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Geeks / Bidouilleurs

1-Hypothèse 1 : Mono/plurimondes et dépendance technique

Position 1 Geeks / Bidouilleurs

Etre en position de détachement sur l’axe de la compétence technique indique que, comme tout vrai moderne, on peut maîtriser le monde grâce à la technique que l’on maîtrise. Pas de doute sur le risque de débordement par cette technique, les certitudes de domination sont bien là. Dès lors, pas de limite non plus à l’exploration pour être certain de tout maîtriser, ou tout au moins de tout explorer. Le geek bidouilleur est un gros consommateur d’innovations et constitue le premier public de toutes les nouvelles offres. On sera bien avisé de se souvenir que, pour toutes les études de diffusion (Rogers), les innovateurs et les adopteurs précoces peuvent avoir une distance considérable avec la majorité précoce, celle qui n’adopte les innovations qu’une fois celles-ci bien établies ou débugguées. L’histoire des liseuses est déjà longue mais elle a mis malgré tout un temps très long avant d’être adaptée à des publics autres que les innovateurs convaincus. Cependant, ces groupes d’innovateurs peuvent constituer des leviers essentiels à l’amorçage d’un marché.

A. Vous avez quoi comme terminal pour lire?

B. J’en ai plusieurs, parce que je suis un fana, j’en achète régulièrement, j’ai un Pocket Book 360, j’ai Bookeen Opus, le Bookeen Odyssey, le Bookeen Horizon, le Nook Color... J’ai eu en prix un Kindle DX, un Kindle grand format que j’ai adoré, mais je ne l’ai plus. Je crois que c’est tout. J’ai un iPad aussi mais je ne lis pas trop dessus… J’aime bien les gadgets, il y en a qui aiment les téléphones, il y en a qui aiment les appareils photos, voilà. J’aime bien les nouveautés, j’aime bien changer. Il y a un truc qui est lassant dans la lecture électronique, c’est qu’on a toujours le même appareil dans les mains! C’est un peu comme si on lisait toujours le même livre, c’est lassant un peu, donc

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quelquefois on a envie de changer de machine, quand même. Un peu comme pour changer de livre, quand on change de livre on change de couverture, de toucher de papier, de couleur, de forme, de tout... Là on ne change jamais donc je m’amuse à changer les fonts, pour avoir l’impression de changer de bouquin, ce que je peux faire sur les Bookeen, ce qu’on ne peut pas faire sur les Sony, enfin c’est plus difficile de le faire sur les Sony, mais voilà, ça ne suffit pas, donc je change parfois de machine pour de vrai. - Entretien 05

Comme on le voit, le goût pour l’innovation se transforme en une forme d’esthétisme de l’exploration, pour voir, au point d’atteindre une forme de virtuosité, déjà indiquée par N. Dodier dans les rapports aux machines : « j’aime bien changer ».

Cependant, cet aspect de consommateur innovateur est fortement teinté de goût pour la technique qui s’appuie aussi sur une véritable expertise, issue parfois d’une formation informatique mais parfois forgée seulement par une longue immersion dans le domaine du numérique, parfois plus spécialisé dans les liseuses et autres formats techniques si différents et si évolutifs dans ce marché en cours de constitution. La suppression des DRM est un indicateur clé sur ce plan, certains autres lecteurs à l’opposé ne sachant pas vraiment ce que sont les DRM, de même que les transferts de documents d’un support à l’autre, d’un format dans un autre, etc. Mieux encore, la capacité à modifier les fichiers sources dans le code même pour améliorer le confort de lecture permet de faire la démonstration de son autonomie, voire de son esprit critique en donnant en quelque sorte une leçon aux développeurs qui n’ont pas été capables d’offrir des fonctionnalités de confort pourtant considérées comme essentielles. Ce type d’utilisateurs deviendrait aisément prescripteur, mais, et c’est là la difficulté, à partir de son point de vue d’expert, informel certes, mais malgré tout expert.

