• Aucun résultat trouvé

Une évaluation de la situation scolaire fondée sur la capacité à apprendre

administrer la preuve du droit à la compensation

3.2 Une évaluation de la situation scolaire fondée sur la capacité à apprendre

La question de l’orientation étant fondamentale, les échanges autour de la scolarisation sont extrêmement importants et structurent une grande partie des bilans reçus par la MDPH, celle-ci ne se réglant pas uniquement sur le type de trouble, mais aussi sur la capacité de l’élève à se scolariser. Dans ce cadre, quels que soient les professionnels, nous retrouvons les mêmes éléments de langage.

Les termes « anxiété » ou « angoisse » sont autant utilisés par des psychologues libéraux ou scolaires que par des enseignants. Pour autant, les angoisses décelées par les psychologues ne se fondent pas sur les mêmes approches que celles des enseignants. Chez les enseignants, l’anxiété et l’angoisse s’inscrivent toujours dans le rapport aux savoirs. Comme nous l’avons

4

vu dans des citations plus haut, le bien-être advient, dans les discours des enseignants, lorsque l’élève est en phase avec la posture d’élève et est entré dans les apprentissages.

En cela, les termes utilisés par un ensemble pluridisciplinaire permettent de relever deux principes.

Le premier est celui de langage commun voulu par le législateur (CNSA, 2010 ; CNSA, 2012).

Ainsi, par l’utilisation de ce terme, les membres de l’EPE tentent de correspondre à l’attente réglementaire, dont la réalité adviendrait par l’intermédiaire d’une décision collégiale au sein de commissions délibératives (Lima, 2013).

Le deuxième est celui de traduction (Latour, 1989). Ainsi, pour fonder l’évaluation professionnelle, chaque corps de métier s’empare du champ lexical de l’autre. Il ne s’agit plus seulement de prendre des éléments relatifs à la psychanalyse comme cela fut le cas dans d’autres instances par le passé (Castel, 1973), mais bien d’intégrer plusieurs champs disciplinaires à la fois.

Ainsi, une orthophoniste écrit : « amélioration des deux voies de lecture, enrichissement du stock lexical orthographique, amélioration de la combinatoire phonème/graphème, augmentation du stock de vocabulaire, amélioration du langage oral ». Suivant la même logique, les écrits des enseignants présentent les difficultés scolaires au regard du trouble comme l’expression

« retard en lien avec trouble du langage ». Dans la même veine, les aspects positifs sont vus sous ce même angle de performance dans l’apprentissage, au regard du trouble : « Capable d’acquisition, peut progresser à condition d’aller à son rythme et de tenir compte de son handicap. »

À partir de cette multiplicité, l’EPE fonde son approche sur deux versants, l’un sur la capacité à apprendre et l’autre sur la socialisation, ce second versant ayant pour objectif de permettre à l’enfant d’entrer dans les apprentissages, renvoyant les compétences de socialisation comme un préalable à l’entrée dans les apprentissages. Ici, les apprentissages sont pensés uniquement à partir de l’idée qu’ils sont possibles à travers une relation, et en particulier la relation entre l’élève et l’enseignant. Selon une chef de service « évaluation », pour un cas particulier : « au départ, on était plutôt sur la socialisation, c’est ce qu’on nous donnait comme information, et puis essayer de rentrer dans les apprentissages » (Entretien E30).

C’est ensuite qu’intervient la question de l’évaluation scolaire. Ainsi, un rapporteur coordonnateur explique : « les bulletins de note, ça nous permet de savoir comment se situe l’élève aussi, par rapport à la classe et puis, quelles sont ses compétences scolaires. Et puis, les écrits […] sur les troubles du langage ça nous permet de voir si la communication écrite est entravée » (Entretien E31). Avec le GÉVA Sco, « je pense que, par rapport à l’éligibilité, à la prestation de compensation […] C’était des éléments beaucoup plus scolaires avant. Là, on prend peut-être un peu de distance, un peu plus. » (Entretien E31).

