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le GÉVA Sco, un instrument visant à l’adhésion des familles

Dans le document Les conditions de mise en œuvre du GÉVA Sco (Page 132-137)

Comme l’explique une enseignante, directrice d’école, le travail d’accompagnement ne s’inscrit pas seulement dans la co-construction du parcours de scolarisation, mais aussi dans l’idée de faire adhérer à l’idée d’orientation :

Extrait d’entretien

« On est vraiment dans l’accompagnement, parce qu’on sait toute la difficulté, d’abord d’accepter que son enfant est différent. Des fois on va mettre 2, 3 ans, 4 ans. Les parents

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vont refuser systématiquement, tous les ans. Ils vont refuser qu’il voit un psychologue scolaire, ils vont refuser que l’enfant soit pris en charge, après ils vont refuser la demande MDPH. Il ne faut pas lâcher, on est vraiment dans l’accompagnement. Et puis, une fois que la décision est prise et que les parents ont accepté, ce qui peut être très rapide des fois, c’est vraiment les mettre à l’aise là-dedans. » (Entretien E17)

Cet accompagnement se concrétise à partir d’une légitimation fondée sur un savoir supposé supérieur, à la fois technique, mais aussi relatif à la gestion des émotions, une gestion au plus près de la situation. La rhétorique relative aux émotions des familles s’inscrit dans l’idée que s’il s’agit de respecter les attentes familiales, il s’agit également de considérer d’autres intérêts : ceux des autres élèves.

Si cette directrice s’inscrit dans une vision empathique, en déclarant, « c’est violent, pour les familles, tout de même ! » (Entretien E17), elle associe dans le même geste discursif une même empathie pour les autres acteurs. Ainsi, si « le plus important, c’est que l’enfant se sente bien », il peut « être difficile pour les enseignants de gérer des enfants violents » (Entretien E17).

Ainsi, émerge l’idée selon laquelle à un suivi personnalisé, où il faut écouter les besoins, les souffrances et les difficultés, il s’agit tout autant de saisir les difficultés, les souffrances et les besoins, tant des enseignants que des autres élèves, comme l’explique cette enseignante :

« si je m’occupe de lui, je n’ai pas le temps de m’occuper des autres » (Entretien E36). Ainsi, se construit la volonté d’exercer un certain équilibre dans la gestion des émotions, à travers l’idée qu’une certaine égalité de traitement doit avoir court.

Il ne s’agit plus seulement d’aider les familles à gérer les difficultés, mais aussi d’éviter autant que faire se peut que les enseignants soient en difficulté. Le travail auprès des parents se déplace. Il ne s’agit plus tout à fait de favoriser une participation au sein de l’équipe éducative ou de suivi de scolarisation, en tant qu’acteurs légitimes du parcours de leur enfant, mais bien de mettre en place des techniques donnant lieu à un ordre scolaire, où les besoins et difficultés des uns et des autres pourront être traités sur le même plan.

Cette nécessité de respecter l’ordre scolaire pousse les professionnels, en particulier les enseignants dans les cas que nous avons étudiés, à user de techniques afin de contraindre les familles à adhérer aux propositions des équipes.

Dans ces cas, les enseignants ont une tendance à moins se préoccuper des contraintes des parents ou de l’élève et à voir dans le GÉVA Sco un moyen de convaincre les parents du bien fondé des décisions prises par les équipes. Dans l’extrait suivant, après avoir énuméré pendant plusieurs dizaines de minutes les difficultés d’un élève, l’enseignante donne son point de vue, ne laissant aucun espace à la négociation :

Extrait ESS

Enseignante : sauf, je vais être très claire, si on le maintient en grande section Mère : sauf que moi, je ne suis pas pour. Parce qu’il va se retrouver avec des enfants, des petits donc ça va pas le faire avancer sur son comportement. Il est grand Arthur je trouve par rapport aux autres.

Enseignante : alors là je vais être très franche. Là, à l’heure actuelle ce n’est pas

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possible d’envisager un CP au mois de septembre. Vous allez le mettre en échec, il va être en échec, échec total.

