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PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE

Chapitre 1 : L’apprentissage de la lecture et ses difficultés

1.1. Généralités sur l’apprentissage du langage écrit

En guise d’introduction, un détour théorique intitulé « Généralités sur l’apprentissage du langage écrit » s’est naturellement imposé. Le but est de dégager quelques points saillants qui méritent une attention particulière, des notions clés ou des spécificités qui tissent la toile de fond de l’acte de lire. Plusieurs dimensions sont ainsi approchées : le langage oral et le langage écrit, le recyclage neuronal, la mémoire de travail, l’aspect visuospatial et visuoattentionnel de la lecture, la lecture experte et le cadre général de l’acquisition de la langue écrite.

1.1.1. Langage oral et langage écrit

Le langage oral apparaît comme une spécificité humaine dans sa modalité auditive. Sauf dans le cas d’atteinte pathologique, l’homme possèderait cette grammaire universelle depuis la nuit des temps. Le langage oral, qui s’adapte et évolue constamment, est donc une activité naturelle et spontanée lorsqu’elle donne lieu aux interactions sociales. Il proviendrait même

d’une source divine si l’on se réfère à son origine puisée dans de nombreux mythes. On pense ainsi à un épisode biblique de la tour de Babel, dans le livre de la genèse, où Dieu décida de punir les hommes en transformant la langue unique d’origine en une multitude de langues1. Du mythe à la réalité, il n’y a qu’un pas à franchir. Une fois cette étape réalisée, on fait spontanément le lien avec cette image mentale du bébé que l’on peut qualifier, dès les jours qui suivent sa naissance, d’auditeur universel puisqu’il est en mesure de discriminer tous les sons du monde. Selon Dehaene (2007), le cerveau du bébé n’est pas une « ardoise » vierge, bien au contraire, si l’on se réfère à cette grammaire universelle évoquée quelques lignes plus haut. Il montre déjà toute une organisation hiérarchique : les compétences langagières viennent se loger au sein d’un réseau cortical de l’hémisphère gauche comme pour l’adulte. Dès 3 mois, poursuit l’auteur, lorsque le bébé écoute des phrases, il active déjà l’aire de Broca, siège de la production des mots parlés et de la grammaire. C’est au cours de sa première année de vie que le bébé se spécialise peu à peu dans les sons de sa langue maternelle à laquelle il est quotidiennement confronté. En parallèle, son système visuel se développe, son acuité visuelle atteint les 4/10 e

vers un an (Vital-Durand, 1998, cité dans Jacquier-Roux et Zorman, 1998).

À l’opposé de ce « bain de langage » oral, stimulé précocement par les effets du contexte environnant, se trouverait logiquement un « bain de lecture ». Cependant, force est de constater que le terme semble inapproprié, voire inexact. Cette imprégnation dans le langage écrit ne suffit d’ailleurs pas pour devenir un lecteur expert (Gallet, et al., 2018). Bien qu’on ait cru jadis qu’elle se développait naturellement au prix d’une certaine maturité de l’enfant (Twyman, 2007, cité dans Hawken, 2009), la lecture requiert effectivement un apprentissage spécifique relativement long et complexe d’autant que l’orthographe se conçoit comme une sorte de « plurisystème » du français (Catach, 1978). L’écriture, contrairement au langage oral, est une invention récente servant à compenser une mémoire défaillante (Changeux, 2007) ; c’est une activité dite culturelle. Née il y a 5000 ans environ, elle est seconde par rapport à la langue. Elle est un substitut du code oral (Léon, 2001), elle le représente. Même si des hommes et de nombreuses langues sont dépourvus d’écriture, l’accès au code écrit demeure indispensable. Même précédemment scolarisés, 3 millions d’adultes illettrés restent encore en marge de la société française à cause d’une maîtrise insuffisante de la lecture et de l’écriture.2 L’urgence de la situation est telle qu’elle a fait l’objet d’un travail collectif d’envergure de plus de

1 Actuellement, on recense environ 3000 langues parlées dans le monde.

Cf. Michel MALHERBE, Les Langages de l’Humanité, Robert Laffont, 2010, 1760 p. 2

3000 acteurs de tous horizons, entre décembre 2006 et janvier 2008, pour prévenir et lutter contre ce fléau (Lepeytre et Parra-Ponce, 2008).

