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3.7. D

ISTRIBUTION DE LA FUGACITE D

OXYGENE

3.7.1. FUGACITE D’OXYGENE INTRINSEQUE DES CHONDRITES

Comme nous l’avons déjà évoqué de nombreuses fois dans ce chapitre, les différents groupes de chondrites ont enregistré une large gamme de conditions rédox. A l’échelle du Système solaire, l’état d’oxydation est principalement reflété par la distribution du fer parmi ses 3 états communs : Fe0, Fe2+ et Fe3+. Le Fe0 est concentré dans le métal, tandis que le Fe2+ et Fe3+ ont tendance à former des silicates et des oxydes. Ainsi, l’état d’oxydation se traduit en termes pétrologiques par des proportions variables de silicates, oxydes, sulfures et métaux.

L’état d’oxydation des groupes de chondrites peut être représenté dans un diagramme d’Urey-Craig (voir Figure 1-24), dans lequel le fer présent dans le métal et les sulfures est représenté en fonction du fer présent dans le silicate et les oxydes. L’état d’oxydation augmente dans l’ordre enstatite – ordinaires – carbonées. Parmi les chondrites ordinaires, l’état d’oxydation augmente de H à L puis LL, reflétant une diminution du Mg# (Mg/(Fe+Mg)) des olivines et pyroxènes. Au sein des chondrites carbonées, les chondrites CI sont les plus oxydées.

Figure 1-23 : Compositions isotopiques en oxygène d’échantillons terrestres, lunaires et de chondrites à enstatite EH et EL. Chaque type d’échantillon occupe un espace distinct et la composition de la Lune peut être expliquée par un mélange de Terre et d’un impacteur de type chondrite à enstatite. BSE = Bulk Silicate Earth ; BSM = Bulk Silicate Moon. Figure extraite de Herwartz et al. (2014).

36 Enfin, les objets les plus réduits sont les chondrites à enstatite qui ne contiennent pas de fer oxydé.

Il est important de noter que les chondrites étant des roches détritiques plus ou moins déséquilibrées, la notion d’état rédox est plus le résultat combiné d’enrichissement/appauvrissement en métal et de réactions entre différents composés, que d’un simple équilibre avec un gaz ayant une certaine fugacité d’oxygène. L’état rédox des chondrites ne peut donc pas être interprété directement en termes de conditions dans la nébuleuse, mais est en revanche très utile lorsqu’on considère les chondrites comme matériel constructeur d’un objet différencié. Afin de de remonter aux conditions de la nébuleuse il faut donc se focaliser sur un équilibre correspondant à un composant particulier des chondrites.

Brett & Sato (1984) ont mesuré expérimentalement la fugacité d’oxygène de la partie silicatée de différentes chondrites en utilisant un électrolyte solide (Figure 1-25). Leur méthode consiste à encapsuler l’échantillon, après l’avoir préalablement broyé et dépourvu de tout métal, dans l’électrolyte, et à soumettre le système à de nombreux cycles de chauffe/refroidissement permettant d’équilibrer le solide avec le gaz à travers la membrane. Ainsi on peut mesurer la différence de potentiel entre l’échantillon et le gaz au contact avec l’interface externe de

Figure 1-24 : Etat rédox des différentes familles de chondrites vu

à travers la distribution du fer entre les phases silicatées et les phases métalliques. Figure extraite de Brearley & Jones (1998).

37 l’électrolyte en fonction des différentes températures et remonter aux fO2 correspondantes en

utilisant la loi de Nernst. Les auteurs mesurent donc ici la fO2 moyenne des différents composés silicatés pour chaque chondrite, on peut donc qualifier cette fO2 de virtuelle compte tenu du

déséquilibre entre les différents composants. Néanmoins, les résultats obtenus sont cohérents avec, par exemple, l’état rédox des chondrites tel que défini par le diagramme d’Urey-Craig. Ainsi, la chondrite à enstatite Hvittis (EL6) est équilibrée avec un gaz à environ IW-3, ce qui en fait la chondrite la plus réduite, tandis que la chondrite carbonée se situe un peu au-dessus du tampon IW, et les chondrites ordinaires s’étalent entre ces deux pôles (Figure 1-26).

