• Aucun résultat trouvé

I- 2- La structure de l’embouteillage

2) GEOGRAPHIE ET ENVIRONNEMENT

Lors de la prise de décision dans la planification d'une zone particulière, le planificateur technique est peu en mesure d'atteindre un niveau de généralisation suffisant et comparable à celui par exemple d'un géographe, d'un économiste ou d'un sociologue. Il met des zones vertes ou rouges sur sa carte selon sa propre évaluation intuitive de la forme spatiale du projet. Nous devons mettre en relation le comportement social moderne avec la manière dont la ville prend en compte une certaine géographie et une certaine forme spatiale62. La 1ère partie ch. 1- 4 illustre bien la situation de la ville de Constantine et sa géographie, une situation qui, hélas, n’a été ni respectée ni prise au sérieux dans les propositions pour le développement de la ville. La géographie et l'environnement d'une ville constituent des éléments importants dans la recherche d'une organisation des déplacements. La négligence de ces facteurs ne fait qu’encourager le phénomène de l’embouteillage. Il s'établit ainsi une relation déséquilibrée de la ville face à ses déplacements.

3) ECONOMIE ET FINANCES

Du point de vue économique, l’embouteillage est à première vue un signe de progrès, mais une analyse un peu plus approfondie montre qu’elle conduit à un important gaspillage d'énergie et d'argent. Cette réalité est toutefois souvent masquée par le caractère de la production de la société technologique. De ce côté, si l’embouteillage existe, ce n’est pas faute de fonds financiers disponibles pour réaliser de grands investissements en mesure de résoudre le problème. En attendant, on met en place des mesures palliatives qui ne font qu’accentuer l’embouteillage, et brûler lentement l'économie. Dans ce thème, la relation avec l’embouteillage est donc paradoxale.

4) URBANISME

Les précédents chapitres de cette thèse montrent l'influence de l’embouteillage sur les aménagements urbains. Le fait que le centre de la ville de Constantine et ses quelques artères étaient embouteillés fut utilisé comme argument justificatif de quelques nouvelles opérations d'urbanisme. Mais la difficulté de gérer l'urbanisation n'a pas permis de maîtriser celles-ci selon une logique de l'organisation de l'espace, et conséquemment de l'organisation des

62

l’embouteillage et analyses théoriques

déplacements. De ce fait l’embouteillage est apparu et a introduit dans l'urbanisme une relation opérationnelle entre l'un et l'autre. On a l'impression que l'urbanisme est guidé par l’embouteillage alors que c'est le premier qui devrait exercer un contrôle sur le second. C'est là une autre relation : une relation d'inversion de fonctions.

5) TRANSPORTS

Nous nous contenterons de rappeler ici que l’embouteillage du trafic entrave la fluidité et la rentabilité des transports et qu'il constitue la principale préoccupation des planificateurs des transports. C'est d'ailleurs dans ce seul domaine qu'il est étudié et traité (même si le traitement est exclusivement technique). En outre, il atteste une relation d'"inefficacité accrue" dans le système des transports.

6) SOCIAL

La société technologique comprend diverses classes sociales. Si, d'une part l’embouteillage a pour effet de mêler les classes, dans un tronçon embouteillé, il n'y a pas de différences de classes; il nous semble qu'il crée, d'autre part, de nouvelles classes que nous pourrions présenter ici de la façon suivante :

a) Les personnes qui la provoquent et ne la subissent pas. Nous désignons ici les décideurs d’opérations provocatrices d’embouteillage et qui, généralement, n’en sont pas victimes.

b) Les personnes qui la provoquent et la subissent directement; par exemple l’usager absolu de la voiture particulière.

c) Celles qui ne la provoquent pas mais la subissent. Ce sont habituellement les habitants d'une zone embouteillée et les usagers captifs des T.C.

d) Et enfin celles qui ne sont pas du tout touchées par le problème mais doivent habiter dans une zone ne disposant pas de bons équipements urbains. II s'agit, dans la majorité des cas, de la classe la plus modeste de la société en question.

De cette façon, nous voyons que les effets de l’embouteillage du trafic dans le domaine social sont à la fois très complexes et ségrégatifs. Il établit une relation d'inégalité sociale très complexe à l'intérieur de la société moderne.

7) POLITIQUE

L’ordre de présentation de ce thème n’a rien à voir avec son importance. Au contraire, nous pourrions dire que celui-ci recouvre les précédents. Il inclut peut-être le caractère politique des organismes techniques d'une ville, notamment dans le cas de Constantine. En effet, les acteurs de l'Agglomération Constantinoise comprennent des re-présentants de plusieurs courants politiques, avec une prédominance du parti conservateur (FLN). Cela peut expliquer, la complexité du phénomène dans l'agglomération, qui reflète un manque de cohésion autour des problèmes communs. Dans le cas de Constantine, il n’y a pas à proprement parler d’"AGGLOMERATION". De la volonté politique dépend le succès de la lutte pour l’élimination de cette nuisance, aussi pouvons nous établir une relation de dépendance entre l’embouteillage et les décisions politiques.

