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Le générique semble relever du « paratexte ». Les paratextes, qui donnent l'impression d'être une ligne de partage entre le texte et le hors-texte, désignent un type de relation plus

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ambiguë, plus ou moins distante dans l’ensemble que forme une œuvre littéraire, le texte lui-même et tout ce qui l’accompagne pour le constituer en livre. Le mot forgé par Genette est constitutif d’un ensemble d’éléments qui invitent et préparent à entrer dans le texte. RandanSabry explique que le paratexte comme « tout cet appareil protocolaire entièrement organisé en vue de faire exister le texte, de lui donner forme et consistance, fournit au lecteur une somme d’informations plus ou moins variées et souvent déterminantes pour sa lecture »217

Joachim Depuis, dans sa thèse récemment soutenue, propose deux dimensions pour analyser le générique à savoir : la dimension normalisatrice et la dimension ontologique qui, à son avis, n’ont pas été suffisamment éclairées par les spécialistes. 218Il cherche à travers ces deux dimensions, à constituer une méthodologie pour penser le générique à travers une approche philosophique. En conclusion de son travail, il préconise la possibilité de considérer le générique comme un type de diagramme très spécifique pouvant s’articuler aux films conçus, eux aussi,comme des« diagrammes » ou « technologie de pouvoir ». Selon Depuis, le générique permet de sortir de la normalisation qui s’exerce dans la salle de cinéma et par le film lui-même. Le générique serait donc une expression autonome du film.

Nicole de Mourgues dans un contexte comparatif à la littérature présente le générique en tant qu’ « incipit filmique » :

« La position inaugurale du générique dans le texte filmique permet de le comparer aux incipits de la littérature. Le mot « incipit » vient du verbe latin incipere et signifie « il commence » … en littérature, on appelle donc « incipit » les premiers mots d’une œuvre. Parallèlement, pourquoi ne pas appeler incipit les toutes premières images d’un film, celles qui, parfois, servent de support au générique dont les mentions écrites caractéristiques équivalent quant à elles aux pages de garde des ouvrages littéraires. »219

Comme des incipits de la littérature, il arrive souvent que le générique donne la clé de l’œuvre, d’un point de vue narratif ou esthétique. Dans certains cas, il est une séquence majeure, voire génératrice, du film entier. Mais les clés interprétatives qu’il donne parfois rejoignent le statut d’image « subliminale », car le spectateur ne peut, en même temps, lire

217 Randan Sabry, « Quand le texte parle de son paratexte », Poétique, n°69, Paris, Seuil, février, 1987, p.83. 218

Joachim Daniel Depuis,Les gestes de Saul Bass : une vision du générique, Thèse de doctorat

soutenue en 2013 à l’Université Saint-Denis Paris 8,p.10.

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toutes les mentions écrites, écouter correctement la musique et les sons et regarder attentivement les images. Des éléments lui échappent nécessairement lors de cette première vision.

Le générique met en effet en conflit les différentes instances du lire, du voir et de l’entendre. Il est le lieu privilégié de l’écrit dans le film, mais lorsque les premiers plans de celui-ci servent de support au générique, le spectateur est clivé, car il ne peut à la fois tout lire et tout voir. Tandis que l’écrit l'informe sur la genèse du film et sa réalisation, l’image lui donne déjà des indications de lieu ou de temps sur l’univers diégétique. Nicole de Mourgues explique à ce propos :

« Définir le générique de film comme le lieu filmique par excellence du « livisaudible » : ce mot-valise un peu barbare a le mérite de rendre compte de l’obligation faite au spectateur de percevoir simultanément du lisible, du visible et de l’audible. »220

D’autre part, on peut comparer le générique d’un film avec la couverture d'un livre, surtout que dans les deux cas, il s’agit d’un produit graphique.

« Le titre exerce la même fonction que l’emballage ou la jaquette de livre – il faut se reporter à l’intérieur pour connaître le contenu. Il s’agit ici aussi d’accrocher le regard, de susciter de l’intérêt et d’évoquer de manière générale ce qui va suivre. Il y faut un design axé sur le concept, un graphisme dramatique, du style et souvent l’emploi imaginatif du son. Les possibilités inhérentes à la pellicule et à la bande vidéo deviennent alors proprement illimitées. »221

D’autre part, comme Gérard Blanchard l'explique dans La communication et le langage, le style de l’éditeur peut influencer la caractéristique de jaquette des livres en jouant le rôle d’une image ou d’une illustration.

220

Ibid., p. 96.

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« La « Série blanche » Gallimard maintient le style sévère de la primitive N.R.F. avec lequel transige habilement la collection « Folio », le livre au format de poche édité par Gallimard. La « Série noire » permet par son titre et la couleur signalétique d'identifier les romans policiers américains d'après Dashiel Hammett. L’atelier Faucheux impose par un style graphique l'unité de la série des Jules Verne en « livre de poche ». »222

Le générique de film, en revanche, est loin de se borner aux styles imposés par des producteurs même s’il y a lieu de présenter leurs logos. Pourtant certains cinéastes comme Woody Allen, exigent une tonalité personnelle dans l’habillage et une unité de style dans leurs génériques : « constantes de mise en page, de lettrage, d’illustration sonore, élégance et dépouillement rappelant le modèle du Livre, de la collection imprimée. » 223

D’autre part et dans le sens inverse, un livre peut avoir lui-même à sa façon, son générique où l’on retrouve des mentions comme le titre, le nom de l’auteur, de l’éditeur, de la collection s’il y a lieu, du copyright achevé d’imprimer, etc. A contrario, Christin Metz a exclu ce rapprochement et explique que « ces indications, justement, ne présentent pas la forme d’un générique ; par la façon dont elles sont présentées, elles n’évoquent en rien mon encadré fantaisiste. »224 Metz approfondit en expliquant le sujet :

« Une page imprimée est un objet sobre, ascétique même si on le compare à un écran de cinéma, où les mots écrits se « gonflent » d’une musique captatrice ou d’un bout d’intrigue en arrière-plan, qui leur communiquent une allure tragique, plaintive ou affairée, mais de toute façon un air d’importance.»225

Si on définit le générique de film uniquement dans le cadre de son aspect fonctionnel et en tant qu' élément informatif et juridique, l’ouverture d’un livre pourrait, peut-être, lui ressembler. Par contre, nous ne pouvons pas nier cette vérité qu’ils sont essentiellement très

222 Gérard Blanchard, « Saül Bass Génériques et films », La communication et le langage, op.cit., p. 81 223

Daniel Sauvaget, « Les Génériques chez R. W. Fassbinder : de la calligraphie au récit », Les Cinéastes et

leurs génériques, (collectif dirigé par Alexandre Tylski), Paris, Harmattan, 2008, p. 167

224 Christian Metz, « Pour servir de préface », cité par Nicole De Mourgues, Le Générique de film, op.cit., p. 8. 225 Ibid.

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différents et que cette différence peut se référer par exemple, tout simplement à la question essentielle de la lecture sur support papier et au regarder écran du cinéma.