A. Et comment vous faites pour gérer le stock de livres ? Comment ça se passe?

B. Je les gère de mon PC, j’en ai pas mal sur les machines mais tout est centralisé sur mon PC, et quand j’ai besoin, le livre en cours, je le branche par USB et je le transfère... Pour les achats c’est aussi via le PC, jamais via les boutiques intégrées.

A. Vous n’avez jamais eu de problème de transfert, de compatibilité, de format...

B. Non, parce que je fais assez attention de ne prendre que du ePub, donc non je n’ai pas de problème particulier... Non, ça va.

A. Et au niveau de tout ce qui est DRM, pour les copies?

B. Je les enlève, justement. C’est pour ça que j’achète par le PC. C’est que le premier truc que je fais quand j’achète un livre, c’est enlever les DRM. Comme ça je n’ai pas de problème pour les transférer. Ce qui est normal puisque je l’ai acheté... je connais deux logiciels pour les enlever, ou trois, en un double clic on enlève le fichier et voilà, en deux secondes c’est prêt. C’est n’importe quoi, leur chiffrement de DRM, ce n’est pas une vraie protection. Même les bouquins achetés sur Apple, sur l’iBook Store, on peut les enlever assez facilement, maintenant, depuis un mois à peu près on peut enlever les DRM. - Entretien 05 B. Voilà. Donc je n’ai pas le Kindle. Ah non, on peut acheter avec le logiciel Kindle sur PC, mais bon c’est surtout que le format Kindle il est nul en fait. Le format numérique des Kindle, la maquette des Kindle, c’est nul, c’est moche, c’est vieux. Dans Kindle, c’est du vieux HTML3, et les mises en page elles sont horribles. Alors que dans ePub c’est du HTML4, du HTML5, bientôt, c’est CS2, maintenant c’est CS3, voilà, ça fait des belles mises en page, l’ePub. Kindle, c’est dégueulasse… Par exemple, les marges... Il y a un truc qui m’exaspère, c’est les apostrophes droites, les apostrophes d’informatique toutes droites, c’est pas des apostrophes littéraires, les apostrophes littéraires c’est arrondi,

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quand je lis ça dans un livre ça me hérisse le poil, et quand c’est dans un livre commercial, en plus, qui est censé avoir été fait par la maison d’édition, ça me met en boule. Donc c’est l’affaire d’un rechercher/remplacer dans le logiciel, et voilà, en trente secondes c’est réglé, mais voilà, il faut le faire. Un autre truc qui m’énerve, c’est les blancs entre les paragraphes, aussi. Quand il y a un blanc quand on change de personnage ou de situation, c’est normal, mais il y en a, ils font comme dans Word ou dans Open Office, ils mettent un blanc à tous les paragraphes, c’est nul! Ca prend de la place à l’écran, ils ne sont pas très grands, les écrans! Et puis ça casse le rythme de la lecture, ça l’aère, c’est une aération artificielle, en fait! Alors voilà, donc je corrige ! Et quand je partage avec des amis, je partage la version améliorée, bien sûr. Ben oui, on ne va pas mettre en circulation des trucs mal faits. - Entretien 05

A tel point que ce lecteur devient quasiment bibliothécaire, capable de gérer des stockages sophistiqués ou variés, de les faire partager, de jouer des subtilités des métadonnées et d’utiliser des formats connus des professionnels. Le partage fait aussitôt partie de cette culture geek, où toute avancée personnelle doit être libérée pour tous les autres utilisateurs, avec comme seule récompense une forme de réputation qui n’est pas nécessairement très vaste mais qui suffit à rétribuer les compétences reconnues.

