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3.3.1 Approche théorique

La fusion membranaire est à la base de très nombreux processus d’échanges biologiques, comme la fécondation, les infections virales ou la neurotransmission. Elle transforme deux membranes distinctes en une seule structure continue, au prix d’un formidable réarrangement des lipides les composant (Figure 3.10). Les deux compartiments sont dès lors connectés par un « pore » qui permet un échange des contenus.

In-vivo, l’existence d’une barrière énergétique minimum à dépasser pour induire la fusion est essentielle. Elle évite que le processus n’ait lieu de façon non controlée et ce sont généralement les protéines qui permettent de franchir cet obstacle en apportant l’énergie suffisante [157]. De nombreuses études théoriques estiment l’énergie d’activation de la fusion des membranes lipidiques entre 20 et 150 kBT [77,116,135] pour une température

de 298 K.

3.3.2 Ouverture d’un pore de fusion

Pour fusionner, il est indispensable de rapprocher les bicouches l’une de l’autre. Initiale- ment les membranes sont séparées d’environ 10 nm à cause des répulsions électrostatiques

Figure 3.10: Fusion de deux compartiments lipidiques. a) Deux éléments sont initia- lement séparés, avec chaque leurs contenus et leurs membranes lipidiques propres. b) La fusion membranaire induit un partage de contenu et un mélange des constituants

de la membrane

[28], de la gêne stérique induite par les protéines ou de l’ondulation des membranes. Même proche de 1 ou 2 nanomètres, certaines molécules d’eau restent encore si fortement liées aux têtes des lipides, qu’elle empêche véritablement toute rencontre [26]15. Finalement,

la fusion ne sera possible qu’à la condition que l’ensemble de ces interactions répulsives soient compensées. Tout processus de fusion doit donc être précédé d’une diminution des forces d’hydratation et des forces d’ondulation, sans oublier une déstabilisation des molécules d’eau interfaciales, chacune de ces étapes coûtant de l’énergie. Pour former un pore, la membrane doit aussi être altérée sur un rayon d’au moins 4 nm [84,93], ce qui fait intervenir environ 300 lipides. Comme la répulsion d’hydratation est proportionnelle à la surface membranaire en jeu, Leikin et al ont proposé en 1987, que le contact entre membranes se fasse de manière localisée, par l’intermédiaire de protubérance, résultat de fluctuations de membrane (Figure 3.11b) [86]. Ces déformations créeraient des accès aux parties hydrophobes des lipides, constituant autant de points de nucléation éventuels, à l’origine d’un intermédiaire de fusion, le « stalk » plus ou moins stable, joignant les feuillets externes des deux membranes, mais dans lequel les contenus des deux compar- timents sont toujours séparés (Figure 3.11c). Décrit en 1978 par Gingell et Ginsberg, prédit par les simulations [101] et observé par diffraction de rayons X, cet intermédiaire de fusion – ou hémi-fusion - est aujourd’hui reconnu par l’ensemble de la communauté scientifique. La fusion se termine ensuite par l’ouverture d’un pore (Figure 3.11d). Tou- tefois, les différentes voies empruntées entre ces deux étapes ne sont pas encore bien comprises et font l’objet de nombreuses hypothèses, que nous n’évoquerons pas.

Figure 3.11: Etapes schématiques de la fusion. a) Deux membranes se font face. b) Malgré la répulsion d’hydratation, un rapprochement local des membranes a lieu grâce aux fluctuations engendrées par l’agitation thermique. c) Il en résulte l’écartement des têtes polaires et l’exposition de certaines parties hydrophobes, qui s’attirent entre elles. Ce comportement crée un point de nucléation dans la membrane et provoque la forma- tion d’un intermédiaire de fusion : le « stalk ». Les deux feuillets externes ne font plus qu’un. L’étape d’hémi-fusion coïncide ensuite avec la formation d’un diaphragme entre les deux feuillets lipidiques internes. d) Finalement, la fusion traduit par l’ouverture d’un pore de communication entre les deux compartiments. Il engendre à la fois un mélange de contenu et le réarrangement des deux feuillets internes des membranes.