Ces dimensions, notamment le travail autour de l’éligibilité à partir des registres liés à une évaluation objectivée et à un régime de compréhension, s’articulent autour d’un langage commun fondé sur un champ lexical s’appuyant sur les mondes de la psychologie, de l’éducation et de savoirs paramédicaux. Pour autant, c’est le registre scolaire, afin de déterminer le niveau de l’élève qui prend une place plus importante. Ainsi, la référente scolarisation de l’équipe, jouant ici un rôle central : « c’est toujours par rapport au niveau de

4

classe que l’on est […] Lire en CP qu’est-ce que ça veut dire ? Lire en CE2 qu’est-ce que ça veut dire ? […] Lire en 3e, qu’est-ce que ça veut dire ? […] À chaque fois, on se reporte au niveau de classe. » (Entretien E31)

Dans ce cadre, le GÉVA  Sco a une place importante pour prendre en considération de manière appuyée la capacité à acquérir des connaissances d’une manière plus générale, notamment en poussant à évaluer le repérage dans le temps, des lieux, la motricité tant fine que globale ou l’autonomie dans les gestes de la vie quotidienne. En ce sens, les questions relatives à l’attitude sont évoquées, notamment lorsque l’enfant « ne soutient pas le regard », faisant référence en cela au trouble diagnostiqué médicalement dont on trouve trace dans le comportement.

Les éléments relatifs à la fatigabilité, au temps de concentration, à la lecture, l’écrit et le calcul sont évoqués pour évaluer la capacité à performer. Enfin, la posture d’élève est systématiquement interrogée, toujours dans le but d’entrer dans les apprentissages. Ainsi, la « posture d’élève a progressé mais pas les apprentissages ». Dans ce cas, la référente scolaire :

« je pose la question, éventuellement IME à temps partagé ? Parce qu’il n’est pas non plus en refus du scolaire. »

À travers l’évaluation des besoins en EPE, la question de l’orientation pose celle des chances de réussite des jeunes dont le dossier est étudié. Afin d’éviter de faire des paris trop risqués, pouvant avoir des conséquences importantes pour la vie de nombreuses personnes, les évaluateurs fondent leur approche sur un examen particulièrement minutieux, tout en considérant que leur travail comporte une marge d’erreur. C’est en ce sens qu’ils effectuent leur travail en considérant que l’accord des familles est une composante essentielle et que le rôle de la CDAPH est déterminant.

4

4. En CDAPH, concrétiser le droit à l’éducation

La Commission des droits à l’autonomie des personnes handicapées a pour rôle de valider l’éligibilité (décret no 1589 du 19 décembre 2005). C’est elle qui prend les décisions relatives aux prestations et à l’orientation des personnes handicapées. À travers ces décisions, elle reconnaît le statut de personne handicapée. Le mode de fonctionnement des CDAPH change d’un département à l’autre. Il est donc laissé une certaine liberté dans la façon de présenter les dossiers aux membres de la CDAPH : en formation restreinte, plénière ou sur listing. Si nous détaillerons les différences créées par ces modes d’organisation un peu plus loin, car ils influencent la fonction principale de chaque CDAPH, nous avons déjà précisé, comme à l’instar de Bureau et List (2013) que toutes les CDAPH intègrent plusieurs dimensions.

D’une manière générale, Bureau et Bourgeois (2013) montrent comment les CDAPH ont été constituées dans un souci de diversité et d’équilibre, laissant donc entrer les personnes handicapées dans les institutions censées leur octroyer des aides. Elles considèrent que les CDAPH sont des commissions hybrides où une triple dimension s’exprime.

D’abord, la CDAPH devient un espace de conciliation où des savoirs, parfois fondamentalement différents s’expriment, tels que ceux relatifs à l’expérience vécue, par les usagers, les savoirs professionnels et la connaissance du droit et sa mise en œuvre. Ensuite, les CDAPH sont un espace de représentations d’intérêts variés et divergents. Ces intérêts sont ceux des acteurs du collectif, mais aussi ceux des partenaires avec lesquels ils travaillent au quotidien. Enfin, ces commissions sont des espaces d’expression citoyenne. Dans nos observations, la question éthique est particulièrement visible dans les échanges lorsqu’ils interpellent, comme c’est le cas ci-dessous, les principes en cours dans la MDPH et les idéaux sociétaux à atteindre.

Extrait CDA

H : moi j’ai une question sur les recours gracieux, je vois que c’est en augmentation.

