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4.   ANALYSE ET INTERPRETATION DES RESULTATS

4.7.   La participation à un groupement d'achat

4.7.2.   Formes de liberté

Malgré quelques réticences mentionnées par des personnes extérieures ne voulant pas s’engager dans le groupe ainsi que des contraintes abordées par des membres, ce dispositif attire de nombreuses personnes. En quoi les membres du groupe y trouvent leur compte ? Qu’est ce qui plait dans cette forme d’achat ? Pourquoi cette forme d’achat convient plus qu’une autre ? En comparant les GA avec d’autres formes d’achat telles que l’achat en GMS et en AMAP, nous avons identifié différentes formes de libertés invoquées pour expliquer le choix de cette forme de dispositif.

4.7.2.1. Les pratiques d’approvisionnements des membres

Nous nous sommes informées en entretien sur les pratiques d’approvisionnement des membres et notamment de savoir si le GA était complémentaire ou se substituait à d’autres formes d’achat. Pour cela, nous avons posé en début d’entretiens des questions factuelles du type :

- Où faites-vous vos courses ?

- Qu’est-ce qui vous conduit à faire vos courses dans ces endroits ?

Nous leur demandions ensuite de décrire les différents lieux de leurs approvisionnement, de raconter en détail ce qu’ils y faisaient et les avantages qu’ils y trouvaient.

Alors qu’on aurait pu s’attendre au contraire, vus les engagements militants importants des membres du RAARes et du GASE, les résultats montrent tout d’abord que seulement une infime partie des membres enquêtés ne s’approvisionne plus du tout au supermarché. La majorité pratique encore des achats en grande surface, notamment pour des produits qui ne sont pas accessibles via le groupement ou par d'autres types d'approvisionnement. Dans les GMS, les produis issus de l’agriculture biologique sont privilégiés. Cependant, certaines personnes et notamment dans le RAARes et dans le GASE ne vont plus au supermarché mais s’approvisionnent dans les Biocoop que nous ne considérons pas comme des GMS.

93 Le groupement d’achat n’offrant que très peu de produits frais, on remarque que nombreux membres fréquentent aussi des marchés de plein vent ou sont adhérents d’une AMAP.

Nous pourrions qualifier la pratique d’achat en supermarché comme un engagement en plan (Thévenot, 2006) de type fonctionnel où les consommateurs saisissent l’environnement dans le but de satisfaire un objectif précis, l’achat. Le consommateur entre dans un supermarché dans le but d’acheter des produits alimentaires, il sait en général où se trouvent les produits, termine par la caisse, paye et s’en va. Il met en place une conduite qui prend appui sur une intention qui est celle d’acheter des produits mais aussi mise sous la forme d’un plan avec des étapes à suivre. L’environnement y est disposé de manière fonctionnelle (Thévenot, 2006).

Les personnes s’approvisionnant dans les groupements d’achat mettent en avant des formes de liberté, qu’elles ne peuvent pas trouver dans cette forme d’engagement en plan.

4.7.2.2. Le lien social

Concilier lien social et achat alimentaire reste un des points primordial recherché par les membres des GA. Cependant, cette recherche de lien social se traduit différemment selon les groupes. Dans Miam Miam, qui est plutôt ancré dans le régime du proche, est présente cette idée d’échanger et de partager qui joue un rôle dans la recherche d’une certaine aise, renforçant des rapports intimement liés. De façon différente, dans le RAARes, les participants ont cette volonté de créer du lien social en se retrouvant, partager un moment ensemble mais dans une conception politique de la liberté et pas forcément dans l’attachement. Le GASE de Nîmes en est à ses débuts mais revendique la même position que le RAARes.

A la différence de l’engagement en plan de type fonctionnel, les membres évoquent un certain plaisir à pouvoir discuter, rencontrer d’autres personnes qu’ils mettent en opposition avec l’achat en GMS. Au RAARes, comme témoigne Véronique, « je n’ai pas l’impression de faire les courses, je vais voir les potes » ; la pratique d’achat est pratiquement oubliée.

C’est souvent la perte de lien et l’absence de communication avec les individus qui est en cause, avec une critique de la relation avec des machines ou avec une caissière avec qui il est difficile d’échanger :

« [Je préfère] parler avec des gens plutôt que de visiter des rayons, des lumières froides et puis rencontrer juste une caissière, un caissier, une machine pour encaisser tes sous, avec ton portable, c’est l’horreur », témoigne Gilou.

« Au supermarché, t’es avec ton cadis, tu remplis ton cadis de ce dont tu as besoin, tu vas faire la queue, même les caissières c’est souvent qu’elles sont pressées, y a aucune communication y a rien, t’as la musique de fond… au RAARes, c’est plus sympathique, y a la convivialité, cette sympathie», nous décrit Malika.

Au supermarché, l’action est vue comme individuelle et routinière (« toujours la même »). Il n’y a pas d’interaction sociale mais seulement l’objectif de trouver les produits nécessaires, payer et partir dans un minimum de temps, ne laissant pas place à la discussion. D’après les témoignages, le supermarché est conçu de telle sorte qu'il ne laisse pas place à la discussion : « T’arrives à la caisse, t’as pas le temps de discuter qu’il faut déjà que tout soit vite emballé, pesé», « t’as la musique de fond » (Grégory, RAARes).

