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Généralités sur les pinceaux de quadriques dans P n

Nous commençons par rappeler quelques propriétés élémentaires et bien connues des pin-ceaux de quadriques dans Pn puis nous définissons des revêtements de l’espace projectif dual (Pn) qui leur sont naturellement associés. Ceux-ci joueront un rôle central dans les preuves des théorèmes 3.2 et 3.3 (cf. notamment le paragraphe 3.5.1).

Dans tout ce paragraphe, nous fixons un corps k de caractéristique différente de 2, une clôture séparable k de k, un k-espace vectoriel V de dimension finie et deux formes quadratiques q1 et q2 sur V. L’espace projectif P(V) associé à V sera considéré comme une variété sur k. Notons n sa dimension et supposons que n > 2. Pour t ∈ P1

k de coordonnées homogènes t = [λ : µ], soit Qt ⊂ P(V) la quadrique projective définie par l’équation

λq1+ µq2 = 0.

Toutes les propriétés de q1 et q2 auxquelles on va maintenant s’intéresser ne dépendent en fait que de la famille de quadriques (Qt)t∈P1

k. Celle-ci définit un pinceau si les formes q1 et q2 ne sont pas proportionnelles.

Notons f(λ, µ) = det(λq1+ µq2) le déterminant de λA + µB, où A et B sont les matrices de q1 et de q2 dans une base quelconque de V. C’est un polynôme homogène en (λ, µ), nul ou de degré n + 1, bien défini à multiplication par un élément de k près. En particulier, ses racines et leurs multiplicités respectives sont bien définies.

Soit X ⊂ P(V) l’intersection des quadriques (Qt)t∈P1

k, autrement dit la sous-variété de P(V) définie par les équations q1 = q2 = 0.

Proposition 3.24 — Les propriétés suivantes sont équivalentes :

(i) La variété X est lisse sur k et purement de codimension 2 dans P(V). (ii) Le polynôme homogène f(λ, µ) ∈ k[λ, µ] est non nul et séparable.

(iii) Les formes quadratiques q1 et q2 ne sont pas proportionnelles et pour tout t ∈ P1 k, le lieu singulier de la quadrique Qt est disjoint de X.

De plus, elles impliquent :

(iv) Parmi les formes quadratiques λq1+ µq2 sur V ⊗kk avec (λ, µ) ∈ k2\ {(0, 0)}, toutes

sont de rang > n et au moins une est de rang n + 1.

Lemme 3.25 — Soit t ∈ P1(k). Le point t est racine simple du polynôme homogène f (λ, µ)

si et seulement si la quadrique Qtpossède un unique point singulier et que celui-ci n’appartient pas à X.

Nous allons simultanément prouver le lemme et la proposition.

Démonstration — Les propriétés (i) à (iii) étant invariantes par extension des scalaires, on

peut supposer k algébriquement clos. Soient (λ0, µ0) ∈ k2 \ {(0, 0)} une racine de f et r le rang de λ0q1 + µ0q2. Choisissons une base de V dans laquelle la matrice de λ0q1 + µ0q2 soit diagonale, les r premiers coefficients diagonaux étant non nuls ; on note cette matrice J. Pour i ∈ {1, . . ., n+1}, soit Di(resp. D

i) la matrice obtenue en remplaçant la i-ème colonne de J par la i-ème colonne de la matrice de q1 (resp. de q2). Vu la forme de J, on a det(Di) = det(D

i) = 0 pour tout i si r < n et pour tout i 6 n si r = n. Compte tenu des égalités

∂f ∂λ0, µ0) = n+1 X i=1 det(Di) et ∂f ∂µ0, µ0) = n+1 X i=1 det(Di),

il s’ensuit que (λ0, µ0) est une racine multiple de f si et seulement si det(Dn+1) = det(D

n+1) = 0 ou r < n. Ceci prouve déjà que (ii)⇒(iv).

Notons t = [λ0 : µ0]. Si r < n et r > 0, le lieu singulier de Qt contient une droite ; celle-ci rencontre nécessairement X. Si r = n, la condition det(Dn+1) = det(D

n+1) = 0 équivaut à l’appartenance à X de l’unique point singulier de Qt. On a donc aussi prouvé le lemme, et par suite, l’équivalence entre (ii) et (iii).

