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Des garanties du justiciable (selon le Conseil d’Etat) Tant les auteurs de la proposition de révision que le Gouvernement dans

Section 4.- Des garanties du justiciable (selon le Conseil d’Etat) Tant les auteurs de la proposition de révision que le Gouvernement dans sa prise de position maintiennent trois dispositions traditionnelles consacrant certains droits fondamentaux du justiciable: le principe du juge légal, la publicité des audiences, la motivation des décisions et leur prononcé public.

Même si la portée de certaines de ces garanties est discutée à l’heure actuelle, – on peut notamment penser à la portée du principe de publicité –, le Conseil d’Etat ne considère pas qu’il soit indiqué de modifier la teneur de ces dispositions qui sont considérées comme des acquis démocratiques au XIXe siècle et qui ont également été maintenues dans les termes de l’époque dans d’autres constitutions européennes. Le Conseil d’Etat marque dès lors son accord avec le maintien des articles 110 et 111 de la proposition de révision (articles 98 et 99 selon le Conseil d’Etat) qui reprennent les articles 88 et 89 de la Constitution actuelle. Par souci de cohérence terminologique, il y a lieu de se référer au concept de « juridiction ». Le terme de « jugement » est à remplacer par celui de « décision de justice».

181 Cf. art. 117 et 119, paragraphe 5 de la proposition de révision.

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Les articles en question se liraient dès lors comme suit:

« Art. 98. Les audiences des tribunaux sont publiques, à moins que cette publicité ne soit dangereuse pour l’ordre ou les mœurs, et, dans ce cas, le tribunal le déclare par une décision de justice.

Art. 99. Tout jugement est motivé. Il est prononcé en audience publique. »

Pour l’exigence d’une loi en vue de la création des juridictions, le Conseil d’Etat renvoie aux considérations qu’il a formulées à l’endroit de la section 1re concernant l’organisation judiciaire. Ainsi qu’il l’a déjà été exposé, le maintien de la disposition de l’article 108, dans la teneur actuelle, ne s’impose pas. Le principe de l’accès au juge légal est consacré dans l’article 19 du chapitre 2 de la proposition de révision (article 18 selon le Conseil d’Etat).

Il est évident que les droits du justiciable vont au-delà de ces droits traditionnels: publicité, motivation, juge légal. On peut citer, sans prétention d’exhaustivité, l’impartialité du juge, la loyauté du ministère public, le droit du justiciable d’être entendu, le principe du contradictoire, le double degré de juridiction du moins en matière pénale, le respect du délai raisonnable, le principe ne bis in idem, le droit au silence. Certains de ces droits, comme l’impartialité ou le contradictoire, sont consacrés, depuis le début du XIXe siècle, par les codes de procédure. Dans la deuxième moitié du XXe siècle, ces droits ont trouvé leur expression dans des instruments internationaux, en particulier dans la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. Les textes internationaux sont d’ailleurs régulièrement appliqués par les juridictions luxembourgeoises en tant que droit positif. Reste la question de savoir si, fût-ce pour des raisons qui relèvent davantage de la forme que de la substance, il y a lieu de reprendre certaines de ces garanties dans le texte constitutionnel.

Le Conseil d’Etat ne préconise pas la reprise dans la Constitution de l’ensemble des droits procéduraux qu’on trouve dans certaines constitutions étrangères ou dans des instruments internationaux. Il pourrait toutefois concevoir l’ajout d’une disposition d’ordre général prévoyant que les règles de procédure garantissent un procès équitable au sens de l’article 6 de la Convention européenne précitée182. Les garanties à consacrer seraient

182 Cf. Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales: Art. 6.- Droit à un procès équitable:

1 Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.

2 Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.

3 Tout accusé a droit notamment à:

a être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu'il comprend et d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui;

b disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense;

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l’impartialité du juge, le caractère équitable et loyal de la procédure, impliquant le respect du contradictoire et des droits de la défense.

Le Conseil d’Etat n’est pas d’avis qu’il y a lieu d’ajouter une série de garanties spécifiques de la procédure pénale, comme le principe du double degré de juridiction, le principe « ne bis in idem », le droit de ne pas s’accuser soi-même ou encore celui de la loyauté des preuves.183 Outre le fait que ces principes ne sont pas formellement inscrits à l’article 6 de la Convention européenne, on peut valablement considérer que ces droits particuliers de la procédure pénale sont couverts par le concept plus général de « caractère équitable et loyal » auquel doit répondre toute procédure judiciaire.

