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Chapitre 3 : Le geste : définition et types

2. Geste et parole : qui domine qui ?

A deux ans, l’enfant produit le pointage concret et quelques types de gestes iconiques. Entre la troisième et la cinquième année, s’ajoutent d'autres types de gestes : iconiques, battements, métaphoriques et, à partir de six ans, le pointage abstrait. En général, cette progression suit le même chemin que le développement de la parole. Les gestes Bâtons ne semblent pas du tout apparaître chez les enfants âgés de moins de 5 ans et ne sont pas abondants jusqu'à 11 ans, et pourtant, considérés comme des mouvements, les battements sont les mouvements les plus simples.

Contrairement à la théorie de Condillac que la forme initiale de la langue était le geste, certains préconisent que l'évolution a sélectionné une capacité de combiner la parole et le geste. Parole et geste auraient évolué en même temps, with no gesture-first stage. La plausibilité de cette hypothèse est renforcée par l'observation de William Hopkins qui signale

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que les chimpanzés ne montrent la dominance d'une main pour les gestes que lorsque les mouvements se produisent avec la vocalisation « Genetic Influences on Receptive Joint Attention in Chimpanzees ». La parole n’aurait pas pu évoluer sans le geste simultanément, et les gestes n’auraient pas pu évoluer sans un duo sans fin avec le discours.

a. Un même processus mental :

Traditionnellement, la langue a été considérée comme englobant la parole seule. Mouvements corporels, y compris les gestes, ont été considérés comme des accessoires paralinguistiques de la langue qui ne font pas partie de celle-ci. La théorie de McNeill (1992; 2005) sur le geste dans le langage est révolutionnaire en ce sens. Il fait valoir que le discours et le geste proviennent du même processus mental sous-jacent et font partie d'un seul système intégré. Selon sa théorie, le geste et la parole se développent de ce qu’il appelle le Growth point ou point d’éclosion qui a à la fois des aspects imagés et verbaux. McNeill (2005:25) propose un modèle de pensée verbale - a ‘language-imagery’ or ‘ language-gesture dialectic ‘ - dans lequel les dimensions statiques et dynamiques de la langue sont combinées. De même et à propos de la concomitance des gestes et des paroles dans l’interaction, Kendon (1986, 12) avait écrit :

« La gesticulation n’est pas l’extériorisation des processus de l’encodage de la ‘’ pensée ‘’ dans la langue parlée. Elle est plutôt la conséquence du processus de la traduction de la ‘’ pensée ‘’, dont la parole est l’autre conséquence. » Kendon (1986, 12)

Il y a une interaction étroite entre les productions verbales et les comportements posturo-mimo-gestuels, en abrégé PMG (Keller, 1985). La question qui se pose ici est est-ce que ces composantes (orales, PMG) d’un énoncé global relèvent d’un processus sémiotique unique et commun, ou au contraire de plusieurs processus coordonnés parcourant certaines étapes en commun ?

Dans son article « So You Think Gestures Are nonverbal ? », David McNeill (1985) a pris position sur ce sujet. Le cerveau fonctionne avec une extraordinaire flexibilité : une même zone peut être activée pour des tâches différentes. Aucun neurone n’est entièrement spécialisé et chaque neurone fonctionne toujours de concert avec d’autres ensembles de neurones voisins ou dispersés dans d’autres parties du cortex.

McNeill considère que certains gestes « iconics », metaphorics, beats » concomitants avec la parole découlent d’une même étape de traitement mental « computational stage » et

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expriment par conséquent différentes facettes d’une même structure psychologique, inner speech ou discours intérieur, notion empruntée à la psychologie cognitive : « Ainsi le geste ouvre au psycholinguiste un mode d’observation exceptionnel, qui permet de découvrir ce qu’il y a au-delà d’un mode verbal, strictement linéaire et segmenté. » (1987b). Des études menées sur les aphasiques amènent McNeill (1985, 362) à conclure que la même zone cérébrale gouverne la production gestuelle et orale :

« Les données de recherches sur les patients aphasiques suggèrent que les mêmes parties de l’hémisphère cérébral dominant gèrent la production orale et gestuelle, comme l’implique l’hypothèse d’une étape commune dans le calcul mental. ». McNeill (1985, 362)

b. Co-dépendance entre geste et parole :