Il reste à établir que (i)⇔(iii). Notons TmM l’espace tangent à une variété M en un point m. Soient t ∈ P1(k) et x ∈ X(k). Choisissons un u ∈ P1(k) \ {t}. Si la propriété (i) est satisfaite, le sous-espace TxX ⊂ P(V) est de codimension 2. Étant donné que TxQu est de codimension au plus 1 dans P(V) et que TxX = TxQt∩ TxQu, on en déduit que TxQt est de codimension au moins 1, ce qui signifie que x est un point régulier de Qt. D’où (i)⇒(iii). Supposons enfin que la propriété (i) ne soit pas satisfaite et montrons que (iii) ne l’est pas non plus. Le cas où X n’est pas purement de codimension 2 étant trivial, on peut supposer que X possède un point singulier x ∈ X(k). Le noyau de la matrice jacobienne en x du système q1 = q2 = 0 est alors non nul, or la donnée d’un vecteur non nul de ce noyau équivaut exactement à la donnée d’un t ∈ P1(k) tel que la quadrique Qt soit singulière en x, d’où le résultat. 

Supposons dorénavant X lisse sur k et purement de codimension 2 dans P(V). Comme on vient de le voir, le polynôme f possède alors n + 1 racines deux à deux distinctes dans P1(k). Notons-les t0, . . . , tn. La propriété (iv) ci-dessus montre que chacune des quadriques Qti pos-sède un unique k-point singulier, que l’on note Pi. Les k-points P0, . . . , Pn de P(V) sont globalement stables sous l’action du groupe de Galois de k sur k ; on n’hésitera donc pas à identifier leur ensemble à une réunion de points fermés de P(V).

Proposition 3.26 — Supposons que k = k. Pour chaque i ∈ {0, . . ., n}, soit vi ∈ V \ {0} un

vecteur dont l’image dans P(V) soit égale à Pi. Alors (v0, . . . , vn) est l’unique base de V, à

per-mutation des coordonnées près et à homothétie près (indépendamment sur chacun des vecteurs de base), dans laquelle les formes quadratiques q1 et q2 soient simultanément diagonales.

(On dit qu’une forme quadratique est diagonale dans une base donnée si sa matrice dans cette base est diagonale, ce qui équivaut encore à ce que la base soit orthogonale pour la forme quadratique en question.)

Démonstration — Prouvons d’abord que les vecteurs v0, . . ., vn forment une base de V dans laquelle q1 et q2 sont diagonales. Il suffit pour cela de vérifier d’une part que les vi sont deux à deux orthogonaux à la fois pour q1 et pour q2 et d’autre part qu’aucun des vi n’est isotrope à la fois pour q1 et pour q2. La seconde assertion résulte de la proposition 3.24, propriété (iii). Pour la première, il suffit de montrer que pour tous i, j ∈ {0, . . ., n} distincts, il existe t, t ∈ P1(k) distincts tels que les vecteurs vi et vj soient orthogonaux pour les deux formes quadratiques λq1 + µq2 et λq1 + µq2, où t = [λ : µ] et t = [λ : µ]. Il est immédiat que cette condition est satisfaite pour (t, t) = (ti, tj), puisque vi (resp. vj) est alors orthogonal à tout V pour λq1 + µq2 (resp. λq1 + µq2).

Établissons maintenant l’unicité. Supposons que dans une base de V l’on puisse écrire q1 =Pn

i=0aix2

i et q2 =Pn i=0bix2

i. Les racines de f sont alors les ti = [−bi : ai] ∈ P1(k) pour i ∈ {0, . . ., n}. La droite engendrée par le i-ème vecteur de base est évidemment un point singulier de Qti, ce qui signifie que ce vecteur est colinéaire à vi.  Corollaire 3.27 — Aucun hyperplan de P(V) ne contient les k-points P0, . . . , Pn.

Corollaire 3.28 — Le polynôme f est scindé si et seulement s’il existe une base de V dans

laquelle les formes quadratiques q1 et q2 sont simultanément diagonales.

Démonstration — En effet, pour tout i ∈ {0, . . ., n}, le point ti ∈ P1(k) est k-rationnel si et seulement si le point Pi l’est, puisque ce dernier est l’unique point singulier de Qti. 

Intéressons-nous maintenant à la trace du pinceau (Qt)t∈P1

k sur un hyperplan variable de P(V). Les hyperplans de P(V) sont paramétrés par l’espace projectif dual P(V). Posons

Z =

où l’intersection est à prendre au sens schématique. Le sous-ensemble Z ⊂ P1

k×kP(V) est un fermé (cf. [EGA IV3, 12.1.7]) ; munissons-le de sa structure de sous-schéma fermé réduit.

Les fibres géométriques de la projection naturelle p: Z → P(V) sont particulièrement simples à décrire. Pour L ∈ P(V), posons fL(λ, µ) = det((λq1 + µq2)|L), avec la notation évidente pour la restriction d’une forme quadratique au sous-espace vectoriel de V associé à L. C’est un polynôme homogène ; la fibre géométrique de p en L s’identifie à l’ensemble de ses racines (avec multiplicités).