Il semble à propos de rappeler ici notre question de base :

les relations entre l’embouteillage et les divers thèmes urbains.

Nous nous permettons de les présenter ci-après sous la forme du tableau n°31

D'après ces observations, nous pouvons dire en conclusion que, si nous voulons parler d’embouteillage, il nous faut d'abord savoir quelle est la conception de notre interlocuteur et dans quelle relation il se situe, afin d'éviter de parler deux ou plusieurs langages différents. Les planificateurs urbains doivent donc savoir se mouvoir avec souplesse dans les diverses conceptions et relations du phénomène pour une meilleure planification et de façon plus générale dans les diverses disciplines travaillant sur le phénomène urbain.

Tableau 31. Relation entre l’embouteillage et divers thèmes urbains

THEMES RELATIONS

Déplacements Désorganisation

Géographie et Environnement Déséquilibre de la ville

Economie et Finances Paradoxe entre développement et gaspillage Urbanisme Inversion de fonctions urbaines

Transport Inefficacité du système de transports

Social Inégalité sociale complexe

Politique Les décisions politiques relèvent directement des fonctionnaires et non pas des élus

l’embouteillage et analyses théoriques

I- 2- a Les contradictions de l’embouteillage dans la société

Des contradictions internes (anomalies) peuvent devenir les bases pour de nouvelles théories63. En l’occurrence, à propos des contradictions présentées par l’embouteillage du trafic dans la vie urbaine, nous essayerons de dégager quelques points de réflexion propres à nous aider à cerner cette question. Ensuite il sera peut-être intéressant de classer ces points selon leur situation dans l'univers formé par l'ensemble des structures de la société technologique : A la lumière des caractéristiques et objectifs de la société technologique, l’étude et l'analyse de l’embouteillage sur le cas pratique et sur sa technique nous semblent attester un échec de certaines théories de cette société. Les contradictions existantes dans cette structure le montrent, et c'est ce que nous présenterons ici par thème de la manière suivante :

1 - L'Economie : Pour l'économie capitaliste, le temps est un élément important dans la production, et c’est aussi de l'argent64. Si l’embouteillage est un signe de progrès économique, il suscite une contradiction, entre la productivité économique et le temps perdu suscité par lui ainsi que les gaspillages d'énergie par les voitures dans le tronçon embouteillé et l'argent dépensé dans des mesures palliatives à effet limité : trémies, carrefours, passerelles…

2 - L'Urbanisme : Dans notre Société, l'espace urbain doit être structuré et contrôlé selon les lois de production65. Cette théorie est pourtant contredite par le phénomène de l’embouteillage comme provocateur d'une désorganisation spatiale urbaine. L'urbanisation dispersée et anarchique par des motifs déjà évoqués auparavant est difficilement contrôlée.

3 – L’Environnement : Préserver l'environnement est en principe l'un des objectifs de la société moderne66. Cependant les mesures prises pour combattre l’embouteillage ont fortement contribué à la dégradation de celui-ci (coupure visuelle, bruit, élimination des trottoirs et des arbres, pollution,

63

HARVEY David - Social Justice and the City- The Johns Hopkins University press, 1983 p.25

64

ROCHER Guy Introduction à la sociologie - op. Cit.

65

Marshall M.A. Feldman - A contribution to the critique of Urban Political Economy - op, cit.

etc.) l’embouteillage confirme donc le caractère contradictoire de la politique de l'environnement de cette société.

4 - Les Transports : C’est dans ce thème qu'on peut relever le plus facilement les contradictions suscitées par l’embouteillage du trafic. Se fondant peut-être sur le principe de la liberté de mouvement prêché par la société moderne, on estime que pour combattre le problème il faut augmenter la capacité de la voirie. (Voir développement technique de l’embouteillage, première partie). Or, après chaque mesure de ce genre, le phénomène s'accroît pendant un certain temps, et il agit négativement et directement sur les transports. L’embouteillage est, de ce fait, en véritable contradiction avec les techniques et objectifs des transports dans l'économie capitaliste67.

5 - Le Social : L'organisation hiérarchique et complexe de la production capitaliste est associée à une structure spatiale complexe qui doit être dominée par les transports collectifs. Ainsi la reproduction de division de classes est une fonction majeure des transports collectifs dans l'économie capitaliste68. On observe que dans ce contexte le développement déséquilibré de la classe ouvrière conduit à une capacité déséquilibrée à utiliser les transports collectifs ; une capacité déséquilibrée telle que la structure sociale de la société en question nous paraît déjà en contradiction avec ses principes de liberté individuelle. Dans ce domaine, l’embouteillage renforce cette contradiction et aggrave encore certaines données sociales en créant d'autres classes que celles que nous avons rappelées ci-avant.

