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CHAPITRE 2. LA TERRITORIALISATION DES SCHÉMAS MULTIMODAUX DE

II.2. Les représentations sectorielles des contributions territoriales

II.2.2. De la géographie à la logistique

Parmi les protagonistes de l’élaboration des schémas de services, la DGAC et la DTMPL font figure de nouveaux entrants, le caractère nouveau pouvant s’interpréter par l’organisation des secteurs concernés et la position des directions sectorielles dans cette organisation.

Ces deux directions sectorielles d’une part, sont confrontées à des marchés de transport libéralisés complètement (et, pour le transport maritime de longue date), d’autre part, sont certes concernées par des infrastructures, mais qui ne sont pas linéaires. Du point de vue territorial, l’administration centrale est en relation avec plusieurs interlocuteurs locaux : ports autonomes, services maritimes, DRE ; aéroports, directions de l’aviation civile, DDE ou DRE. Dans les deux cas, les DRE peuvent assurer la maîtrise d’ouvrage déléguée lorsqu’un projet d’infrastructure (port ou aéroport) est envisagé. Mais, en l’occurrence, les projets d’infrastructures sont plus rares dans ces secteurs que pour les

27 De l’ensemble des études menées, deux seront finalisées et mises en débat public de type Bianco : le

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transports rangés dans la catégorie ‘terrestres’28

— même si l’extension du port du Havre et un projet de nouvel aéroport en région parisienne sont d’actualité.

Pour autant, chacune a dû s’insérer dans un processus de planification à long terme, avec ses deux composantes — marché et infrastructure, puisque la loi Voynet mettait en avant les services à offrir et que l’Équipement apportait une réponse liant infrastructures et services. Leur insertion sous cette configuration combinée va mettre en lumière une logique de conception de l’activité de transport plus logistique que géographique. En effet, ces deux protagonistes sont porteurs d’une logique d’intermodalité dans la mesure où leur secteur d’action comporte une importante dimension internationale et où l’infrastructure qu’ils ont à prévoir est à considérer comme concentration nodale de points d’entrée d’un réseau ou d’un système de transport, de manière plus cruciale qu’une infrastructure linéaire. L’enjeu devient logistique dans le sens où c’est l’attraction du point d’entrée qui devient centrale et pas tant ce qui se passe entre deux points d’entrée aériens ou maritimes (liaisons dont les itinéraires peuvent d’ailleurs être multiples).

Le rendu par la DGAC29

de l’exercice imposé est une bonne illustration à la fois de l’accommodement opéré pour entrer dans la logique de planification et des tensions qu’il a induites. En effet, ce document volumineux comporte deux catégories de description des services aériens, qui répondent en fin de compte à deux objectifs un peu différents, bien que liés. Une première description rend compte d’un rôle fonctionnel des différents aéroports en France, de l’international au local, la fonction étant liée au volume de trafic. Cette description fonctionnelle met ainsi en lumière l’enjeu pour l’aérien du marché international que la catégorisation par ‘transports terrestres’ semble un peu oublier30

. Par suite, le rôle des aéroports parisiens apparaît malgré tout comme l’enjeu majeur pour le secteur aérien, renforcé par le contexte lié au projet de nouvel aéroport. La deuxième catégorie de description de l’offre de services correspond plus à la partie territorialisée de la planification des transports dans la mesure où elle s’attache à décrire les dessertes proposées aux territoires. Explicitement, cet exercice a fourni des éléments de consultation aux services déconcentrés de la DGAC — les DAC ; ce qui s’apparente aux préoccupations de la direction des routes par exemple lorsqu’elle fournit des éléments aux DRE sur les projets routiers. Ces deux catégories de description, qui ont bien entendu quelque chose à voir avec l’implantation spatiale des villes, entrent en tension dès lors que pour la DGAC le critère du volume de trafic constitue un élément de choix d’investissements alors que pour la DATAR notamment c’est l’accès aux services aéroportuaires en fonction de la taille des agglomérations qui importe. Les travaux préparatoires aux schémas Pasqua-Hoeffel, qui réintégraient les aéroports dans un

28 Les transports terrestres sont la route, le fer et les voies navigables (hormis les transports urbains). Ce qui les

rassemble semble bien être la linéarité des infrastructures, donc une certaine configuration d’inscription spatiale.

29 Ministère de l’Equipement, des Transports et du Logement, Direction Générale de l’Aviation Civile,

Direction des Transports Aériens, Service des Bases Aériennes, 1998, Schémas de services de Transport.

Description des services offerts par le transport aérien, décembre, 134 p.

30 Un symptôme apparaît avec les analyses des perspectives de la demande publiées par le SES, qui traitent

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Les schémas de services de transport 36

processus de planification des infrastructures, étaient explicites de cette tension (Ollivier-Trigalo, Bernat, 1997). En l'occurrence, le cas de Nice était intéressant car il figurait au fond une dimension territoriale du transport aérien qui ne correspond pas à la vision de la DATAR, dans le sens où la fonction des services aériens est de permettre l'accès à un espace par des populations majoritairement non résidentes de cet espace.