B : On peut le mettre sur un site de téléchargement par exemple et puis je donne le lien... Ah oui, je ne donne pas un lien vers une librairie. Quand je partage, je partage. On peut partager par les catalogues OPDS6, aussi. C’est des catalogues de livres qu’on met sur un site internet en fait, qu’on peut faire soi-même. C’est comme une liste de lecture, c’est ça, oui, il y a une couverture, il y a les titres, on peut classer par auteur, on peut classer par dernier arrivé, un peu comme sur Feedbooks. Et c’est un protocole, un protocole de gestion de catalogue en ligne, de librairie en ligne... C’est un peu comme un iTunes en ligne, si vous voulez. Vous partagez votre bibliothèque en faisant un serveur qui sera joignable… C’est très puissant, le protocole OPDS, parce qu’il peut être intégré aussi dans des logiciels de lecture, par exemple Aldiko, pour lire sur Androïd, on peut déclarer son propre catalogue OPDS, alors dans l’interface d’Aldiko on voit arriver les livres, on le choisit, il arrive dans votre Aldiko et vous le lisez tout de suite, vous ne sortez pas d’Aldiko. C’est très puissant !… chacun a son catalogue, chacun peut mettre à disposition sa bibliothèque via un catalogue OPDS, c’est assez simple… En fait, ils utilisent une astuce de Dropbox, pour mettre tous leurs livres sur leur compte Dropbox, et mettre le serveur OPDS sur le Dropbox. Donc voilà, mais on peut le faire chez soi si on veut aussi, pour un serveur très privé, où il n’y a que soi qui accède ou quelques amis, on peut faire. Donc voilà, sur Aldiko ou Mantano c’est soit via OPDS, soit en le branchant en USB, en le branchant en USB sur l’ordinateur et puis on glisse et déposer, et puis voilà. Par mail, aussi. - Entretien 05

Cette posture ne repose cependant pas uniquement sur la technique comme nous le disions. Dans l’axe des incertitudes, l’autonomie se traduit surtout sur les contenus et sur la revendication d’un choix illimité. Dès lors, il est inconcevable de demander la garantie des conseils du libraire ou même d’une plate-forme spécialisée, il faut avant tout récupérer toute la marge de manœuvre possible en profitant des offres gratuites de tous types aussi bien que des modes d’achat divers.

B : C’est essentiellement des livres que je télécharge, mais j’en achète quand même, je ne sais pas, deux ou trois par mois, quand même. J’en achète au moins deux par mois, j’en achète plus que ce que j’ai le temps d’en lire… J’en

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Open publication distribution service : système de syndication pour lire des fichiers via un logiciel libre et donc exploitable par tout type de logiciel de lecture.

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achète plus que j’ai le temps d’en lire, oui ! Sans compter que je lis aussi ceux que je n’achète pas, ceux que j’ai téléchargés par ailleurs, et donc en fait il y a des bouquins que j’ai achetés il y a deux ans que je n’ai toujours pas lus, mais je continue à en acheter régulièrement, c’est un peu fou… de toute façon les gens qui lisent beaucoup ils ont toujours beaucoup de livres d’avance, voilà, c’est comme ça. Un gros lecteur c’est aussi quelqu’un qui a toujours beaucoup de livres à sa disposition… J’achetais beaucoup dans les grosses librairies indépendantes du type Furet du Nord, le Hall du Livre à Nancy, la libraire Kléber à Strasbourg, les grosses librairies indépendantes, parce que j’aime bien avoir beaucoup de choix, et quand on veut un livre pointu dans une petite librairie, il n’y est jamais, il vous dit toujours je peux vous le commander, non, moi je le voulais maintenant. Une librairie, ce doit être gros, quoi. Même indépendant, ça doit être gros. Ce n’est pas possible d’arriver dans une librairie et on vous dit je peux vous le commander, il arrive la semaine prochaine, ce n’est pas possible... Oui, parce que j’adore me promener dans les librairies, oui. C’est quand même là qu’on voit bien les nouveautés, je trouve, qu’on fouine et tout. Mais je n’achète presque plus en librairie - Entretien 05