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PARTIE 2 – PEINDRE L’HOMME PAR SES LECTURES, LES GOUTS ET CURIOSITES

C. La galerie des grands hommes

Le goût pour le passé dans les notes de lecture de d’Herculais se manifeste avec la multiplication des portraits. De plus, c’est l’un des éléments qui composent le titre des recueils grenoblois, ce qui montre leur importance aux yeux du noble. Tout au long des volumes se dresse une galerie des hommes illustres qui révèle un

116 Ernst Cassirer, La philosophie des Lumières, Paris, Arthème Fayard, 1966, pp. 223-225. 117 Ibid., p. 210.

118 BMG, Ms R8839, Recueil d’anecdotes …, op. cit., vol. 1. Dans le premier volume on retrouve un

extrait qui porte sur l’origine de l’utilisation du noir comme signe de deuil chez les grecs (p. 104), un autre sur les rites funéraires des Lacédémoniens (p. 164), Puis, vol. 6, p. 355, coutumes autour de la mort chez les Scytes et les tartares, vol. 2, p. 237, mise en bière chez les romains.

108 aspect aujourd’hui effacé, pour ne pas dire oublier, de la culture des Lumières120.

Dans les faits, elle est composée par deux ensembles d’extraits. Le premier regroupe les plaisanteries et bons mots d’auteurs et de personnages importants. Le second ensemble, plus raisonnable et réfléchi, peint les actions mémorables des hommes qui se sont démarqués au cours de leur existence. Nous nous contenterons d’aborder ici la seconde catégorie dont nous avons pu extraire cinquante-six personnages, principalement à partir des Recueils d’anecdotes, et de quelques mentions des tables des matières121. Les portraits les plus importants sont

ceux des gens de lettres et des clercs érudits. Ils représentent 46% du total. Ensuite viennent les hommes d’État, puis les savants, les militaires, qui ont sans doute éveillé la sympathie de l’ancien capitaine des dragons, et les femmes. La moitié des portraits renvoie à des individus du XVIIe siècle, ce qui consolide le caractère

classique de la culture de d’Herculais Bien que n’importe quel genre d’ouvrage soit convoqué pour retranscrire les faits et gestes de ces figures célèbres, la plupart proviennent d’éloges122. Dans La naissance du Panthéon essai sur le culte des Grands

Hommes, Jean Claude Bonnet démontre qu’avant l’officialisation du Panthéon sous la Révolution, le culte des personnages illustres a progressivement échappé au pouvoir royal, pour favoriser davantage les vues du parti des philosophes123. Selon

l’historien, le vecteur fondamental de cette transformation s’incarne par le genre de l’éloge, mis à la mode par les concours de l’Académie française à partir de 1758. Malgré le fait qu’il différencie les prix de l’Académie et les éloges des

120 Jean Claude Bonnet, Naissance du Panthéon : essai sur le culte des Grands hommes, Paris, Fayard,

1998, p. 17.

121 Voir annexe B-13. Concernant la première catégorie que nous avons mise au jour, nous

renvoyons au mémoire de Clémentine Petit qui met en avant l’intérêt pour les personnages avec goût pour les relations mondaines. Clémentine Petit (2006), Les Recueils d’anecdotes …, op. cit., pp. 85-87.

Les tables des matières des Extraits de mes lectures utilisent régulièrement les noms de personnages comme renvoi, sans pour autant préciser le contenu exact de l’extrait. Par conséquent, nous ne les avons pas utilisé et avons préféré les quelques renvois précis.

122 Éloges de d’Alembert, de Condorcet, de Thomas et des concours de l’Académie française. 123 Jean Claude Bonnet, Naissance du Panthéon …, op. cit., p. 65.

109 académiciens, qui comportent une part obligée de louanges, ces récits ont progressivement abouti à la constitution d’un « Panthéon de papier »124. Ces

portraits nouveaux des hommes illustres n’ont rien d’une histoire savante. Largement influencés par le modèle de Plutarque, les auteurs leur donnent une fonction « éminemment pédagogique »125. On comprend donc aisément pourquoi

d’Herculais a pris la décision de les faire figurer dans les cahiers de lecture. Les éloges sont en adéquation parfaite avec la vision de l’histoire qui se dessine dans les recueils, mais surtout avec l’idéal défini par le noble de faire de son œuvre un outil d’instruction à la jeunesse.

II.

C

HARLES D

’H

ERCULAIS

,

UN LECTEUR QUI SE PIQUE DE SCIENCES

Le siècle des Lumières est marqué par une véritable passion pour les sciences. Cet engouement est rendu possible par les transformations qui s’opèrent dans les modes de diffusions des connaissances scientifiques au cours de la période. En effet, jusqu’au début du siècle prévaut une conception aristocratique et élitiste du savoir, qui empêche sa diffusion au sein de la société au sens large et demeure le privilège restreint des érudits. Néanmoins, dès les années 1730, on assiste à des tentatives qui visent à acclimater les sciences dans l’espace public et qui diffusent progressivement les avancées du monde savant. Fontenelle, dès 1686, en est le précurseur en publiant les Entretiens sur la pluralité des mondes où il expose la théorie copernicienne et cartésienne sous la forme d’une conversation entre un philosophe et une marquise. L’Académicien ouvre la voie à ce que l’on qualifie aujourd’hui de vulgarisation scientifique et à sa suite, tout un ensemble d’ouvrages, au contenu plus accessible et explicitement destiné à un public de non-spécialiste, voit le jour. En parallèle, ce sont les mêmes motivations qui encouragent certains savants à proposer des cours publics ouverts à tous. Ces

124 Jean Claude Bonnet, Naissance du Panthéon …, op. cit., p. 10. 125 Ibid., p. 87.

110 séances rencontrent un succès indéniable, notamment auprès de l’aristocratie126.

Indubitablement, Charles d’Herculais est influencé par cette évolution et en homme cultivé, il s’est passionné pour les sciences. Il a lui-même participé, en compagnie de son cher ami Franquières, aux cours d’astronomie professés par Lalande au collège royal127. Ses extraits sont révélateurs de cette attention toute

particulière. Toutefois, malgré sa solide culture, il ne faut pas oublier que la seule formation intellectuelle de d’Herculais, outre ses lectures, se cantonne à l’enseignement qu’il a reçu au collège d’Harcourt. Ainsi, dans la pratique, les extraits qui relèvent de science ne proposent pas des théories complexes et abstraites, mais des faits concrets et des exemples intelligibles.