III. Q UADRUPLEXES EN TANT QUE CIBLES BIOLOGIQUES
III.1. G-quadruplexes et Régulation de l’activité télomérique
Télomères
1a.
Mis en évidence par B. McClintock les télomères sont des séquences d’ADN répétées et
non-codantes de l’extrémité des chromosomes associées à différents protéines
51. Leur fonction est
de protéger le matériel génétique en empêchant la fusion des chromosomes et ainsi empêcher
d’éventuelles cassures ou recombinaisons chromosomiques
52. Ils préviennent également toute
dégradation par les exonucléases. Il s’agit fréquemment de séquences riches en guanines,
conservées chez la plupart des êtres vivants. Par exemple chez l’homme les télomères sont la
répétition de la séquence 5’-TTAGGG-3’ associée à sa séquence complémentaire 3’-AATCCC-5’.
Ils mesurent en moyenne 10 à 15 kBs dans les cellules somatiques et l’extrémité 3’ est légèrement
plus longue que la 5’ de 100 à 200 bases (Figure 27)
53. La contribution à cette découverte a permis
à E. Blackburn, C. Greider et J. Szostak d’obtenir le prix Nobel de médecine en 2009.
Présentation des télomères humains
Figure 27
51 McClintock, B., The Behavior in Successive Nuclear Divisions of a Chromosome Broken at Meiosis. Proc Natl Acad Sci U S A 1939,25 (8), 405-416.
52 Hahn, W. C., Role of Telomeres and Telomerase in the Pathogenesis of Human Cancer. J Clin Oncol 2003,21 (10), 2034-2043. 53 Blackburn, E. H., Switching and Signaling at the Telomere. Cell 2001,106 (6), 661-673.
Introduction Quadruplexes en tant que cibles biologiques
29
Cet ADN est associé à différents complexes protéiques (appelé « shelterin » ou télosome)
qui lui permettent d’assurer ses fonctions. Des protéines complexées à l’ADN forment un
réarrangement sous forme de boucles (T-loop et D-loop) pour protéger les télomères et réguler
leur longueur (Figure 28). La boucle se forme via un complexe protéique formé par les protéines
POT1 et TPP1. La première reconnait la partie simple brin du télomère tandis que la deuxième la
partie double brin. La régulation de la longueur des télomères fait également intervenir différentes
protéines appartenant au télosome. Ainsi deux autres protéines interviennent : TRF1 permet un
contrôle négatif sur l’activité de la télomérase et TRF2 permet de protéger les télomères en les
empêchant de se déplier. D’autres protéines telles que RAP-1 ou TIN-2 interviennent dans le
télosome sans interagir directement avec l’ADN mais contribuent aux mécanismes de régulation.
Réarrangement des télomères complexés au télosome
Figure 28
Dans une cellule somatique, la longueur des télomères diminue progressivement à chaque
division cellulaire. Ceci est dû à l’activité de l’ADN-polymérase qui est incapable de dupliquer
complètement l’extrémité terminale de l’ADN lors de la réplication : ce phénomène provient de la
réplication du brin indirect qui nécessite la présence d’une amorce ARN pour effectuer son action
depuis l’extrémité 5’ jusqu’à celle en 3’. Ce processus, connu sous le nom de « end-replication
effect » conduit vers un autre mécanisme, appelé sénescence réplicative : après 20 à 30 divisions,
les télomères atteignent une longueur critique, dite « barrière de Hayflick », à partir de laquelle
des mécanismes d’apoptose sont déclenchés dans la cellule conduisant à sa mort. C’est pourquoi,
les télomères sont considérés comme des marqueurs de « l’horloge biologique ».
Télomérase et cancer
1b.
Il existe toutefois des mécanismes cellulaires qui permettent de conserver la longueur des
télomères. Parmi ceux-ci, on retrouve une enzyme, la télomérase qui est une transcriptase inverse
30
composée de deux sous-unités
54. La première est la partie catalytique de la protéine, hTERT (1131
acide-aminés chez l’homme), tandis que la seconde est un ARN, hTR (451 nucléotides) qui sert de
matrice. Cette enzyme est capable de répliquer la séquence télomérique à l’extrémité 3’ des
chromosomes empêchant ainsi leur diminution en longueur (Figure 29). La sous-unité hTERT
n’est pas exprimée dans toutes les cellules mais seulement celles des lignées germinales et des
cellules souches. Il arrive toutefois qu’elle soit exprimée dans certaines lignées cancéreuses.
