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4.   ANALYSE ET INTERPRETATION DES RESULTATS

4.3.   Les tensions émergentes dans les groupes

4.3.3.   Le GASE entre le jeu et la recherche du « juste »

Malgré le jeune âge de création du groupe nîmois, à chaque réunion, ce sont de nouveaux produits qui sont proposés, dégustés et validés. Pour certains, l’entrée de ces derniers se fait trop rapidement et sans passer au préalable par une « enquête ». Entre l’excitation de ramener de nouveaux produits et la volonté de discuter pour évaluer la légitimité d’un produit dans le groupe naissent des incompréhensions.

4.3.3.1. Les Modalités de la sélection

Pour illustrer ces propos, nous décrirons la démarche et la logique d’action de deux gasières pour estimer la légitimité d’un produit rencontré.

Isabelle, « l’enquêtrice »

C’est par l’intermédiaire d’une personne d’un autre groupement d’achat sur Sommières, que Isabelle a eu le contact d’un producteur de pois chiche labellisé, installé près de chez elle. Il convient de remarquer que la personne l’ayant renseignée sur ce producteur partage les mêmes affinités et le même engagement politique : « Direct, quand tu rentres chez elle [membre de l’autre groupe], tu vois des autocollants anticapitalistes, donc tu te dis ok, on va bien s’entendre ». C’est lors d’un entretien qu’elle nous fait part de sa rencontre avec le producteur : « On a d’abord parlé de sa reconversion et puis après j’ai pris les pois chiche, mais ça demande toute de même à aller discuter plus longtemps. Il faut que je retourne voir parce qu’il y a une question par rapport au GASE, à savoir qu’il m’expliquait qu’il amende ses terres avec la station d’épuration de Salinelles ou de Sommières, donc ça m’a interrogé, vu le nombre de médicaments que les gens prennent. Là, il va falloir que j’y retourne pour lui poser des questions ». Malgré que le producteur soit labellisé et qu’elle considère la labellisation comme gage de qualité, Isabelle veut, à la même façon qu’au RAARes, mener une enquête afin de pouvoir répondre à toutes les questions du groupe : « J’y suis allée mais déjà le fait qu’il soit AB c’est une qualité, mais ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas aller plus loin dans la discussion, surtout pour l’amendement. Il faut pousser plus loin parce que ça nous travaille ». Isabelle comme les autres membres fondateurs ont cette volonté d'aller plus loin dans « l'investigation », ce qui n'est pas le cas de tout le monde.

Catherine, nouvellement entrée dans le groupe et déjà responsable du sirop de gingembre, propose

cette fois-ci au groupe des pélardons provenant d’à côté de chez elle. A la question de savoir en quoi ce producteur correspond aux critères du groupe, elle mettra en avant que c’est une personne qui s’est reconvertie et qui a le label. Puis Catherine convoque un engagement plus domestique en expliquant qu’elle a suivi les conseils d’une de ses amies qui a mis en avant les qualités humaines

74 (« apparemment il est super sympa ») de ce producteur qu’elle « voit régulièrement » sur le marché. C’est à la réunion de mai 2011, que Catherine propose au groupe une dégustation : « Je suis allée chercher des fromages. Le producteur n’était pas là mais j’ai vu son fils, je lui ai expliqué qui on était et il m’a dit qu’il pouvait nous faire un rabais sur les fromages, il nous fera une ristourne de 20 centimes sur chaque fromage ». L’engouement de plusieurs membres lors de la dégustation par le groupe au cours d’une réunion la conduit à faire circuler une feuille pour noter les commandes. Trois personnes agacées du remue-ménage qu’entraînait l’arrivée de produits sur la table lui demandent de rapporter plus d’informations sur l’exploitation pour la prochaine réunion.

Pour ces membres, un produit ne peut pas être validé s’il n’y a pas eu de discussions, de débats au préalable : « Il faut pousser plus l'investigation » (Isabelle). Nous nous rendrons avec elle le mois suivant pour récupérer la commande : « Gabriel m’a demandé d’avoir plus d’informations mais je sais pas quoi demander ». Il se trouve qu’elle n’avait pas pris rendez-vous et que le producteur était de nouveau absent. Son fils prépare les commandes en emballant chaque fromage dans des sachets personnalisés pour chaque personne. Catherine se réjouit de cette petite attention. C’est en discutant avec le fils qu’elle se rend compte que le producteur dont lui avait parlé son amie, qui fait le marché chaque semaine, n’est pas le même (eux ne font que de la vente à la ferme). Mais elle ne reviendra pas sur son choix, en mettant en avant une logique marchande et domestique (le cadeau aux clients fidèles ou à fidéliser) : « ils nous font le rabais, ce n’est vraiment pas cher et en plus ils sont bons ». Lorsque nous lui demandons à partir de quels moments le groupe fait confiance à un producteur, elle nous répond : « Mais c’est vrai que quand Gabriel était pas là, ça s’est fait naturellement. Le sirop, les gens l’ont goûté et on a commandé. Ceux qui ont voulu les goûter ont acheté tout de suite, ça s’est fait comme ça. Ils ont dit ok, elle est en bio, elle est toute seule, elle cultive elle-même son gingembre, c’est suffisant. Le fromage on verra parce que d’après ce que j’ai compris, on en discutera ce soir, pour voir si on continue mais je n’ai pas plus de renseignements. Mais bon, c’est ma faute ! »

En comparaison à Isabelle qui préconise un travail d’enquête pour la validation d’un produit, pour Catherine, la dégustation suffit. Elle ne voit pas l’utilité d’aller plus loin dans l’enquête : « D’après ce que proposait Gabriel, parce que ça a jamais été autant callé, l’idée c’est qu’on part d’un produit potentiel, on valide le fait que ce soit un produit potentiel, on goûte, on prend les renseignements plus précis sur le producteur, on fait une commande d’essai et après on valide le produit ». Ces études de cas montrent en quoi ces deux membres du groupe mettent en place des logiques d’action différentes : Catherine prend du plaisir à essayer de nouvelles façons de faire en se rendant chez des producteurs et en ramenant des produits au GASE pour les déguster entre « convives », alors que Isabelle et Gabriel ont une démarche plus politique, d’enquêteurs. L’excitation de « cumuler » des produits se trouve confrontée à l’enquête pour évaluer la légitimité d’un produit prônée par les « détenteurs de la doctrine » (Catherine).

4.3.3.2. Les réunions : entre le jeu et l’efficacité

Ces incompréhensions entre le régime de l’exploration et le régime de l’enquête conduisent aussi à des réflexions sur l’organisation du temps de réunions. Pour certains, comme Joëlle, venir en réunion est un plaisir, alors que pour Gabriel et les membres « créateurs » qui convoquent un engagement plus politique, il y a une volonté de plus d’efficacité.

Proposition de Gabriel dans un compte rendu : « Vu que les réunions empiètent sur les discussions, il est proposé l'organisation suivante pour les prochaine réunions : 1h30 d'échange sur les sujets de fond et 30 min de livraisons à la fin. Chaque responsable produit doit préparer des paquets pour les

75 Gasiers concernés qui tiennent leurs sous prêts. Faut qu'ça dépote. Cela peut se faire sur les tables de la pièce à côté ».

De même, afin de mener une enquête correctement, Gabriel a proposé l’élaboration de fiches « type » avec des questions, en guise de mode d’emploi à l’enquête auprès des producteurs.

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