3.3.3 Impact de certains paramètres sur la fusion

Un événement de fusion nécessite un apport d’énergie pour induire une déstabilisation des bicouches. Néanmoins, la quantité nécessaire peut varier selon la nature des lipides, l’aspect global des membranes16 ou le milieu environnant17.

3.3.3.1 Composition lipidique et courbure de la membrane

Les lipides n’ont pas tous le même nombre d’atomes ou les mêmes groupements chi- miques, ce qui influence fortement leurs formes effectives, avec un effet évident sur l’or- ganisation spontanée des membranes. En effet, cette corrélation entre la forme des molé- cules et la courbure de la bicouche, joue réellement un rôle sur la stabilité des membranes. Une géométrie cylindrique est stable en membrane et nécessitera beaucoup d’énergie pour être déstabilisée (Figure 3.12a). Néanmoins en courbant la membrane, les lipides de forme cylindrique n’ont plus une géométrie optimale. Il devient plus facile de fusionner du fait des défauts, qui apparaissent (Figure 3.12b).

Figure 3.12: Membrane composée de lipides cylindriques. a) Si la courbure spontanée de la molécule correspond à celle de la membrane, cette dernière est stable. b) Si la courbure spontanée du lipide est différente de la courbure de la bicouche, des défauts

hydrophobes (*) apparaissent. La membrane est plus facilement déstabilisée.

In-vivo, les membranes biologiques sont avant tout des mélanges lipidiques, ces derniers vont donc être forcés d’adopter une courbure, qui ne correspond pas nécessairement à leurs courbures spontanées (Figure 3.13a). Cette asymétrie dans la membrane génère donc des défauts, qui contribuent à la déstabiliser. Cette fois-ci, une courbure de la bicouche peut conduire à une réorganisation des lipides entre les deux feuillets, où chaque molécule se répartit de manière plus adaptée avec sa courbure spontanée. La nouvelle configuration est donc plus stable et par conséquent moins fusogène (Figure 3.13b).

16. courbures

Figure 3.13: Membrane composée d’un polymorphisme lipidique. a) Les lipides non cylindriques ne sont pas adapté à une géométrie plane de la membrane. Leur présence déstabilise la membrane en créant des défauts (*). b) Si la membrane est courbée, les lipides se positionnent sur un feuillet ou l’autre en fonction de leur courbure spontanée.

Le nombre de défauts se réduit et la membrane est stabilisée.

3.3.3.2 Conformation étendue des lipides

Kinnunen et al envisagent que certains lipides puissent adopter une conformation dite étendue ou « splaying » en anglais [79]. Cette acrobatie leurs permettrait d’être incorporés dans deux bicouches en vis-à-vis avec leurs têtes polaires à l’interface (Figure 3.14). Plus le lipide possède d’insaturations dans ses chaines d’acides gras, plus il est facile pour lui d’adopter de telles configurations.

Figure 3.14: « Splaying » ou conformation étendue d’un lipide. La molécule pointent dans deux directions opposés.

Cependant, il n’est toujours pas clair, si un seul lipide serait complètement « étendu » et incorporé dans la bicouche en face, ou bien si les lipides, provenant des deux bicouches, seraient partiellement « étendus » et s’associeraient, sans pour autant être directement incorporés dans les membranes opposée.

3.3.3.3 La température

La température a un effet certain sur les lipides et donc les membranes. Une hausse de celle-ci augmente les fluctuations de la bicouche et augmente la répulsion des membranes due à leurs oscillations. Dans le même temps, une augmentation de la température accroit aussi la fluidité des membranes et amplifie la formation de pores [92], puisqu’elle favorise le désordre et la conformation étendue de certains lipides18.

3.3.3.4 Différences entre les cellules

Les descriptions théoriques impliquent souvent qu’il n’y ait pas de structure interne ou de contrainte à l’interface. Toutefois, même si les membranes cellulaires sont des interfaces appartenant au domaine des matières molles, leurs capacités à se déformer sont différentes d’une cellule à l’autre à cause de leurs compositions lipidiques, de la matrice extracellulaire ou du cytosquelette. Dans ces conditions, les membranes plasmiques ont par exemple un module de courbure beaucoup plus élevé que l’énergie thermique (κb »

kBT.nm−2).