6 - Le Politique : L’embouteillage atteste une contradiction entre les pouvoirs politiques et l'importance de leur ville. L'amélioration de l'attractivité d'une ville est vue par les élus comme un moyen d'attirer de nouveaux habitants, et d'augmenter sa population. Plus la ville est grande, plus fort est son pouvoir politique. Mais souvent, cette croissance ne respecte pas les contraintes physiques et d'environnement posées à une ville donnée. D'où une rupture de l'équilibre de la ville et des conditions de vie fâcheuses qui peuvent entraîner

67

l’embouteillage et analyses théoriques

une fuite ou un abandon d'une partie de la population; et dès qu'une ville devient moins peuplée, elle diminue d'importance et connaît par conséquent une perte de pouvoir politique. L’embouteillage est bien l'évidence de cette contradiction et c'est notamment le cas de Constantine au-delà des années 90.

Nous pouvons résumer dans le tableau n°32 les contradictions mentionnées ici qui ont déjà été décrites dans une partie ou l'autre de ce travail. Nous avons souvent renvoyé pour ré-férence le lecteur aux chapitres et parties concernés.

Enfin, ces groupes de contradictions conduisent à replacer le phénomène de l’embouteillage dans un domaine plus vaste que celui qui est envisagé généralement, c'est-à-dire à le voir comme un élément qui s'oppose souvent aux principes et objectifs de la société technologique.

Tableau 32 : Contradictions relevées par l’embouteillage dans l'univers technologique

THEME OBJECTIFS CONTRADICTIONS

Economie Progrès et productivité

Gaspillage énergétique. Temps de production perdu. Mauvaise gestion financière

Urbanisme Structurer et contrôler l'espace Désorganisation spatiale Environnement Préservation Dégradations. Embouteillage Transports Augmenter la fluidité

Réduire l’embouteillage Embouteillage accru Social Liberté d'action individuelle

Création de nouvelles classes sociales selon leur mobilité et leur rapport avec l’embouteillage

Politique

Augmentation du pouvoir politique par la croissance des villes

Diminution de l'importance de la ville par la réduction de la population au profit des villes satellites

I- 2 - b La nature des conflits

L’existence des contradictions mentionnées ci-dessus est confirmée par la constatation de conflits entre les structures urbaines. Le conflit est d'ailleurs un élément permanent de l'organisation sociale fragmentée et diversifiée de la société technologique69. L'étude de l’embouteillage à Constantine a mis en évidence divers types de conflits, aussi nous nous contenterons de présenter ici leur nature et leur localisation. Ils peuvent s'expliquer par une visualisation différente des problèmes de l’embouteillage quant à leurs concepts et à leurs relations, visualisation qui donne lieu à des objectifs variés et distincts selon les disciplines urbaines. Voyons ce que sont les types de conflits révélés par l’embouteillage.

1 - Dans les transports, sont en conflit permanent : - piétons et motorisés

- transports collectifs et individuels - déplacements et temps de déplacement - demande de transport et offre de transport - fluidité et sécurité

Ce dernier conflit atteint de vastes proportions car il oppose techniciens de la sécurité et techniciens des transports

2 - Dans l'urbanisme, les antagonismes s'expriment notamment par :

- une lutte entre l'espace pour les transports et l'espace pour les aménagements urbains

- des manifestations des commerçants qui craignent de perdre leurs clients.

Ces deux derniers aspects résument bien les problèmes des urbanistes vis-à-vis de l’embouteillage

69

l’embouteillage et analyses théoriques

3 - Dans l'économie, lorsque l’embouteillage touche la productivité, des tiraillements d’ordre économique apparaissent qui se traduisent par une productivité et une rentabilité décroissantes du système. Qu’on pense par exemple au retard des employés arrivant sur lieu de leur travail et aussi l’accumulation de leur fatigue etc.

4 - Entre les transports urbains et l’urbanisme, leur rivalité à propos de l’embouteillage se traduit par des incohérences dans l'élaboration des plans de transport et des plans d’urbanisme, qui représentent des points de vue différents du même problème.

5 - Entre l'urbanisme et l'économie, l’idée de contrôler le développement spatial de l’urbanisme s'oppose à celle de la concentration économique comme signe de vie et d'activités. L'existence de l’embouteillage montre que la deuxième prévaut sur la première, mais ne résout pas le conflit existant entre eux.

6 - Dans le domaine social, l'impact de l’embouteillage ne se traduit que par l'augmentation des divisions de classes dont nous avons parlé ci-avant. Cette analyse qui dépasserait le cadre de notre travail et de notre formation est néanmoins très liée à la structure du problème. Surtout si on considère ses conséquences fâcheuses sur la relation de l'habitat et du travail comme lieux de consommation et de production dans la société traditionnelle.

La prise en compte de ces ensembles de conflits peut nous rendre plus facile la compréhension de l'influence de l’embouteillage dans les principales disciplines urbaines. Elle peut nous amener soit à la recherche d'éléments capables de provoquer des transformations significatives, soit à la conclusion qu'il n'y a pas d'issue pour un problème de cette nature.

I-2 - c Son caractère transformateur

Les transformations naissent de la résolution des conflits; avec chaque transformation, la totalité de l'ensemble est restructurée. Cette restructuration altère non seulement des définitions et les significations, mais aussi la fonction des éléments et les

Documents relatifs