J’ai suivi un colloque en juillet, Société inclusive, enjeux et perspectives. Si ça se met en place, on a entendu le ministre parler, la société inclusive, quand vous êtes né vous avez le droit à tout ce que la République vous donne. Donc ça veut dire que le débat qu’on a eu la dernière fois moi j’ai bien peur qu’il y ait des recours gracieux via les associations, les organisations syndicales etc. etc. je pense que ça va exploser de chez exploser.

F1 : on peut peut-être voir les choses autrement, c’est-à-dire que la société inclusive, c’est d’abord le droit commun et ensuite la compensation. Aujourd’hui, nous sommes, me semble-t-il dans cette difficulté-là, c’est qu’on pense d’abord compensation, d’où les demandes qui augmentent. […]

F2 : c’est pas tout à fait ce qu’on nous dit nous. C’est effectivement le droit commun mais c’est prendre en compte la spécificité de chacun. Donc mettre en place l’accompagnement

[…]

F : quand on parle d’inclusion, on parle d’inclusion sociale en fait, que ce soit pour les personnes en difficulté, les personnes âgées, les personnes en situation de handicap. C’est l’idée effectivement d’un changement de posture de chacun pour

4

dire effectivement des efforts matériels mais pas que, il faut aussi que chacun fasse un geste vers l’autre et inversement d’ailleurs. Voilà c’est aussi ça je pense […]

Dans ce cadre, le GÉVA Sco vient renforcer l’importance des registres liés à la socialisation et à la performance scolaire. L’objectif est de savoir si l’aide attribuée fait sens sur le plan de l’utilité sociale. Si le mode de présentation est biographique, les éléments présentés renvoient à une conception de l’aide proposée en lien direct avec des troubles, comme ci-dessous.

Extrait CDA

Rapporteur coordonnateur : il s’agit d’une nouvelle demande pour ce jeune […]

c’est un jeune qui a des difficultés pour interagir avec autrui et qui s’exprime très peu verbalement. En classe il utilise une ardoise pour s’exprimer. L’accompagnement humain est primordial, des compétences de 3e, il est noté une grande lenteur pour laisser une trace écrite, l’AVS est nécessaire et rassurante, elle lui sert d’interface de communication

Autrement dit, et en lien avec le travail des équipes pluridisciplinaires, la question de la justice sociale intègre, non plus seulement des questions relatives à un individu dont on évalue les besoins, mais un cadre plus large, collectif et relatif à l’effectivité du droit à la compensation pour des élèves qui en ont besoin, pour réaliser leur plein potentiel. Il s’agit de mettre en œuvre une justice sociale, dans laquelle la question du mérite s’intercale au sein même de la compensation. En effet, en montrant qu’un élève a des compétences à développer par des capacités décelées lors de l’évaluation des besoins, il peut être envisagé d’investir sur cet élève.

Dans le même temps, cette question du mérite, liée à la performance et aux capacités, tend à légitimer des positions à distance des demandes des familles. Au fond, comme l’explique un rapporteur coordonnateur : « Je dirais que trop prendre des décisions dans l’empathie par rapport à une famille ça voudrait dire que seules les familles qui viennent. On peut comme ça déséquilibrer petit à petit les décisions. Notre rôle est de décider de le faire et que ce soit le plus équitable possible, si tant est que l’équité existe en totalité, ça je ne crois pas. » (Entretien E8).

La notion de mérite permet, via le GÉVA Sco et l’EPE, dans une certaine mesure, à certains membres de la CDAPH de se mettre à distance. Dans le même temps, ces questions relatives à l’éligibilité et au bienfondé de l’attribution d’une aide renvoient aux liens que la CDAPH tisse avec l’EPE. Les deux entités forment un tout interne à la MDPH. En effet, d’une part, la CDA entérine ou non la proposition de l’EPE et, d’autre part, c’est un membre de l’EPE qui vient présenter les dossiers. La présentation des dossiers en CDAPH a pour objectif de transformer une proposition en une décision opposable au niveau juridique En ce sens, le rôle régulateur des CDAPH, auprès des familles, vient non seulement trancher des décisions et des situations délicates, mais surtout vient apporter une touche de morale sociale à l’évaluation pluridisciplinaire au sens strict.

En ce sens, la CDAPH joue un rôle d’arbitre entre usagers et EPE, cette dernière apparaissant ici comme la réunion de professionnels spécialistes, c’est-à-dire le véritable collège d’experts,