Proposition 3.29 — Le morphisme p: Z → P(V) est fini et plat, de degré n.

Démonstration — Supposons d’abord le morphisme p fini. Il résulte alors de la description de

ses fibres géométriques qu’elles sont toutes de degré n, ce qui entraîne que p est un morphisme plat (lemme de Nakayama). Il suffit donc de vérifier que p est fini. Pour cela, il suffit de vérifier qu’il est quasi-fini, puisqu’il est évidemment propre. Par l’absurde, supposons qu’il existe L ∈ P(V) tel que Qt∩ L ne soit lisse pour aucun t ∈ P1

k. Considérant successivement les points t = ti pour i ∈ {0, . . ., n}, on trouve que l’hyperplan L doit contenir Pi pour tout i,

ce qui contredit le corollaire 3.27. 

Ainsi avons-nous associé à tout pinceau de quadriques dans P(V) un revêtement plat de P(V). Nous y reviendrons au paragraphe 3.5.1, où nous étudierons la monodromie de ces revêtements. Pour l’instant, limitons-nous à la proposition suivante, fondamentale pour l’étude des points rationnels sur les surfaces de del Pezzo de degré 4.

Proposition 3.30 — La variété Z est k-rationnelle.

C’est en réalité la description explicite d’une certaine équivalence birationnelle entre Z et un espace projectif qu’il nous faudra connaître. Voici comment la construire.

Pour (t, L) ∈ Z tel que t 6∈ {t0, . . . , tn}, la quadrique Qt ∩ L ⊂ L possède un unique point singulier. On définit une application rationnelle Z 99K P(V) en associant ce point au couple (t, L).

Pour x ∈ P(V) \ (X ∪ {P0, . . . , Pn}), il existe un unique t ∈ P1

k tel que x ∈ Qt. Le point x est alors régulier sur Qt. On définit une application rationnelle P(V) 99K Z en associant à x le couple (t, TxQt), où TxQt désigne l’hyperplan tangent à Qt en x.

On vérifie tout de suite que ces deux applications rationnelles sont bien inverses l’une de l’autre. Il est à noter que la seconde est définie sur P(V)\(X∪{P0, . . . , Pn}), qui est un ouvert de P(V) dont le complémentaire est de codimension 2.

Voici un résultat parfois utile lorsque l’on cherche à restreindre le revêtement Z → P(V) au-dessus d’hyperplans spécifiques de P(V).

Proposition 3.31 — Soit z = (t, L) ∈ Z. Supposons que l’un des points Pi, disons P0, soit

k-rationnel. S’il existe un point singulier de Qt ∩ L qui soit un point régulier de Qt et qui appartienne à l’hyperplan de P(V) contenant {P1, . . ., Pn}, alors P0 ∈ L.

Démonstration — On peut supposer que le corps k est algébriquement clos et que le point z

est k-rationnel. Reprenons alors les notations de l’énoncé de la proposition 3.26. L’hyperplan de V engendré par (v1, . . ., vn) est orthogonal au vecteur v0 pour toute forme quadratique λq1 + µq2 avec λ, µ ∈ k. Par ailleurs, si x est un point singulier de Qt∩ L qui soit un point régulier de Qt, l’hyperplan de V associé à L est l’orthogonal de la droite vectorielle définie par x pour la forme quadratique λq1+ µq2, où t = [λ : µ]. La proposition s’ensuit.  Pour conclure ce paragraphe, mentionnons une condition nécessaire pour qu’une intersec-tion de deux quadriques dans P(V) possède une composante irréductible qui soit une sous-variété linéaire (c’est-à-dire de degré 1) de P(V).

Proposition 3.32 — Ne supposons plus X lisse sur k. Si n > 3 et si X possède une composante

irréductible qui est une sous-variété linéaire de P(V), alors le polynôme f n’admet aucune racine simple.

Démonstration — On peut supposer X purement de codimension 2 dans P(V), les autres cas

étant triviaux. On peut d’autre part supposer k algébriquement clos. Soit une composante irréductible I ⊂ X de degré 1 dans P(V) et une racine simple t0 ∈ P1(k) de f . D’après le lemme 3.25, la quadrique Qt0 est un cône quadratique possédant un unique point singulier, disons P0, et celui-ci n’appartient pas à X. Il existe donc un hyperplan L ⊂ P(V) contenant I mais ne contenant pas P0. Comme I ⊂ X ⊂ Qt0, on a alors I ⊂ Qt0 ∩ L ; autrement dit, la quadrique Qt0 ∩ L, qui est lisse et de codimension 1 dans L puisque P0 6∈ L et que n > 3, contient un sous-espace linéaire de codimension 1 dans L. C’est une contradiction.