• Aucun résultat trouvé

Gaz de Bose 2D en interaction : la transition BKT

5.2.1 Pr´esentation

La dimensionnalit´e d’un syst`eme quantique, et notamment d’un gaz dilu´e de bosons ultrafoids, a des cons´equences importantes sur ses propri´et´es. A 3D, la transition de phase vers un ´etat superfluide est tr`es bien d´ecrite par un mod`ele sans interaction, ne tenant compte que de la statistique bosonique. On peut clairement distinguer deux phases, une partie thermique dans les ´etats excit´es et le condensat de Bose-Einstein qui est d´ecrit par l’´equation de Gross-Pitaevskii. Cependant, la physique `a plus basse dimension (notamment `

a 2D) est diff´erente car les interactions entre atomes jouent un rˆole crucial [101]. Dans un gaz id´eal et homog`ene `a 2D, il n’y a pas de condensation de Bose-Einstein. Dans un gaz id´eal 2D pi´eg´e harmoniquement, il y a un ph´enom`ene de condensation de Bose, mais cela arrive quand la densit´e au centre du pi`ege devient infini. On comprend alors pourquoi les interactions doivent ˆetre prises en compte. Dans une approximation de champ moyen, il n’y a pas de transition de phase. En r´ealit´e, il y a bien une transition de phase superfluide dans un gaz de Bose 2D en interaction qui s’explique dans le cadre th´eorique introduit par Berezinskii, Kosterlitz et Thouless [102, 103]. Je d´ecris bri`evement cette th´eorie dans la suite, on pourra trouver plus de d´etails dans un article de revue [101] et dans les th`eses de T. Plisson et B. Allard [100, 97].

La th´eorie BKT au d´epart s’applique au mod`ele XY `a 2D, c’est-`a-dire `a un mod`ele de spin classique dans le plan avec une interaction entre proches voisins. Dans ce syst`eme, le th´eor`eme de Mermin-Wagner-Hohenberg sti-pule, qu’`a temp´erature non nulle, aucun ordre `a longue port´ee n’est possible [104, 105]. En fait, on peut le comprendre en consid´erant les ondes de spin de grandes longueurs d’onde (modes de Goldstone) qui prolif`erent `a temp´erature non nulle. Paradoxalement, l’absence d’ordre `a longueur port´ee n’empˆeche pas l’existence d’une transition de phase superfluide dans ce syst`eme. Au-dessus de la transition de phase la fonction de corr´elation g1 est exponen-tiellement d´ecroissante alors qu’au-dessous de la transition la fonction de corr´elation devient alg´ebrique. Le m´ecanisme de cette transition de phase est li´e `a des d´efauts topologiques appel´es vortex, c’est `a dire un point autour duquel le spin tourne de 2π. A la transition les vortex thermiquement excit´es s’apparient, ce qui donne lieu au changement de comportement de la fonction g1.

La th´eorie BKT pr´ec´edente s’applique approximativement dans les gaz

dilu´es de bosons `a basses temp´eratures car les interactions inhibent les fluc-tuations de densit´e. L’op´erateur champ pour les atomes d´ecompos´e en op´erateur densit´e et phase peut se r´eduire alors `a l’op´erateur phase et le hamiltonien est alors :

H = ~2 2m

Z

(∇θ(r))2d2r (5.2)

Ce hamiltonien est la version continue du mod`ele XY o`u la phase θ corres-pond `a la direction du spin. On retrouve alors la mˆeme physique au niveau de la transition de phase. Il est important de comprendre cependant que cela reste une approximation car en pratique les fluctuations de densit´e ne sont pas strictement gel´ees `a la temp´erature de la transition [101]. Dans un gaz de Bose, le passage de la transition de phase s’accompagne d’un saut vers une fraction superfluide non nulle. Ce comportement universel a ´et´e mis en ´evidence dans les films d’h´elium [106]. Le mod`ele XY, le gaz de Bose 2D en interaction et mˆeme la transition supraconductrice dans les syst`emes d’´electrons 2D appartiennent `a la mˆeme classe d’universalit´e pour la transi-tion BKT.

La th´eorie BKT ne permet pas de connaˆıtre pr´ecis´ement la temp´erature ou la densit´e critique nc `a la transition dans un gaz de Bose. Pour cela il faut recourir `a des simulations Monte-Carlo. Dans le cas d’un gaz homog`ene [107], on trouve ncλ2dB = log(380.3 ˜ g ), (5.3) o`u ˜g = √ 8πa/az (avec az = p

~/mωz) est le param`etre sans dimension d´ecrivant la force des interactions. Typiquement, dans les exp´eriences avec des atomes ultrafroids, ˜g vaut entre 0.01 et 0.2, ce qui donne ncλ2dB ≈ 8. Dans le cas exp´erimental d’un pi`ege harmonique, il faut faire une approximation de densit´e locale pour trouver le moment o`u la densit´e critique est atteinte au centre du pi`ege. Il n’y a pas de formule simple pour trouver la transition de phase. On peut aussi noter qu’il y a alors des effets de tailles finies importants (beaucoup plus qu’`a 3D) et que la transition de phase dans un pi`ege est plutˆot une transition molle [101].

5.2.2 Quelques exp´eriences marquantes dans le domaine

des atomes froids

L’´etude des gaz ultrafroids dilu´es `a 2D a commenc´e au alentour de 2003. La transition BKT a ´et´e mise en ´evidence en 2005 dans l’´equipe de J. Dalibard `

a l’ENS [95]. Plus pr´ecis´ement, l’analyse des interf´erences entre deux nuages a permis de mettre en ´evidence le changement de r´egime dans la d´ecroissance

de la fonction g1. De plus, la prolif´eration de vortex libres au-dessus de la temp´erature critique a ´et´e observ´ee.