Malgré des différences de taille entre l’oral et l’écrit, la recherche actuelle reconnaît largement les liens qui existent entre ces deux formes de langage (Ouellette et Shaw, 2014). On verra dans les pages plus loin, que le modèle simple de lecture de Gough et Tunmer (1986) accorde par exemple de l’importance au langage oral propice à une bonne compréhension en lecture. Autrement dit, c’est lorsque l’on cherche à lister les déterminants de la performance à l’écrit que l’on se retrouve à effectuer des corrélations entre l’oral et l’écrit. Selon bon nombre de chercheurs par exemple, le vocabulaire oral impacte significativement l’écrit en ce qui concerne les processus de compréhension (Beck et al., 2002 ; Biemiller et Boote, 2006 ; Sénéchal et al., 2006 ; Storch et Whitehurst, 2002 ; Verhoeven et al., 2011, cité dans Ouellette et Shaw, 2014), alors même que les mécanismes à la base de cette association ne sont pas encore clairs. Les premiers liens entre l’oral et l’écrit se perçoivent à travers la connaissance des lettres (Écalle et Magnan, 2015).

1.1.2. Le recyclage neuronal

Les différences entre le langage oral et le langage écrit représenté par la lecture sont expliquées notamment par le champ de la recherche en neurosciences. On considère que lire est une activité culturelle trop récente pour avoir modifier le cerveau à temps. Alors que le langage parlé chez le bébé de quelques mois active déjà des régions spécialisées que sont les aires de Broca (expression) et de Wernicke (réception) localisées dans l’hémisphère gauche, en plus de solliciter le cortex moteur, le gyrus angulaire et l’aire visuelle, il en est tout autrement pour la lecture. Le cerveau n’est pas préparé à lire si bien que la lecture nécessite en réalité un apprentissage explicite. On parle alors de l’approche neurobiologique de la lecture, la théorie du recyclage neuronal (Dehaene, 2007, 2011), qui explique l’apprentissage. La région occipito-temporale gauche très évoluée et dévouée à la reconnaissance des objets et des visages depuis des millions d’années va se spécialiser dans la reconnaissance des lettres et des mots. Sous l’effet d’une pratique de lecture, intense et régulière, on assiste à une reconversion de la hiérarchie neuronale : des réseaux cérébraux se développent et se façonnent. On « fait du neuf avec du vieux », pour reprendre l’expression de Dehaene (2007, p. 170). Ce dernier, partisan du darwinisme, compare les cerveaux de l’homme et des autres primates. Ceci, dans le but de comprendre les circuits de la lecture, lesquels sont à rapprocher des circuits neuronaux des autres primates dédiés à la vision. Avec l’apprentissage de la lecture, la reconnaissance des

visages est toujours possible, mais elle perd un peu de son efficacité (Dehaene et al., 2010). Quoi qu’il en soit, on saisit dès lors toute l’importance de la plasticité du cerveau qui va ainsi permettre le recyclage ou la reconversion des mécanismes cérébraux anciens en vue d’un nouvel usage comme la lecture. La région occipito-temporale gauche, siège de la forme visuelle des mots qui se spécialise dans la lecture, est appelée « boîte aux lettres ». On parle de « niche neuronale » pour désigner la reconnaissance des mots écrits localisée dans des régions dédiées aux couleurs, aux visages et aux objets (Dehaene, 2007, p. 290). Bien entendu, ce réseau de la reconnaissance visuelle ne suffit pas à lui seul pour lire. S’y ajoutent d’autres circuits cérébraux, la médiation phonologique et l’accès au lexique, qui se situent dans d’autres régions cérébrales du langage parlé. Ce qui peut paraître surprenant à première vue c’est le fait de réaliser que le circuit cérébral emprunté — il part de la vision à la phonologie — est identique à tous les cerveaux, quel que soit le système d’écriture du lecteur (Dehaene, 2007).

À la notion de « recyclage neuronal », Houdé (2018, p. 109) rapporte que Changeux (2012, 2017) préfère le terme d’« épigenèse synaptique » qui correspond « à la stabilisation et à la sélection des contacts entre neurones après la naissance ». Pendant l’apprentissage de la lecture, environ 10 millions de synapses, qui sont des contacts entre neurones, se créent à la seconde : c’est ce foisonnement de contacts qui permettrait ainsi la formation d’une empreinte neuronale, un « circuit neuro-culturel » plutôt qu’un recyclage des neurones. Pour Houdé, cette idée n’est pas neuve, elle avait déjà été avancée par le neurologue Déjerine en 1902 dans le domaine de l’écriture et démontrée en 1998 par Caldas et ses collaborateurs en lecture à travers l’imagerie cérébrale.

