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LES FRONTS SECONDAIRES D’ANALYSE

La progression dans le domaine de la médiation permet de saisir ses principes apparents et observer les fonctions qui se dégagent au fur et à mesure. Une difficulté apparaît dans la séparation, la distinction des logiques binaires dont le premier représentant est le conflit, des logiques ternaires dont la médiation se fait l’étendard. Malgré l’assurance des mots, l’entremêlement, la fusion des deux domaines est plus fréquente que la mise à distance. Le conflit se pose comme une figure complémentaire non exactement symétrique, de la médiation. Premier dans la genèse de la médiation, il est occulté en tant que tel, nié par elle qui apparaît alors souveraine dans notre société.

La définition coutumière du conflit favorise l’idée selon laquelle il existe une sorte de fatalité devant les événements. Elle alimente ensuite une certitude empirique sur le terme qui les qualifie le mieux. En la matière, nous savons bien ce qu’est un conflit, il suffit de le constater. On le voit et, dès lors, il faut faire avec. Le conflit se résume ainsi doublement par nature et en théorie à partir de ce sens construit sur l’apparence et l’immédiat dans une :

Définition première du conflit

opposition entre deux parties, ou une multitude de parties regroupées en deux camps, dont le front se dessine principalement lors d’une crise et du fait de son expression manifeste.

A LES REPERES SPATIO-TEMPORELS DU CONFLIT

Le moment particulier qui lui permet d’être là est relaté par les témoins ou est pris universellement en compte par son résultat objectif. Les bruits, les manifestations, les conséquences d’un conflit sont perceptibles179. Ils

se livrent à tous nos sens et confirment le mot conflit comme responsable causal unique. Ils aboutissent sur ce terme omnipotent qui désigne toutes ses métamorphoses. La polyvalence lui assure son passage avec art de la grande discrétion au tapage débridé, du calme à la violence, de la persuasion à la menace. Tout cela n’a pas en définitive une grande incidence sur sa définition. Le mot est si puissant qu’il demeure celui qui couvre même le mieux des situations les plus discrètes, secrètes, où le front est impalpable, fugace, où causes et manifestations restent personnelles et subjectives. Tout, et un peu de tout lui est en définitive permis, le meilleur et le pire.

a) Continuité de la séparation entre principes et fonctions

En proposant une sortie honorable du conflit, la médiation nous rappelle qu’elle ne sait établir sa culture qu’à partir de la chronologie conflictuelle. Elle s’octroie toutefois plus facilement, de là où elle se trouve, une référence au bon sens, à la morale, à l’éthique180. Pour formuler différemment ces affinités

électives du principe de la médiation avec celui du conflit, il est possible de se demander ce qu’il adviendrait de la médiation si le conflit était soustrait de sa généalogie. Le conflit ne débouche pas toujours sur une médiation et n’a pas besoin de cette paternité pour être présent. Il est également autonome pour ce qui intéresse son évolution et les techniques de sa conduite. Par la richesse qu’il présente ostensiblement, le conflit est réputé détenir la carte du trésor de

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La chute du mur de Berlin, l’attentat du 11 septembre 2001 à New-York ont été, par exemple, les événements phares de conflits qui ne se montraient pas en tant que tels.

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La référence aux valeurs morales n’est pas l’exclusivité de la médiation. Nombre de conflits, les guerres ne font pas exception, s’entourent de règles, de conventions, de valeurs humanitaires et universelles. Mais elles paraissent plus discutables.

la liberté. La course à laquelle se livrent les hommes pour la posséder nous en fournit l’infinie démonstration.

L’attention doit être attirée sur le fait qu’affirmer une pensée propre, autonome, à la médiation, revient à choisir pour elle certains conflits, parfaitement binaires, afin qu’ils démontrent dans le cours de leur traitement la supériorité d’une logique ternaire. Certes, tous les conflits ne débouchent pas sur une médiation mais la médiation va déjà pouvoir se vanter de saisir celui-ci, moins ou pas du tout celui-là, pour mener à bien une fonction de médiation. Le conflit distingué doit répondre à de nombreux et mystérieux critères pour rendre envisageable une médiation. La manifestation de la violence doit pouvoir être écartée, être suspendue. Les médiateurs s’attachent, nous l’avons vu et y reviendrons, à placer la volonté des individus comme premier de ces critères ou à traduire leur silence en leur sens.