Le geste fait partie intégrante de la parole, et on apprend le geste comme on apprend à parler (Bates et al. 1983). Les études ont suggéré que l'organisation du geste est inextricablement liée à la structure linguistique (par exemple, Birdwhistell 1952, 1963; Kendon 1980, 1988b; Schegloff 1984). McNeill (1985, 1992) met en place un programme psycholinguistique basé sur le concept de Co-dépendance entre le geste et la parole. Il peut y avoir des connexions ayant un aspect évolutionniste entre le geste et la parole, puisque la langue a évolué dans le contexte d’interlocuteurs en face-à-face, et Armstrong, Stokoe & Wilcox (1995) ont trouvé dans les éléments structuraux du geste les racines de la syntaxe.

c. Le geste au service de la parole :

Dans la discussion de l'importance de la relation entre les gestes coproduits et la parole, un certain nombre de points de vue théoriques différents ont été avancés. Selon McNeill, ces vues théoriques peuvent être divisées en deux camps:

I. La théorie de l’aide à la parole et à l'organisation de la pensée : Selon cette théorie, les gestes ne fonctionnent que comme une sorte d’aide au locuteur, comme s’il cherchait à parvenir à une expression verbale. C'est-à-dire, les gestes que les gens produisent quand ils parlent sont produits à la suite d'un échec pour accomplir la tâche de verbalisation et les gestes servent à aider dans cette tâche.

II. La théorie de partenariat : qui considère le geste comme servant de composant du produit final du locuteur, l'énoncé est un ensemble de parole-geste où le geste est une partie

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de l'expression finale. Selon le point de vue du partenariat, les gestes sont des partenaires de la parole dans la construction de l’énonciation (l’énoncé étant ici considéré comme l'unité d'action expressive qui constitue ou est une composante d'un « tour de parole » dans une conversation, et qui peut être construit à partir du parler ou d'un geste ou à partir d'une combinaison des deux modalités).

d. La différentiation instantané / successivité en tant que mode sémiotique :

Les modes distincts de la « sémanticité » combinent la sémantique globale de l’imagerie (l’ensemble pour les parties) avec la sémantique analytique combinatoire du langage (les parties pour l’ensemble). En 2005 dans l’article de “Gesture and thought, University of Chicago Press” David McNeill cite l’observation de Wilhelm Wundt qui a montré comment le geste et la parole diffèrent en tant que modes sémiotiques et comment l’information se base sur une structure de deux modes de cognition en se produisant simultanément et séquentiellement. Cette différentiation réside dans la manière dont le geste et la parole distribuent l’information dans le temps. Dans le langage, les idées sont séparées et disposées de façon séquentielle mais dans le geste, elles sont instantanées.

« Elle est simultanée à chaque instant, car elle est présente dans la conscience comme une totalité, même si les éléments subordonnés individuels peuvent parfois en disparaître. Elle est séquentielle car la configuration change d’un moment à un autre dans la condition cognitive. Dans la partie Geste : la main, la trajectoire, la forme est signifiante seulement à cause du sens de l’ensemble alors que dans la partie Parole, les mots sont signifiants en soi en combinant grammaticalement le sens de l’ensemble. » ‘Une autorité verrouillante, Wilhelm Wundt (1832-1920)’.

Cette différentiation a été clarifiée dans une série de distinctions dans le Continuum de Kendon dans la manière dont le geste et la parole se différencient l’un de l’autre et principalement sur le contraste entre gesticulations et codes linguistiques. Ainsi, le geste diffère des codes linguistiques (incluant le langage ASL et autres langages de signes) sur certains niveaux :

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1. Dans les gestes, les significations sont globales : les parties du geste tirent leur sens de la signification du geste dans son ensemble. Dans le discours, la présentation est analytique et combinatoire. Par ailleurs, les morphèmes significatifs se combinent selon les règles grammaticales pour combler l'ensemble.

2. La forme du geste manque de la convention forme-sens. Forme et sens sont créés au moment de la parole.

3. Le geste est de l’imagerie. La parole est une combinaison arbitraire signifiant-signifié. Et le résultat est que la synchronisation des gestes et de la parole met différents modes sémiotiques ensemble au même moment.

Après avoir montré le travail de complémentarité, passons à l’idée principale de mon étude qui est la deixis dont je vais parler tout d’abord dans une optique théorique, puis, dans la troisième partie, dans une optique expérimentale.

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