Figure 1-26 : Fugacités

d’oxygène intrinsèques de la partie silicatée de différentes météorites, mesurées à l’aide d’une sonde à électrolyte solide, et comparées à l’équilibre fer – wüstite (IW) ainsi que la surface de saturation du graphite à 1 et 10 bars. Fx=Felix, S=Semarkona, F=Farmington, C=Cherokee Springs, O=Ochansk, G=Guareña, H=Hvittis (en rouge), SA=Salta.Les types sont indiqués sur les lignes. D’après Brett & Sato (1984).

Figure 1-25 : Schéma d’un électrolyte solide. A cause de

la différence de potentiel d’oxygène entre la vapeur à l’interface A (haut potentiel en O) et celle à l’interface B, un flux ionique (O2-) généré dans l’électrolyte et transformé en courant, pouvant ainsi être mesuré. Figure extraite de Mendybaev et al. (1998).

38 3.7.2. FO2 ET PETROLOGIE

Les chondrites contiennent dans leur matrice des sulfures en quantités très variables. Les chondrites carbonées en contiennent très peu, et ceux-ci sont des sulfures de fer : principalement troïlite (FeS), mais aussi pyrrhotite (Fe1-xS), Cubanite (CuFe2S3) et pentlandite (Fe,Ni)9S8. Cependant dans ces objets, le soufre est majoritairement oxydé sous forme de sulfates. De même, le carbone est principalement complexé sous forme de carbonates, bien que la matrice contienne des grains présolaires de SiC et de diamant (Krot et al., 2007).

Les chondrites ordinaires contiennent une proportion beaucoup plus significative de sulfures, dont la nature reste cependant similaire à celle des chondrites à carbonées. Selon Grossman et al., (2008), ces objets ont besoin de conditions plus oxydantes que la nébuleuse solaire pour condenser leurs différents composants.

Enfin les chondrites à enstatite contiennent une quantité importante de sulfure, la troïlite constituant à elle seule 7 à 15 % de la masse de ces objets (Mason, 1966). Cette troïlite se distingue clairement des troïlites appartenant aux chondrites ordinaires ou carbonées car elle contient des petites quantités de Ti, Cr et Mn, indiquant une probable réduction de ces éléments vers les espèces suivantes : Ti3+, Cr2+, Mn2+. La spéciation de ces éléments suggère des conditions très réductrices, comme le montre la Figure 1-27, bien que leurs abondances dans les sulfures soient contrôlées par d’autres paramètres que la fO2 (structure minérale, composition du liquide, pression, température) et ne soient donc pas interprétables précisément en terme de conditions rédox, sans calibration d’un vrai proxy.

De plus les EC contiennent une grande diversité de sulfures accessoires d’éléments normalement lithophiles (Ca, Mg, Mn…) : oldhamite (CaS), ninigerite (MgS), alabandite (MnS), keilite ((Fe,Mg)S), daubreelite (FeCr2S4). Or la condensation de ces composés n’est possible qu’à partir d’un gaz dont le rapport C/O est supérieur à 0.9. La composition du gaz solaire possède un rapport C/O de 0.5, ce qui correspond à une fugacité d’oxygène d’environ IW-7. Les chondrites à enstatite ont dû se former dans un gaz proche de la composition solaire mais enrichi en C, et des conditions extrêmement réductrices, inférieures à IW-9 (Figure 1-28 et 1-29, Grossman et al., 2008). Lehner et al., (2013) proposent un modèle alternatif dans lequel les sulfures exotiques ne sont pas formés par condensation, mais par sulfuration des silicates ferromagnésiens par un gaz pauvre en H et riche en S et C, possédant une fO2 intrinsèque de IW-8 à IW-6, ce qui correspond une fois de plus à la composition du gaz solaire.

