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Dieu, le sphinx et les sirènes, l’athéisme de Charles d’Herculais

PARTIE 2 – PEINDRE L’HOMME PAR SES LECTURES, LES GOUTS ET CURIOSITES

B. Dieu, le sphinx et les sirènes, l’athéisme de Charles d’Herculais

La préface « sur Dieu »234 et celle sur « les religions »235, démontrent à quel

point d’Herculais a pu intégrer le matérialisme athée du baron d’Holbach. En effet, la référence au penseur est systématique et revendiquée. D’Herculais s’appuie essentiellement sur son œuvre principale, Le Système de la Nature, que l’on retrouve à la tête de ses livres de choix et dans son testament, en compagnie des trois autres œuvres de l’auteur236. Pour d’Holbach et les matérialistes, l’Univers est

fait de matière et de mouvement. Tous les phénomènes qui nous entourent

231 Voir annexe B-19 et plus précisément le sous-ensemble intitulé critique des ecclésiastiques. 232 Ibid.

233 Ernst Cassirer, La philosophie des Lumières, op. cit., p. 153. 234 Voir annexe A-6.

235 Voir annexe A-8.

236 Voir annexes A-3 et A-19. Les titres cités sont Le Bons sens, La morale universelle et le Système

132 peuvent s’expliquer par la Nature237. Par conséquent, il n’est plus nécessaire

d’invoquer la figure transcendante de Dieu, le matérialisme rime fondamentalement avec l’athéisme, principe que notre lecteur défend dans sa préface « Sur Dieu » :

Cet être que les hommes ont inventé, qu’ils placent au gouvernail du monde, et qu’ils ont revêtu de toutes les qualités humaines exagérées jusqu’à l’infini, cet être, dis-je, n’est qu’un phantôme. Nous avons imaginé Dieu et l’âme, comme nous avons imaginé le Sphinx et les Sirènes : les uns n’existent pas plus que les autres238

Même si le fait de prendre la plume et de reformuler de manière personnelle les idées empruntées à d’Holbach est révélateur d’une réappropriation, il n’en reste pas moins que nous sommes toujours dans le domaine de la théorie. Rien ne démontre avec fermeté que d’Herculais approuve l’athéisme. Pourtant, si l’on observe son testament, on ne lit aucune clause pieuse pour le salut de son âme, notre lecteur se contente de déclarer solennellement et pragmatiquement « ceci est mon testament »239. Ce détachement est d’autant plus flagrant si l’on a à l’esprit la

kyrielle de legs pieux laissés par son père à peine trente ans plutôt :

veut le dit d’herculais qu’après son deceds il soit dit le plutot qu’il se pourra mille messe Pour le repos de Son ame, veut qu’il soit remis au Curé de St hugues trois- Cents livres qu’il distribuera ainsi qu’il jugera à propos aux pauvres de se Paroisse, legue à l’Hopital General de cette ville la somme de Cette Ville la Somme de quatre Mille livres Et Celle de deux mille livres à Celui de la Providence de cette Vile. les dits deux legs payables deux années après le déceds dudit d’herculais Sans Interest, legue au Couvent des Religieuses de Ste Claire de Cette Ville trois Cent livres et se Recommande à leurre Bonne Priere, legue aux Ecoles chretiennes de Cette Ville quatre Cent livres, Veut le dit d’herculais qu’il Soit distribué aux pauvres de Theys et d’herculais la Somme de quatre Cent livres et celle de deux cent livres à chacune des communautés de la Riviere St Gervais […] pour les dittes Sommes distribuées par les Curés des dits lieux aux Pauvres les plus nécessiteux240

237 Pierre Naville, D’Holbach et la philosophie scientifique au XVIIIe siècle, Paris, Gallimard, NRF, 1967

p. 231.

238 Voir annexe A-6. 239 Voir annexe A-19.

133 Cet aspect semble bien confirmer le désinvestissement complet de d’Herculais pour la religion. D’autant plus que la rédaction des préfaces, entre 1803 et 1808, a lieu dans un contexte spécifique. Le Concordat, signé en 1801, réinstaure la religion catholique comme religion d’État. Il marque un mouvement de ferveur religieuse intense après la déchristianisation de la période révolutionnaire qui suivant les cas, a laissé les fidèles sans clergé, sans église pendant quelques mois ou quelques années241. Dans cette ambiance de dévotion nouvelle, symbolisée par

le Génie du Christianisme de Châteaubriand publié en 1802, le réinvestissement du matérialisme athée n’est certainement pas innocent et réaffirme avec fermeté l’attitude antireligieuse de d’Herculais.

Toutefois, pour notre lecteur, il est nécessaire d’« abandonner le projet chimérique de rendre tout le peuple athée ». Il rappelle à la suite de sa préface sur les religions, la nécessité de conserver un culte pour le bien-être de la société qui se traduit par « un théisme pur »242. Il propose un dogme simplifié, mais qui va à

l’encontre de ses propres opinions. Néanmoins, ce nouveau culte dans lequel « un parti ne doit point être favorisé plus que l’autre »243, inclut un principe

fondamental défendu par les Lumières : la tolérance244. Cette vision de la religion

éclaire à quel point l’esprit des Lumières a imprégné notre lecteur. Malgré ses convictions profondes, il accepte la religion dans sa fonction sociale245. Cette idée

s’inscrit également dans le digne esprit de d’Holbach, qui prétend dans le Système

de la Nature, qu’il ne faut pas chercher à diffuser l’athéisme dans tout le peuple car il est impossible pour lui d’abandonner « ses opinions religieuses ou les idées qu’il a de la Divinité »246. Néanmoins d’Herculais s’en détache dans la mesure où le

241 Philippe Joutard (dir)., Du roi très chrétien à la laïcité républicaine : XVIIIe-siècle, in Jacques Le

Goff et René Rémond (dir.), Histoire de la France religieuse, Paris, Éd. du Seuil, 1991, p. 415.

242 Voir annexe A-8. 243 Ibid.

244 Marie-Hélène Froeschlé-Chopard, « Religion », in Vincenzo Ferrone et Daniel Roche (dir.), Le

monde des Lumières, op. cit., pp. 229-238, ici p. 231

245 Ibid., p. 236.

246 Paul-Henri Thiry, baron d’Holbach, Systême de la Nature ou Des Loix du Monde Physique & du

134 baron ne propose pas de solution intermédiaire. Malgré cette esquisse de réflexion personnelle, on ne peut nier l’influence de la pensée holbachique, qui se retrouve en réalité dans la plupart des préfaces des Extraits de mes lectures247.