1.1.3. La mémoire de travail

La mémoire de travail joue un rôle essentiel à l’école. Aujourd’hui, la découverte de mémoires plurielles fait fi de la conception populaire selon laquelle il existerait bien une mémoire associée aux différents sens : mémoire visuelle, mémoire auditive, mémoire olfactive, et cetera. Cette croyance erronée provient de la théorie des mémoires partielles de la fin du XIXe siècle proposé par le neurologue français Charcot (Lieury, 2003). La question est de connaître à présent la manière de définir la mémoire, ou plutôt les mémoires. En effet, selon Stordeur (2016, p. 58) :

« La mémoire n’est pas une entité unique que l’on peut situer dans le cerveau. Ce qui n’exclut pas l’existence de modules plus ou moins spécifiques faisant partie des circuits de la

mémorisation. Elle est le résultat du fonctionnement cérébral. Comme notre cerveau est organisé en aires spécifiques aux différentes facettes des compétences que l’on peut acquérir, “la mémoire” est aussi présente dans chaque aire spécifique. Ces aires, par leurs interactions plus ou moins privilégiées, peuvent être organisées en différents systèmes. »

Dans ce même ouvrage, l’auteur liste et décrit ensuite les 5 types de mémoire à partir de l’organisation d’Endel Tulving : les mémoires de représentation à long terme qui incluent la mémoire perceptive, la mémoire sémantique et la mémoire épisodique, la mémoire procédurale à long terme qui correspond au savoir-faire et la mémoire de travail dite mémoire à court terme. Selon lui, la mémoire perceptive se ramène à des percepts. Un mot par exemple est un percept lorsqu’il est reconnu sur le plan graphique ou phonétique avant même que sa signification ne soit assimilée et intégrée. La mémoire sémantique renvoie au sens, aux concepts, aux connaissances conscientes : « C’est ainsi que nous pouvons connaître beaucoup de “significations” sans nécessairement posséder le vocabulaire correspondant, ce dernier faisant partie de la mémoire perceptive. L’apprentissage des liens entre les deux systèmes est d’une importance capitale pour la fluidité et la flexibilité de l’expression. » (op. cit., p. 59). La mémoire épisodique, quant à elle, désigne les souvenirs, la « mémoire des évènements vécus consciemment par la personne. » (op. cit., p. 60). Houdé (2018, p. 74) énonce même l’idée de mémoire dite « autobiographique » qui est l’effet conjugué de la mémoire sémantique et de la mémoire épisodique avant d’avancer celle qualifiée de « modèle structural intersystémique de la mémoire humaine ». D’ailleurs, déclare-t-il (op. cit., p. 76) « Les cas d’amnésie (provoquée par une lésion) et les études d’imagerie cérébrale ont permis de démontrer très clairement cette multilocalisation de la mémoire. ».

Il existe un certain nombre de modèles de la mémoire. D’après Lieury (2013), le premier, de Broadbent (1958), faisait la distinction entre la mémoire à court terme et la mémoire à long terme tandis que le modèle d’Atkinson et Shiffrin (1968) était le plus cité, bien qu’il n’ait indiqué ni la mémoire sémantique ni la mémoire lexicale. Lieury propose lui aussi son propre modèle (2011). D’après Bussy (2013), le modèle le plus répandu dans la littérature scientifique internationale est celui de Baddeley et Hitch (1974), ses auteurs ont d’ailleurs été les premiers à introduire le concept de mémoire de travail. Le modèle modulaire de Baddeley (1974, 1986, 1993, 2000), appelé aussi modèle à boîtes, a subi des modifications au fil du temps et des expérimentations successives. Le modèle initial (1974) incluait trois composantes : l’administrateur central, la boucle phonologique et le registre ou calepin visuospatial. L’administrateur central gère les fonctions exécutives, les processus attentionnels et les prises

de décision. La boucle phonologique ou Mémoire à Court Terme verbale (MCT verbale) comprend une unité de stockage passif des informations verbales reliées au langage et le processus d’autorépétition articulatoire subvocale. Enfin, le registre ou calepin visuospatial ou Mémoire à Court Terme visuospatiale traite les informations à la fois visuelles et spatiales. En 2000, Baddeley propose une quatrième composante du modèle : la mémoire tampon épisodique (episodic buffer). Ce système à capacité limitée stocke de manière temporaire les informations multimodales ; il intègre les informations en lien avec la boucle phonologique, le calepin visuospatial et la mémoire à long terme.