94 Cette création de lien social que les membres ne retrouvent pas dans les supermarchés est aussi peu présente pour certains dans les AMAPs, comme nous le raconte Sonia :

« Etrangement en allant au RAARes, je me suis mise à beaucoup plus parler aux gens qu’à l’AMAP. C’est vrai que les distributions de l’AMAP sont telles que soit tu connais quelques personnes et tu discutes, soit tu t’en vas. Alors que là, se revoir une fois par mois, tous assis… ». L’environnement est organisé de manière à favoriser la rencontre, les réunions sont fixées de manière régulière autour d’une table.

L’impersonnalité du lieu est aussi évoquée comme un point peu attrayant des supermarchés. Ce sont souvent des éléments de décors peu séduisants : « des rayons », « des lumières froides », « l'éclairage », « la caisse ». L’odeur du lieu est même relevée « Au supermarché, ça sent très mauvais alors qu’à la librairie (lieu des réunions RAARes) t’as toujours une odeur différente, t’as l’odeur de la confiture quand quelqu’un amène de la confiture, t’as l’odeur des livres », nous raconte Léon en plaisantant.

4.7.2.3. Choisir son produit librement

A la différence d’une AMAP où l’achat repose sur un engagement contractuel défini avec le producteur, le groupement d’achat impose très peu de règles. Les gens entrent et partent comme bon leur semble, commandent ou ne commandent pas, viennent ou ne viennent pas. « Rester souple et libre » est le mot d’ordre de certains. A la question de savoir pourquoi avoir choisi le groupement d’achat et pas une AMAP, les personnes évoquent la liberté de pouvoir choisir leurs produits et leur rythme de consommation. Un des membres de Choux fleurs et pissenlits témoigne sur Internet : « On aurait pu adhérer à une AMAP, mais on veut garder une liberté dans le choix des produits : les paniers plus ou moins imposés ce n’est pas notre truc ». Catherine est de cet avis aussi : « Sur le panier, moi j’ai découvert des choses, c’est aussi un engagement parce que ça facilite pas la vie tout le temps, ce n’est pas vrai. En les achetant il faut que tu les cuisines. C’est un choix comme ceux qui se sont enlevés parce que tu ne pouvais pas choisir tes légumes. Mais dans le monde où on vit où on pense qu’on est libre parce qu’on a le choix, c’est difficile de se dire qu’on est contraint ». Le groupement d’achat leur permet de choisir leurs produits et les quantités voulues.

En plus de cette liberté de pouvoir choisir ses produits, la liberté de pouvoir choisir le fonctionnement du groupe (et une forme dite « plus informelle ») est mise en avant. Mathias nous explique pourquoi le groupe n'a pas voulu adhérer à une AMAP : « Parce que c’était trop connoté, ça avait un fonctionnement très particulier et on voulait qu’il [le fonctionnement] soit plus large (…) je voulais une approche plus large au niveau organisationnel». La liberté recherchée dans le choix de l'organisation passe par un refus des prescriptions et des règles préétablies.

Néanmoins, la liberté de choix des produits se rapproche d’une idée de l’expression des souhaits du consommateur. Il sera donc intéressant de voir comment se traduit le soutien à l'agriculture locale ? (cf partie 4.8).

4.7.2.4. Le groupement d'achat, un lieu de savoir et de transmission de

connaissances

95 le plaisir de venir en réunion pour écouter et acquérir de nouveaux savoirs est cependant évoqué par certains membres de la Coopé RAARes et du GASE. Les moments de réunions ainsi que quelques témoignages recueillis en entretien font mention de cette volonté d’apprendre. Cette motivation se fait surtout ressentir dans le RAARes où les membres s’inscrivent dans un régime de justification par le biais de l’enquête. Les moments de réunions et de discussions sont présentés pour certains comme des lieux de savoirs : « Je n’imaginais pas qu’on puisse se poser ce genre de questions et donc tu repars, t’as appris plein de truc, t’as appris que dans la farine y a des glutens. Il y a des graines qui sont traitées, elles sont bio mais elles sont traitées, t’apprends pleins de choses, je trouve ça super intéressant», témoigne Véronique. Une forme d'auto-apprentissage, en menant sa propre enquête et ses propres observations est recherchée.

4.7.2.5. L'expérimentation de nouvelles manières de faire

A la différence de l'engagement en plan, le groupement d'achat permet l'expérimentation de nouvelles manières de faire (Auray, 2010). La dimension collective de ces nouvelles expériences est fréquemment mise en avant : « C'est génial d'en arriver là, je connaissais personne et on arrive quand même à faire des choses ensemble, en plus on est parti de rien » (Catherine,GASE). Les participants échangent sans cesse de nouvelles idées, de nouveaux projets qu'ils réalisent : « C'est un bordel très créateur », nous fait part Agnès du groupement « La Calebasse ». A la différence d'un achat pratiqué en supermarché, participer à un groupement d'achat laisse place à la surprise : « A chaque réunion, il y a de nouvelles personnes, de nouveaux produits, chaque réunion est différente » (Isabelle, GASE).