Un tel article pourrait avoir la teneur suivante:

« Art. 100. La loi garantit l’impartialité du juge, le caractère équitable et loyal ainsi que le délai raisonnable des procédures, le respect du contradictoire et des droits de la défense. »

Le Conseil d’Etat note que la question de l’indemnisation du préjudice subi par un justiciable, par exemple en raison d’une erreur judiciaire, sera évoquée dans le chapitre 8 traitant de certaines dispositions relatives à l’administration de l’Etat (selon le Conseil d’Etat)184.

Une dernière question importante à traiter porte sur la consécration de la hiérarchie des normes.

L’article 95 de la Constitution actuelle prévoit le contrôle de la légalité des règlements. Il reste muet sur la question du rapport entre règlement grand-ducal et ministériel. Faute de disposition similaire pour le contrôle de constitutionnalité des lois, le juge judiciaire a considéré qu’il n’avait pas le pouvoir d’y procéder, position qui est à l’origine de la création de la Cour constitutionnelle. Le respect de la loi, en tant que norme adoptée par les représentants de la Nation, n’a pas empêché le même juge de procéder à un contrôle de conventionalité et d’écarter la norme interne, y compris constitutionnelle, en cas de contrariété avec le droit européen et international.185

Si la Cour constitutionnelle et le renvoi préjudiciel sont appelés à disparaître au profit d’une nouvelle Cour suprême saisie par un recours en cassation, il est évident que le juge ordinaire deviendra compétent pour veiller au respect de la conformité de la norme inférieure avec la norme supérieure. La Cour suprême devra veiller à l’uniformité et l’exactitude de ce contrôle.

c se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un

défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent;

d interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge;

e se faire assister gratuitement d'un interprète, s'il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l'audience.

183 A côté du droit au double degré de juridiction en matière pénale (art. 2), le protocole n° 7 à la Convention européenne ajoute encore le droit d’indemnisation en cas d’erreur de justice (art. 3) et le droit à ne pas être jugé ou puni deux fois (art. 4).

184 Il est renvoyé à l’article 102 selon la structure suggérée par le Conseil d’Etat.

185 Cf. Cass. crim., 14 juillet 1954, Pas. 16, p. 150; TA, 25 juin 1997 (p. 799 et 800), confirmé par CA, 11 décembre 1997 (p. 805C et 10191C) (CUE, 15 juillet 1964) (aff. 6164 Costa c/ Enel).

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Se pose la question de savoir s’il faut opérer dans la Constitution un renvoi au contrôle du respect de la hiérarchie des normes. Différentes solutions peuvent être envisagées:

- maintenir l’article 95 de la Constitution actuelle, comme le fait la proposition de révision à son article 112; cette solution pose problème alors qu’une disposition similaire fait défaut pour le contrôle de constitutionnalité et de conventionalité;

- étendre l’article 95 au contrôle de constitutionnalité; cette solution posera, de son côté, la question de la base du contrôle de conventionalité;

- étendre l’article 95 au contrôle de constitutionnalité et de conventionalité. Par rapport aux premières, la troisième solution a l’avantage de la cohérence des textes, mais soulève un problème majeur en relation avec le fondement du statut du droit international. Ce dernier est appliqué par le juge luxembourgeois en vertu de son effet direct et de la primauté qui lui revient en tant que norme supranationale. Fonder le respect du droit international et européen sur la Constitution nationale risque de soumettre le droit supranational à la Constitution et de provoquer des conflits du type de ceux qu’ont connus les ordres juridiques français ou allemand.

Restent deux solutions qui seraient à la fois juridiquement correctes et pragmatiques:

- introduire une disposition relative au respect par le juge de la hiérarchie des normes à la suite de la disposition créant la Cour suprême ou dans la section sur les garanties constitutionnelles du justiciable, disposition qui aurait plus une nature déclarative que constitutive;

- ne plus reprendre l’article 95 de la Constitution actuelle en admettant que tout juge, sous le contrôle de la Cour suprême, veille évidemment et nécessairement à la hiérarchie des normes et que la Cour suprême, compétente pour veiller au respect de la loi, contrôle le respect de la hiérarchie des normes.

Le Conseil d’Etat aurait une préférence pour cette dernière solution. Cet article serait à insérer à la suite de l’article sur la Cour suprême:

« Art. 92. Les juridictions n’appliquent les lois et les règlements qu’autant qu’ils sont conformes aux normes de droit supérieures186. »

186 Le terme de « norme de droit supérieure » est tiré de l’article 2 de la loi modifiée du 12 juillet 1996 portant réforme du Conseil d’Etat.

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