Figure 1 : Modèle de la MdT (Baddeley, 2000)

La mémoire de travail ou mémoire à court terme permet de conserver et de manipuler des informations dans un laps de temps relativement court jusqu’à ce que les tâches cognitives soient finalisées. Lesdites informations sont nouvelles ou bien stockées dans les mémoires de représentation que Houdé (2018) qualifie de « mémoires de savoirs ». En somme, la mémoire de travail facilite grandement les apprentissages à tel point qu’elle occupe une place centrale dans les savoirs fondamentaux à l’école (Gavens et Camos, 2006). Le passage à la mémoire à long terme procède par encodage grâce à la visualisation par exemple ou par autorépétition et reprises (Berthier et al., 2018). Tout cela questionne et amène à se demander si, au fond, la mémoire de travail à court terme n’aurait pas de lien, finalement, avec la mémoire de travail à long terme (MdLT). Selon la théorie d’Ericsson et Kintsch (1995), on fait l’hypothèse qu’une partie de la MdLT pourrait être activée dans le cas d’une expertise de l’adulte dans un domaine en particulier. Elle servirait ainsi de mémoire de travail, ce qui augmenterait l’espace de stockage. Guida et ses collaborateurs (2009) en ont d’ailleurs fait, dans un papier, une analyse critique.

Ces propos donnent l’occasion de mieux prendre conscience des difficultés ou troubles de lecture éventuels de l’enfant, lesquels peuvent être reliés de près ou de loin à la mémoire de travail (MdT) dans les apprentissages scolaires. On l’a déjà souligné, cette dernière joue un rôle crucial dans les apprentissages scolaires (Barouillet et ses collègues, 2008, cité dans Bussy, 2013). L’inconvénient majeur de la MdT est de posséder une capacité limitée. D’une part, l’empan mnésique retient peu d’éléments différents en même temps, entre 5 et 9 pour les informations verbales, et d’autre part, le temps de rétention de l’information est relativement court, soit 1 minute ou moins en l’absence de traitement (Berthier et al., 2018). L’occasion est donnée au pédagogue d’intervenir sur cet aspect pour apprendre aux élèves à mémoriser en procédant par exemple au regroupement stratégique des éléments. La mémorisation d’une série de 9 chiffres aléatoires donnés oralement par exemple, peut être facilitée en les regroupant par 3 ce qui correspond au stockage de 3 éléments au lieu de 9. Le type d’informations influe aussi sur les ressources cognitives. Les mots rares et abstraits saturent plus rapidement la capacité de stockage que les mots fréquents et concrets (Bussy, 2013). On a alors tendance à penser qu’il existe un véritable lien entre la mémoire de travail et la lecture. Lorsqu’on explore l’état des recherches sur la question, on remarque qu’il existe peu d’études sur la relation entre la MdT et la reconnaissance des mots écrits alors que le lien entre la MdT et la compréhension de lecture fait l’objet d’un très grand nombre de travaux (Zébib, 2009). Sans entrer plus avant dans les détails, on affirme simplement qu’il existe des liens à des degrés divers en fonction des composantes de la mémoire de travail. Selon des chercheurs (de Jong, 2006 ; Demont et Botzung, 2003, cité dans Bussy (2013, p. 26) la MdT est indispensable à l’activité de lecture tant pour le décodage que pour la compréhension. La MCT verbale joue également un rôle sur la connaissance des lettres et le code d’après Demont et Botzung (2003, cité dans Bussy, 2013). Par ailleurs, on note un lien entre la MCT verbale, le langage ainsi que la conscience phonologique (Alloway et al., 2004). L’apprentissage d’une seconde langue à l’école sollicite également de bonnes capacités en MCT verbale d’après Baddeley et ses collaborateurs (1998, cité dans Bussy, 2013).