Cette dynamique d’imposition se poursuivra ultérieurement lors d’une réunion préparatoire à l’ESS ultérieure visant à convaincre la mère d’accepter l’orientation en Clis. Cette réunion, avec l’enseignante, l’enseignante spécialisée et la mère, a vu cette dernière accepter la volonté de l’équipe enseignante face à elle. Comme le dit la mère :

Extrait d’entretien

« Je subis. Oui, on subit, on est là, on nous dit plein de choses, il y a plein d’informations qui viennent de partout, on dit il faut ci, on dit il faut ça, en fait, je fais parce qu’on me demande de faire, est-ce que j’en vois l’utilité de tout faire, je n’en sais rien, mais, je le fais parce qu’on me dit de le faire et je fais entièrement confiance à tout le monde. » (Entretien E47).

Ce sentiment de dépossession décisionnelle, de ne pas avoir la décision entre les mains est partagé par d’autres parents, comme cette mère d’un enfant scolarisé entre Itep et CM2 :

Extrait d’entretien

« Peut-on vraiment dire qu’on prend une décision quand on est dans une situation où on ne maitrise rien et qu’on le fasse à des gens qui ont beaucoup plus d’expérience que vous, c’est en ça que je réfléchis en fait, en gros, on s’est retrouvé dans une situation où petit à petit, les gens nous expliquent justement les cases de comment appelle les comportements comme celui d’Anatole, quel est le cadre de vie d’accompagnement d’un enfant comme Anatole, si vous appelez prendre décision que de dire oui ou non, on ne le fait pas, alors qu’en gros on nous a expliqué le chemin. » (Entretien E47)

Cette forme d’accompagnement contraignant se caractérise par un ensemble de techniques, tel que le fait, comme nous venons de le voir de faire des réunions sans tous les acteurs concernés par la scolarisation. Ainsi, l’enseignante référente n’était pas conviée à la réunion précédemment évoquée, alors qu’il s’agissait d’envisager une orientation en Clis.

1.3 Au-delà du GÉVA Sco : l’enseignant référent comme médiateur

Les deux postures décrites sur l’accompagnement montrent, au fond, que les enseignants sont face à une difficulté professionnelle : comment gérer les relations avec les parents ? La question des émotions parentales vient poser problème a priori – et pas à partir d’un vécu particulier, parce que tous les professionnels partagent ce même point de vue consistant à considérer que la famille est un acteur indispensable qui n’a, dans le même temps, pas les mêmes compétences, les mêmes savoirs, ni les mêmes intérêts.

Par ailleurs, ces dimensions diffèrent d’une famille à une autre. Les familles ne s’appuient pas sur des référentiels clairement identifiables de manière immédiate, comme par exemple, un psychologue. La question des émotions est plus le signe d’une incertitude quant aux attentes et aux souhaits des familles, qu’à des problèmes strictement affectifs.

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Cette tendance est renforcée par l’idée que le savoir expérientiel, aussi riche soit-il, n’est pas structuré par un savoir technique, permettant de se mettre à distance émotionnellement de la situation en jeu et de faire un pronostic. Cette gêne rend difficile les échanges entre professionnels. En ce sens, un directeur d’école va même, lors d’un entretien, jusqu’à proposer des réunions techniques entre professionnels servant à préparer les ESS, sans les parents :

Extrait d’entretien

« Je pense qu’il faudrait […] des ESS avec les parents et il faudrait systématiquement des réunions techniques […] mais il nous faut l’enseignant-référent à ces réunions-là, car c’est lui qui a l’expertise. […] parce que nous on en fait entre nous, évidemment on en parle. Mais on a besoin de son expertise pour savoir ce qui est possible de faire […] on aurait envie entre professionnel et dire des choses que les parents ont pas forcément… besoin d’entendre, […] Et c’est vrai que des fois on se dit, peut-être qu’on serait plus libre, les enseignants, le directeur, de, voilà, les gens du CMP, pour parler entre nous et puis après, parler avec les parents » (Entretien E31)

Dans ce contexte, où ces réunions techniques ne sont pas forcément possibles, l’enseignant référent apparaît comme particulièrement important :

Extrait d’entretien

« Le rôle de l’enseignant-référent il est très important parce que […] il a surtout les compétences pour coordonner l’action de tout le monde. Savoir dire ce qu’il faut dire, à qui il faut le dire, au moment où il faut le dire. Parce que nous on ne sait pas forcément faire. […] Donc lui là il est important car il sait comment dire les choses.