D’autres ´etudes ont suivi, en particulier sur la densit´e in− situ. La sup-pression des fluctuations de densit´e avant la transition de phase a ´et´e observ´ee [108]. L’invariance d’´echelle due `a l’absence de dimension du param`etre d’in-teraction ˜g a ´et´e d´emontr´ee [109], et l’´equation d’´etat mesur´ee [110]. En faisant varier la valeur de ˜g, l’universalit´e `a la transition de phase peut ˆetre mise en ´evidence [109]. Ces ´etudes ne s’int´eressent pas directement aux si-gnatures de la transition de phase. D’ailleurs, rien de spectaculaire ne change sur la densit´e in− situ quand on passe la transition superfluide car le gaz est domin´e par les interactions, et le profil de densit´e est donn´e par un pro-fil Thomas-Fermi au centre du pi`ege. Les ailes de la distribution peuvent ˆetre ajust´ees par une th´eorie de champ moyen ce qui permet de d´eterminer pr´ecis´ement la temp´erature et le potentiel chimique [111]. In− situ, `a la diff´erence de ce qui se passe `a 3D, on ne peut pas distinguer directement la fraction superfluide ou condens´ee. On distingue seulement la r´egion ”quasi-condens´ee” caract´eris´ee par un profil Thomas-Fermi et des fluctuations de densit´e r´eduite, qui apparaˆıt avant la transition de phase BKT.

Pour avoir une signature claire de la transition de phase superfluide, il faut s’int´eresser soit aux propri´et´es de coh´erence, soit aux propri´et´es de trans-port qui sont les seules `a vraiment changer `a la transition. La superfluidit´e d’un gaz de Bose 2D a r´ecemment ´et´e observ´ee directement [112]. C’est ce-pendant une m´ethode assez lourde et il est probablement difficile d’en faire une analyse quantitative. La coh´erence peut ˆetre ´etudi´ee soit par interf´erence [95, 113], soit en en ´etudiant la distribution d’impulsion du gaz qui est li´e `a la transform´ee de Fourier de la fonction g1. Cette solution a ´et´e mise en oeuvre dans le groupe d’E. Cornell mais dans une configuration pas vraiment 2D (kBT ≈ 2~ωz), et de fa¸con peu d´etaill´ee car ce n’´etait pas le sujet principal de la publication [108].

5.2.3 Etude de la distribution en impulsion autour de

la transition BKT pour un gaz pi´eg´e

Notre ´etude (voir l’article page 122) a consist´e en l’analyse de la distri-bution en impulsion n(k) d’un gaz 2D de fa¸con beaucoup plus pr´ecise que cela n’avait ´et´e fait auparavant. Pour cela, nous avons simplement r´ealis´e un temps de vol 3D `a partir de notre gaz pi´eg´e. L’´energie d’interaction est relˆach´ee dans la direction de fort confinement, et l’expansion du gaz dans la direction radiale refl`ete directement la distribution en k du nuage initial. Ha-bituellement, (on peut le calculer exactement pour un gaz sans interaction),

il faut attendre un temps grand devant 1/ωr o`u ωr est la fr´equence radiale du pi`ege pour que la distribution apr`es expansion corresponde directement `

a celle en impulsion. Exp´erimentalement, nous utilisons un temps de 83 ms, ce qui correspond `a ωrt ≈ 6. Cependant, il faut noter qu’`a cause des inter-actions le gaz initial est plus gros qu’un gaz sans interaction et que proche de la transition la longueur de coh´erence diverge, notre temps de vol limite alors la r´esolution en impulsion. Notre r´esolution est de plus limit´e par notre r´esolution d’imagerie. Exp´erimentalement, nous mesurons une r´esolution de 0.3 µm−1 (pour des gaz largement sous la transition), due `a la combinaison des deux effets.

Les r´esultats principaux de l’article sont la premi`ere caract´erisation pr´ecise de la distribution en impulsion d’un gaz `a 2D. Nous avons ´etendu une th´eorie quasi-classique de champ moyen d´evelopper pour la densit´e in− situ [111] pour l’´etude des profils en impulsion. Cela nous permet d’ajuster les ailes des profils observ´es et ainsi d’extraire la temp´erature. Une comparaison di-recte avec des simulations Monte-Carlo permet de montrer un bon accord et de v´erifier que nous comprenons bien notre syst`eme exp´erimental. Une observation particuli`erement int´eressante est le fait que la coh´erence com-mence `a grandir largement avant la transition de phase. C’est un r´esultat attendu d’un point de vue th´eorique car la divergence exponentielle de la longueur de coh´erence `a la transition donne lieu `a une r´egion critique large [101]. Ce point n’avait pas ´et´e mis en ´evidence dans le groupe d’E. Cornell [108], probablement `a cause d’un caract`ere 2D moins marqu´e.

Enfin, nous ´etudions `a la fois la largueur de la distribution reli´ee `a la longueur de coh´erence moyenne ou le pic n(k = 0) reli´e `a la fraction du nuage d’impulsion inf´erieure `a notre r´esolution de 0.3 µm−1. Ces deux quantit´es nous permettent de quantifier le degr´e de coh´erence de nos gaz. En particulier, la valeur n(k = 0) a l’avantage de pas saturer dans la phase superfluide et sera utilis´ee pour nos ´etudes sur les gaz 2D en pr´esence de d´esordre.