Cela amène à saisir l’importance des contraintes biologiques pouvant occasionner une surcharge cognitive. Le stockage et le traitement de l’information sont en compétition dans le partage des ressources attentionnelles. Dans ces conditions, on ne peut que souligner le rôle indéniable de l’automatisation en lecture. Il importe que l’apprenti lecteur, y compris l’élève en difficulté, automatise sa lecture au plus vite afin de libérer de l’espace pour le stockage. Tous ces éléments sont à prendre en compte en classe afin d’optimiser la gestion de la mémoire de travail.

1.1.4. La dimension visuospatiale et visuoattentionnelle de la lecture

Si la compréhension du processus d’appropriation de la lecture dans sa dimension visuospatiale a longtemps été mise en retrait dans les études, elle fait l’objet de nombreuses recherches fructueuses, ces dernières années, autour de Valdois, Grainger et Ziegler (Fayol, 2018). Considérée comme étant un système complexe, la lecture implique en réalité l’usage de divers organes sensoriels tels que la vue, les oreilles et la main ainsi que des fonctions cognitives comme l’attention et la mémoire (Gallet et al., 2018). Une étude longitudinale sur les capacités visuoattentionnelles des enfants d’âge préscolaire prédit effectivement de bonnes dispositions pour l’apprentissage ultérieur de la lecture (Franceschini et al., 2012). Dans une synthèse titrée « Processus visuoattentionnels et lecture », Leibnitz et ses collègues (2016) prennent appui sur un grand nombre de travaux (Facoetti et al., 2010a ; Franceschini et al., 2012 ; Plaza et Cohen, 2007) pour souligner, une fois de plus, le rôle majeur des compétences visuoattentionnelles sur l’apprentissage de la lecture.

La prise d’indices visuels s’effectue d’abord par l’œil (Content et Peereman, 2000, cité dans Hubert et Van Moerkercke, 2015). Dans Les neurones de la lecture (2007) qui explique la façon dont le cerveau humain apprend à lire, Dehaene montre, au premier chapitre, la décomposition des étapes successives de la lecture par la psychologie cognitive. La tâche de lecture, dit-il, passe d’abord par le traitement de l’œil, puis par les deux voies parallèles de traitement que sont la voie phonologique qui gère les phonèmes et la voie lexicale qui se rapporte au sens. Le centre de la rétine, appelé fovéa, est constitué de cônes et occupe quinze degrés du champ visuel environ. C’est la seule région centrale de la rétine utile à la lecture. Du fait de son étroitesse, elle oblige les yeux à se mouvoir constamment. Selon Rayner et Bertera (1979, cité dans Dehaene, 2007), une lésion à cet endroit rend la lecture impossible. L’œil est un capteur qualifié d’imparfait pour reprendre l’idée de Dehaene. En effet, selon lui, les contraintes que l’œil exerce sur l’activité de lecture sont importantes. Il cite en exemple, la fovéa dans laquelle l’information visuelle est d’une précision maximale au centre, là où le regard se fixe, tandis que le flou gagne progressivement la périphérie. De plus, d’après Morrison et Rayner (1981) et O’Regan (1990) cités par Dehaene dans ce même ouvrage, la capacité d’amener les mots dans la fovéa n’interfère pas avec la taille des lettres3, elle dépend uniquement de leur nombre. Lors de chaque fixation, le regard discrimine environ sept à neuf lettres (Dehaene, 2007). L’empan visuel est donc très étroit. C’est depuis 1878 avec les

recherches de Javal sur la lecture, l’écriture et l’ophtalmométrie notamment, qu’on comprend que le déplacement des yeux n’est pas régulier durant la lecture : les mouvements oculaires sont très souvent horizontaux grâce à une lecture ligne par ligne, mais peuvent s’exercer aussi dans toutes les directions lorsqu’on effectue par exemple une recherche d’informations dans le texte (Jacquier-Roux et Zorman, 2005). Tout ce travail oculomoteur laisse présumer un effort sans relâche surtout pour l’apprenti lecteur parce qu’il exige :

« […] un bon tonus musculaire, une bonne résistance à la fatigue visuelle, une bonne coordination entre les mouvements de l’œil et du cou, mais aussi une bonne vision binoculaire, elle-même liée à l’existence ou non de troubles de la réfraction, de troubles de l’équilibre oculomoteur ou de la convergence. De plus, chez l’enfant (lecteur débutant), les mouvements