La DTMPL s’apparente à la DGAC : contexte concurrentiel (étendu jusqu’aux services portuaires), importance du marché international, levier d’action incitatif pour faire en sorte que les ports, infrastructures dont elle est maître d’ouvrage, offre les conditions attendues par le marché, jugé surdéterminant. Mais, les infrastructures, l’équipement, ne constituent pourtant pas l’essentiel du problème à gérer. Ou du moins, le problème ne se pose-t-il pas dans les mêmes termes que pour les autres infrastructures terrestres. Plus, la planification à long terme de projets d’infrastructures semble inappropriée compte tenu des fluctuations de la conjoncture internationale. En d’autres termes, la façon traditionnelle à l’Équipement de poser le problème des infrastructures ne trouve pas ici de véritable possibilité d’adaptation, bien qu’elle ait été entreprise à travers notamment la notion de fonction remplie par le transport maritime et les ports ; ce qui permet en particulier d’expliciter les segments de marché en croissance sur lesquels la DTMPL voudrait faire mettre l’accent — le trafic de conteneurs, qui est aussi celui permettant de faire émerger l’intermodalité comme enjeu, notamment en termes de desserte ferroviaire (Graillot, 1999)31

. Dans le même temps, l’élaboration des schémas de services, du fait du principe de la mise en retrait des schémas d’infrastructures, a donné au secteur maritime une occasion de signifier ses enjeux propres, en passant par les segments de marché. Il s’agit bien d’une novation mais sa complétude tient à la reconnaissance du fret comme problème et à sa mise sur l’agenda politique, dont une des prémisses se lit à travers l’énoncé des priorités comme la croissance du fret ferroviaire par des solutions intermodales. Dès lors, l’idée est de faire accepter que les ports sont autre chose qu’un élément simplement maritime, et qu’ils sont aussi (et surtout ?) une plate-forme intermodale. Pour ce faire, c’est la notion d’hinterland qui a été développée. En réalité, là comme ailleurs, la loi Pasqua-Hoeffel avait introduit une réflexion sur la politique intermodale en instituant notamment un schéma directeur des plates-formes logistiques, qui n’a jamais vu le jour, et dont la mise sur agenda était portée par le député Daubresse en 199432

. La notion d’hinterland est en effet construite sur la logique d’action logistique des ports, celle qui organise l’écoulement du trafic maritime en utilisant les modes de transport terrestres. Mais pour le moment, le point de vue maritime se montre en position d’attentes vis-à-vis des modes routiers et ferrés.

31 Entretien avec André Graillot, Directeur du port du Havre, par Marianne Ollivier-Trigalo, « La desserte

ferroviaire du port du Havre : la coordination défaillante », Flux – Cahiers scientifiques internationaux

réseaux et territoires, 1999, n°38, octobre-décembre, pp. 47-55

32 Daubresse (M-Ph.), Député du Nord, 1994, Transport de marchandises — les voies de l'avenir,

L'intermodalité, un outil privilégié d'aménagement du territoire, Mission ministérielle, 30 juin. Par la suite le

député du Nord est devenu président du conseil du transport combiné et a poursuivi son action de portage du problème avec une deuxième mission et un rapport en avril 1997 : Schéma national des plates-formes

multimodales. Réflexions et propositions pour une stratégie de localisation et d’optimisation des terminaux de transport combiné et des plates-formes multimodales de fret, DATAR, MELTT, DTT.

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Pour mobiliser les DRE, l’administration centrale a un rôle à jouer. Dans le système institutionnel actuel, l’échelon régional ne peut pas trouver d’interlocuteur clair qui lui donnerait l’orientation et le contenu de l’approche multimodale, d’autant moins lorsqu’il s’agit de traiter l’enjeu ferroviaire qui est bien l’enjeu premier auquel doivent faire face les DRE. Pour cette matière, l’inégalité des forces entre la direction des Routes et la direction des Transports Terrestres se répercute. Mais dans la double perspective de mettre en avant les DRE pour porter la multimodalité et dans ce portage, de mettre l’accent sur l’enjeu ferroviaire, l’étape administrative comporte des questionnements relatifs aux compétences utiles à l’échelon régional, où l’équilibre des forces est également recherché.

Nous pouvons déceler dans la durée une sorte de construction incrémentale de la multimodalité à l’Équipement, dans le sens où le ministère a instauré des réponses avec les ressources que son administration avait et en inventant des dispositifs nouveaux au fur et à mesure et de manière peu formelle et peu formalisée — cas du comité des directeurs. Si dans la durée, la direction des routes se perçoit en retrait dans la conduite de la planification, version Voynet, elle reste malgré tout la référence au ministère par rapport à laquelle les autres composantes s’interrogent sur leur identité. Quant au comité des directeurs, il peut être considéré comme ayant acquis le rang d’une institution. Mais c’est à l’échelon territorial que la multimodalité semble devoir s’institutionnaliser ; l’organisation des DRE jouant alors un rôle mobilisateur pour l’ensemble de l’administration (voir les enquêtes de terrain).