chargeant petit à petit de la mettre au tout premier plan.

Si l’on regarde les dispositifs ou les outils opérants, plusieurs registres apparaissent. Au titre de la communication interne, ces dispositifs sont eux-mêmes subdivisables selon qu’ils se focalisent sur les besoins d’échange entre les personnes de l’équipe

permanente, ou bien sur les relations entre ces personnes et celles directement impliquées dans le processus coopératif au sein de chaque organisation membre.

Sur un plan opératoire, une partie du double registre précédent renvoie à une pluralité, toujours perceptible mais plus ou moins intégrée, d’outils formalisés de gestion technique – en particulier financière et comptable, sociale ou fiscale –, tandis qu’une autre part relève de dispositifs d’échange plus qualitatifs et interpersonnels, le plus souvent moins formalisés bien que fréquemment assez précisément définis – tels que réunions régulières ou séminaires périodiques, groupes ou chantiers thématiques… Le développement d’un outillage intermédiaire entre les deux registres qu’on vient de mentionner – suivis qualitatifs de projets, agendas partagés, blogs internes… – est d’autant plus à souligner qu’il repose également de plus en plus sur des technologies numériques.

Est également à mentionner le registre, lui-même multiple, d’une communication tournée vers les partenaires non membres du groupement et sur la mise en visibilité externe des actions entreprises, avec des dispositifs partiellement ancrés sur les précédents mais développant toujours également leurs propres spécificités.

Loin d’une image convenue d’une dimension nécessaire mais au fond secondaire de l’organisation, cette esquisse de typologie montre déjà la prégnance et la réelle complexité de systèmes d’information et de communication, dont dépend finalement toute la vie des agencements coopératifs.

La variété et la complexité des situations à prendre en compte et à coordonner viennent encore renforcer la grande attention à porter à ces systèmes d’information et de communication. D’autant qu’une tension s’y renforce de nos jours, à l’exemple des cas étudiés, entre, d’une part, une incontournable formalisation et technicisation de l’organisation et, d’autre part, la perception d’une perte de liberté et d’une décentration du projet vers toujours plus de gestion. Si ces évolutions peuvent être simultanément dues à des évolutions contextuelles et au développement même du groupement, elles n’en restent pas moins des marqueurs de questions à désormais traiter avec vigilance. L’hétérogénéité des normes à appliquer, la lourdeur des comptes rendus de tout ordre à rédiger, les mises à jour constantes des bases de données à réaliser, la multiplicité des canaux d’échange numérique à consulter sont quelques exemples d’une situation historiquement inédite où la gestion de l’information et de la communication devient un pôle majeur de l’existence même des organisations. D’autant qu’au vu de la rapidité de certaines évolutions, des décalages peuvent très vite se faire jour entre les outils techniques et formalisés déjà mis en place et l’émergence de nouveaux besoins liés au développement du groupement ou à la labilité de l’activité, auxquels les dispositifs créés dans le passé ne répondent mal ou pas du tout.

La question des nouveaux outils numériques ouvre tout un spectre de questions. Sans aucun doute, ils contribuent à faciliter et à améliorer sur de nombreux points le fonctionnement des systèmes d’information et de communication. Ils aident sans conteste à une hybridation des mises en relation quand, par exemple, la technicité favorise de l’interpersonnel direct et de l’échange informel associé. Ils permettent des suivis de déroulement de projet ou d’affaire plus précis, où la réactivité des acteurs concernés peut être améliorée et source de solutions plus rapides et mieux partagées. De ce point de vue, l’émergence récente d’outils informatiques collaboratifs – qui se perfectionnent rapidement – est à prendre en compte dans l’amélioration qu’ils apportent dans la gestion gestion de projet, des ressources humaines ou de la communication. Mais outre leurs limites intrinsèques ou leur coût d’adaptation à la

situation particulière de tel ou tel groupement, ces outils ne résolvent pas par eux- mêmes des questions aussi centrales que, par exemple, la hiérarchisation et l’éditorialisation, pour rester utilisables, de la mémoire de l’activité du groupement et de ses archives. D’autant que ces données sont de plus en plus fournies mais aussi de plus en plus hétérogènes – entre autres, entre données quantifiées comptables et données qualitatives sur un parcours d’entrepreneur ou d’entreprise, un projet collectif, la vie même du groupement... La capacité de recherche, d’extraction et de transmission de données pertinentes pour des usages et interlocuteurs pouvant être multiples n’est pas la moindre des difficultés à résoudre – ne serait-ce que lorsqu'il s’agit de réaliser une lettre d’information interne ou externe tout à la fois signifiante et synthétique. Quoi qu’il en soit, le désir exprimé au sein des cas étudiés de disposer d’un outillage qui permettrait d’intégrer la plus grande partie de l’information utile au groupement dans un seul système informatisé est un marqueur d’une situation qui pose de toute évidence question. Surtout si l’on vise à un dispositif accessible à chacun en tant que de besoin, en capacité aussi d’articuler plus facilement données quantifiées et données qualitatives ou subjectives. Partir des usages et des besoins repérés semble une voie possible d’exploration pour aménager des dispositifs sociotechniques simultanément pertinents pour des personnes en position de demande d’information, de proposition, de gestion ou de direction. Plus généralement, cette question d’ensembles sociotechniques renouvelés d’information et de communication, dont le développement et la régulation soient d’abord au service des humains qui y participent, est bien l’un des défis majeurs de nos sociétés contemporaines.