39 Le métal contient du silicium : environ 1 % pour les chondrites EL et 3 % pour les chondrites EH. Dans les conditions de très faible pression dans lesquelles se sont formés les premiers solides à l’origine des chondrites, seuls des rapports C/O > 0.8 correspondant à une

fO2 2 ou 3 unités log plus réductrice que du gaz solaire, permettent à une telle quantité de silicium de rentrer en alliage avec le fer et le nickel (Grossman et al., 2008). Ceci est une preuve supplémentaire des conditions extrêmement réductrices ayant régné dans l’environnement de formation des EC. Il faut noter qu’on a également trouvé du Si en solution (0.12 %) dans le Fe de la chondrite carbonée Murchison (CM2, Grossman et al., 1979), ce qui correspond à une composition C/O solaire et donc une fO2 déjà extrêmement réductrice.

Figure 1-27 : Diagramme schématisant la relation fO2 – valence, pour différents éléments et dans un liquide silicaté de composition basaltique. Les cercles correspondent au point où l’espèce réduite et l’espèce oxydée d’un même élément coexistent en proportions égales. La palette de fO2 couvre les conditions du Système solaire et la fO2 de la nébuleuse et différents planètes ou planétoïdes sont reportés pour comparaison. Figure extraite de (Papike et al., 2004).

40 3.7.3. FUGACITE D’OXYGENE INTRINSEQUE DES INCLUSIONS REFRACTAIRES Afin de déterminer la fO2 du gaz à partir duquel les inclusions réfractaires condensèrent, plusieurs auteurs se basent sur la spéciation du titane dans les minéraux, le partage du Ti dans ces minéraux changeant fortement avec la fO2 (contrairement, par exemple, au V dont les espèces V2+ et V3+ possèdent la même compatibilité dans les sites M1 des minéraux mafiques). Simon et al. (2005) mesurent à la microsonde électronique (en calculant la stœchiométrie des minéraux) les quantités relatives de Ti3+ et Ti4+ dans les pyroxènes au cœur et à la bordure des CAIs, qu’ils traduisent en rapport d’activités des pôles CaTi4+Al2O6 et CaTi3+AlSiO6 dans le pyroxène qui définit directement un équilibre rédox. Ils découvrent alors que le cœur des inclusions réfractaires est à l’équilibre avec un gaz solaire (à peine une unité log plus réducteur), tandis que les bordures traduisent un équilibre proche du tampon IW (Figure 1-30) (Guan et al., 2000). Simon et al., (2007) confirment par la suite ces résultats en réalisant des analyses XANES et Grossman et al. (2008) obtiennent également ces résultats en analysant cette fois-ci la spéciation du Ti dans des assemblages fassaite + mellilite, et en calibrant la fO2 correpondante

Figure 1-28 : Températures de condensation à

l’équilibre avec un gaz de rapport C/O variable. Au-delà de C/O = 0.9, le CaS condensent avant le silicate lors du refroidissement du gaz. La composition du gaz solaire possède un rapport C/O de 0.5, ce qui correspond à une fugacité d’oxygène d’environ IW-7. La condensation de sulfures tels que l’oldhamite ou l’alabandite nécessitent des rapports C/O > 0.9, traduisant une fO2 inférieure à IW-9. Figure extraite de Grossman et al. (2008).

Figure 1-29 : Log fO2 d’équilibre en fonction de la température à P=10-4 atm pour des systèmes de composition solaire sauf pour le carbone. Pour les températures au-dessus desquelles les réactions de condensation produisent des discontinuités dans les courbes, la fO2 chute de plus en plus rapidement avec l’augmentation du rapport C/O. Le carré noir correspond à la fassaite des CAIs. Figure extraite de Grossman et al. (2008).

41 grâce à des expériences analogues à la formation des CAIs. Ces observations suggèrent que les CAIs se soient crées dans un environnement très chaud et réducteur, proche du soleil, et aient ensuite été pour la plupart redistribuées dans des zones plus oxydantes (Guan et al., 2000 ; Shu et al., 2001).