Comment les formuler. Comment les expliquer. Ça c’est important et puis surtout, il a tellement de cas, il a beaucoup d’expérience, donc il sait ce qui est faisable, pas faisable. » (Entretien E31).

Ainsi, cette idée de sollicitude apparaît comme une dimension essentielle dans la manière de communiquer avec les familles. La sollicitude apparaît comme une technique professionnelle portée par un expert, l’enseignant référent. En ce sens, il n’est pas étonnant que la mère de l’élève ait trouvé le travail mené par l’enseignant référent particulièrement constructif :

Extrait d’entretien

« je trouve qu’il y a eu un vrai dialogue entre les différentes personnes […] et une fois que tout ça a été mis en place je pense que l’école, par le biais de [l’enseignant référent] […], mais aussi même de l’équipe de l’école […] a été vraiment très attentive, a cherché une solution adaptée, et qu’on a vraiment pu donner notre avis en tant que parents. » (Entretien E19)

L’enseignant référent apparaît ici comme un médiateur, dans la mesure, où il s’agit, pour lui, de saisir les enjeux identitaires, tant des professionnels que des parents. En effet, lors des ESS, l’enseignante, dans cette situation, n’a jamais fait part de ses difficultés devant les parents. Pour autant, lorsqu’elle a expliqué que l’enfant prenait trop de place, mettait en

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temps de scolarisation, en vue de ne pas heurter l’enseignante qui, visiblement, ne se sentait pas en mesure d’accueillir l’enfant sans AVS et en imposant un comportement aux autres enfants qui lui semblait injuste.

Extrait ESS

Directeur : est ce qu’il va voir les autres enfants ?

Enseignante : non, il va les pincer ou les taper quand ils sont proches de lui.

Enseignant référent : donc c’est plutôt une mise à distance. C’est plutôt là-dessus.

(vers l’enseignante) vous seriez d’accord là-dessus aussi, sur une mise à distance ? par rapport aux autres enfants.

Enseignante spécialisée : c’est variable, je pense. Quand on met des mots, comme vous disiez, on voit bien que parfois c’est parce qu’il est en colère, il peut être fâché, quelque chose qui lui plait pas, donc il va s’énerver et pincer, taper […]

Enseignante spécialisée : moi quand je mets des mots et les bons, mais ce n’est pas toujours, mais on voit bien quand on met les bons mots, ça l’arrête.

Enseignant référent : ça l’apaise.

Enseignante spécialisée : il nous regarde et puis il passe à autre chose, mais voilà, après il faut essayer de trouver les bons mots, ce n’est pas facile. Mais parfois en effet, c’est pour se mettre à distance.

Malgré une certaine nuance, l’enseignant référent va abonder dans le sens de l’enseignante, quitte à revoir cette position, en début d’année suivante.

Extrait ESS

Enseignant référent : Il semble difficile aujourd’hui d’augmenter son temps de scolarisation, il faut être prudent pour maintenir cette dynamique de progrès. Donc en se donnant comme idée, que éventuellement, vous puissiez vous autre vous revoir d’ici la fin de l’année pour éventuellement refaire le point sur ce que vous avez fait entre l’école et ici. Redémarrer sur la rentrée prochaine sur à peu près le même dispositif et on se voit dès début septembre, autour du 20 septembre, grosso modo, le temps que la rentrée soit fait, le démarrage des choses pour se faire le projet pour le premier trimestre.

Au fond, la présence et le rôle de l’enseignant référent ont permis à la scolarisation de se poursuivre, en évitant qu’un conflit n’éclate entre parents et personnels enseignants. En effet, l’enseignant référent a ici cherché d’abord à éviter qu’un intérêt ou qu’une difficulté identitaire l’emporte sur l’autre.

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2. La socialisation des parents :

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