On ne saurait donc trop insister sur l’importance que prennent de nos jours la conception, la mise en œuvre, l’utilisation, l’adaptation et la maintenance de ces systèmes d’information et de communication et donc aussi sur la part croissante des ressources – en temps humain comme en financement – qui y est consacrée. Sans encore atteindre une situation extrême, les indices d’une saturation de la disponibilité des personnes des équipes permanentes ou de celles porteuses de la coopération dans les organisations membres se multiplient, même si chacun agence comme il peut cette contrainte d’une profusion informationnelle, qui ne donne pas de signe de rétraction. Il est finalement possible que la question de la maîtrise de la dynamique informationnelle et communicationnelle devienne explicitement très vite un des problèmes majeurs des agencements coopératifs, sans même parler de l’incertitude supplémentaire qu’introduit le risque que la moindre panne – ou la moindre malveillance89 – puisse bloquer la

totalité du fonctionnement d’une organisation.

Ces groupements nous rappellent également combien la circulation de l’information et les processus de communication sont impulsés par des êtres humains et que ce sont aussi des personnes qui en sont les destinataires finaux. Le déploiement d’outils technologiques est donc constamment à rapporter à la dynamique interpersonnelle à l’œuvre ou visée à tel moment du développement de l’organisation. Cette remarque s’éloigne chaque jour un peu plus du truisme, quand on voit la pluralité des dispositifs techniques mobilisés au fil de l’histoire des groupements et qui constituent l’infrastructure matérielle de leurs systèmes réticulaires d’information et de communication. Depuis les préférences personnelles pour tel ou tel outil jusqu’à la difficulté de pouvoir les articuler dans un réseau technique suffisamment intégré, flexible et en capacité d’agencer une mémoire facilement mobilisable pour les besoins qui surgissent au présent, le couplage entre des hommes et des machines se fait toujours

plus intensif et extensif, structurant aussi pour le devenir des organisations. Sur ce plan, les cas étudiés donnent à voir des histoires où un pragmatisme bricolé a très astucieusement permis jusqu’ici de faire face aux besoins liés à leur émergence et à leur développement. Mais ce pragmatisme commence clairement à buter sur la complexité contemporaine de systèmes dont l’hétérogénéité au moins relative est tout à la fois indispensable et porteuse de besoins d’ajustements sans cesse renouvelés. L’introduction de nouveaux outils informatiques, par exemple, pose des questions autant techniques de reconfiguration d’outils antérieurs afin de les intégrer au nouvel outillage, que plus directement psychosociologiques et organisationnelles. Tant c’est également l’humain qui est en recherche d’une architecture et d’une dynamique de ses échanges qui lui paraissent plus signifiants et pertinents.

Des équilibres stratégiques pas si simples à trouver

À titre d’illustration des préoccupations générales que chaque groupement est amené à concrètement traiter, on mentionnera l’équilibre toujours délicat entre, d’une part, une communication interne au groupement forcément multiple et développée – au sein de l’équipe permanente, entre elle et les membres du groupement, entre ses membres eux- mêmes – et, d’autre part, une communication externe – auprès des partenaires directs, des partenaires potentiels, mais aussi des réseaux et media de plus grande ampleur – à ne pas négliger.

Pour des agencements où les différents cercles d’acteurs dépassent très rapidement chacun la dizaine de personnes et où les échanges peuvent en rester largement à de l’interpersonnel et de l’informel, la capacité de construire un récit d’identité commune suffisamment unifié, clair et compréhensible – en interne comme en externe – n’est également rien moins qu’aisée. La présence concomitante de “versions” un tant soit peu distinctes n’est alors pas surprenante. Encore faut-il que ces récits différenciés gardent entre eux une compatibilité suffisante pour ne pas brouiller auprès de certains acteurs leur perception de ce qui fait la force et l’intérêt du groupement coopératif. On retrouve à nouveau le rôle central des dirigeants et plus largement d'un certain nombre de personnes-clé – appartenant à l’équipe permanente ou membres réellement impliqués dans la gouvernance du groupement – dans l’élaboration, l’infusion interne ou le portage externe d’un récit d’identité commun sinon unique, du moins dont les versions sont largement complémentaires et compatibles.

Le portage par chacune des entreprises membres du groupement d’un double récit d’identité – le sien propre et celui de l’agencement coopératif – pose aussi nettement des problèmes à certains. Dans ce cas, c’est sans surprise le récit d’identité commun qui passe le plus souvent au second plan, voire se trouve plus ou moins complètement oblitéré. Réapparaît ici une caractéristique socioéconomique particulièrement perceptible dans le domaine culturel, où l’appartenance manifestée à une entité collective peut, selon les cas, affermir ou au contraire fragiliser la dimension d’originalité et de singularité du récit d’identité, sur lequel chaque organisation base sa stratégie de reconnaissance par des partenaires externes et plus largement son développement. Un autre aspect d’importance porte sur la capacité du groupement à partager et à transmettre, à des plus jeunes, au moins une partie des mémoires individuelles et collectives des expériences ou des savoir-faire qui ont nourri son émergence, son histoire, son développement. Si, là encore, ces transmissions ne sauraient se réaliser sous une seule modalité unifiée – compagnonnages ou formations internes, par exemple –, reste posée la question de la nature et de la pluralité des canaux et des dispositifs par

lesquels une passation – impliquant toujours des reconfigurations sensibles – peut s’opérer. Un nouveau couplage entre processus interrelationnels directs et mobilisation d’outillages technologiques apparaît sur ce plan. Les cas étudiés indiquent des approches très différentes selon les cas et une fois encore largement empiriques, ce qui ne signifie pas inopérantes comme l’indiquent les multiples temps de formation ou de réflexion collective réalisés en interne par exemple.

Pour le moins, la structure même de ce type d'agencement coopératif entre micro- entreprises du domaine culturel permet de faire apparaître des strates fondamentales de leur fonctionnement, jusqu’ici trop peu considérées et explorées.

Une gouvernance