Mécanisme de la télomérase
Figure 29
En effet, la surexpression de la télomérase dans 85% des cellules cancéreuses est l’une des
raisons de leur immortalisation : la longueur des télomères ne diminuant plus, la limite de
Hayflick n’est plus atteinte et il n’y a ainsi plus aucune limite aux divisions anarchiques. Inhiber
l’action de cette enzyme peut donc être un moyen de lutter contre le cancer en induisant le
raccourcissement des télomères. Différentes voies ont été explorées dans ce but (Figure 30)
55. Par
exemple, la stratégie antisens a été envisagée dans le but de bloquer la partie nucléique hTR de la
télomérase. Un conjugué oligonucléotido-lipidique GRN163L a été synthétisé dans ce but et est en
phase II d’essai clinique. Une autre stratégie vise la sous partie protéique de la télomérase hTERT.
Une molécule, la BIBR1532, est l’une des molécules les plus prometteuses pour inhiber l’activité
télomérique de façon non compétitive. Elle permet de diminuer de façon significative le nombre
de répétitions TTAGGG et pourrait induire la dissociation de l’enzyme avec son substrat. Des
54 Cifuentes-Rojas, C.; Shippen, D. E., Telomerase regulation. Mutat Res Fundam Mol Mech Mugag 2012,730 (1–2), 20-27. 55 Ruden, M.; Puri, N., Novel anticancer therapeutics targeting telomerase. Cancer Treat Rev 2012.
Introduction Quadruplexes en tant que cibles biologiques
31
vaccins ciblés contre la sous partie hTERT sont également en phase clinique avancée tels que
GV1001 et GRNAC1 qui ciblent tous les deux des parties différentes de hTERT.
Principales stratégies d’inhibition de la télomérase
Figure 30
Une autre stratégie peut être envisagée visant la cible de l’enzyme, les télomères. En effet,
en 1991 il a été montré par d’A. Zahler que la formation de G-quadruplexe sur la séquence
télomérique pouvait bloquer l’activité de la télomérase
56. Ainsi l’objectif est de stabiliser ces
structures via des ligands et ainsi inhiber la télomérase.
57. De nombreux ligands ont été synthétisés
et testés. Toutefois, il s’avère que les effets de ces derniers sont plus complexes et que leurs effets
ne se limitent pas à faire entrer les cellules cancéreuses en sénescence. En effet, la mort des
cellules cancéreuses est obtenue de façon prématurée lorsqu’un ligand spécifique des
G-quadruplexes stabilise leur formation sur les télomères. Souvent il y a déstabilisation du télosome
et de la T-loop conduisant à une instabilité du télomère. Certains ligands peuvent également
induire la fusion des chromosomes entre eux par leurs extrémités. D’autres stratégies
thérapeutiques, développés au cours des paragraphes suivants, utilisant les G-quadruplexes sont
également envisagées.
56 Zahler, A. M.; Williamson, J. R.; Cech, T. R.; Prescott, D. M., Inhibition of telomerase by G-quartet DMA structures. Nature 1991,350 (6320), 718-720.
57 Neidle, S., Human telomeric G-quadruplex: The current status of telomeric G-quadruplexes as therapeutic targets in human cancer. FEBS J
2010,277 (5), 1118-1125.
CAAUCCCAAUC
hTR hTERT
5’TTAGGGTTAGGGTTAGGGTTAGGGTTAGGGTTAGGGTTAGGGTTAGGGTTA GGGTTAGGGTTAGGGTTAG3’ 3’AATCCCAATCCC AATCCC AATCCC5’
BIBR1532 Blocage de l’activité télomérique par
la formation de G-quadruplexes
immunothérapie
Stratégie antisens
Blocage de l’activité de hTERT