Dans la sémiologie que nous côtoyons, la fonction rend lisible la médiation par le médiateur et son travail. Elle rend tout aussi lisible le conflit au travers ses acteurs et principalement par l’intermédiaire de leurs actes. La fonction du conflit est, pour notre usage médiatisé, lisible sur au moins deux niveaux. Elle répond d’abord à l’exposition, à la nécessité de visualiser son objet. La fonction du conflit est ensuite de vider l’abcès et de procéder à la réduction ou à la disparition différends. La différence est une procédure d’éveil du conflit entre des acteurs non départagés ou égaux dans leurs revendications incompatibles. A l’échelle sociale, l’expression conflictuelle plus ou moins maîtrisée place les termes d’une catharsis, sorte de régulation des excès mettant en scène les nécessités de dire, d’exprimer, de faire, de vivre malgré ou avec les autres.

Le résultat des résultats est de rendre les faits visibles et accessibles à tous. Les médiateurs affirment que « la médiation, ça marche ». Peu importe que les conflits arrivent aussi à ce résultat, avant eux. A moins de les considérer comme leurs nouveaux maîtres.

La redondance du résultat des chocs rejaillit sur le caractère de l’objet qui devient surexposé. Il devient plus que visible, il tombe sous le sens d’une nouvelle nécessité de faire quelque chose ouvrant la voie aux résolutions alternatives des conflits.

La séparation drastique des principes et fonctions entre médiation et conflit assure une évolution cohérente pour le sens commun. De façon synthétique, les fonctions du conflit sont, pour L. COSER181, d’éviter l’appauvrissement de la

créativité ; de renforcer l’identité et la cohésion des groupes en conflit ; de rapprocher les belligérants. Par notre propre formulation, la fonction du conflit est également d’exprimer une impossibilité - à faire, à penser, à subir - rendue concrète par la réaction qu’elle rencontre ou provoque. Le mystère de l’origine demeure, car l’unité éventuelle du conflit et son action unificatrice sur ce qu’il touche, n’auraient pas eu besoin de l’artifice du réel pour être plus intangibles. La médiation évite ce doute en amont puisqu’elle ouvre un nouvel avenir. Ainsi, toute initiative qui revendique un apport ternaire sans plus de nuances reste le plus souvent binaire jusque dans la manière par laquelle elle s’en affirme distincte. Elle est ainsi rarement révolutionnaire.

Le principe n’apparaît qu’au regard de peu de gens. Il tient dans une double élection qui modifie le statut de tel ou tel au regard de tous les autres. Entendons et opposons tel ou tel à autres pour retrouver et exposer la dualité primitive du conflit. Nous aurons tel événement, telle personne, tel principe ou telle fonction qui se heurtera dans une relation destructrice ou constructive, de communication ou d’exercice du pouvoir, à tel autre événement, telle autre personne, tel autre principe etc. Cela ne se fait pas n’importe comment. Il y a en effet bien des raisons objectives pour que l’affrontement surgisse, achoppe ou disparaisse. La conjonction des hasards n’en est pas la moindre.

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Lewis COSER expose dans son ouvrage Les fonctions du conflit social , Paris, P.U.F, 1982 (N.-Y 1956) toute la complexité qui revient ainsi à une telle fonction. Pour être saisies, les fonctions du conflit, fortement imbriquées, font l’objet de nombreuses propositions pour les articuler.

L’interprétation, paramètre permanent des histoires que nous faisons même d’un rien, fait son lit sur ce terrain fabuleux couvert par le conflit. A partir de ces éléments d’identification, il nous apporte une contribution théorique de tout premier ordre :

Apport second du conflit

Le conflit illustre la logique binaire et met en place ses pratiques.

Le conflit ouvre un éventail de situations si large qu’il demeure un facteur constant dans l’analyse globale des relations sociales. Elles laissent filtrer des informations qui font comprendre l’afflux des médiations et attribuent à celles- ci son rôle de baume pour une société toujours plus conflictuelle. Le conflit imprègne d’ailleurs, parce que ces temps sont très modernes, la dimension la plus purement individuelle autant que l’expression magistrale de la guerre. L’individualisme adapte la guerre sur la situation de l’individu déchiré, en proie au doute. Il pourra fomenter pour les bonnes raisons qui sont les siennes, la guerre de tous contre tous, quelle que soit la forme qu’elle adopte, politique, militaire, économique ou sociale.

La proportion des effets n’est pas identique, mais au moins un facteur pragmatique commun traverse tout le champ conflictuel. De la simple dissonance cognitive à l’horreur de la violence barbare, les extrêmes connus et méconnus du conflit, ou tout également des conflits, laissent en chacun le goût de l’amertume, de l’incompréhension, de la souffrance ou du désespoir. S’il engage enfin chacun en fonction de ses moyens, il le fait incidemment sur la piste de la défense de chaque vérité personnelle. Cette vérité affûte les tranchants de toute lame de guerre. Il y a La vérité, évidente. Puis, il y a toutes les autres.

Monsieur Chirac, Président de la République Française, déclarait lors de l’inauguration du mémorial du martyr juif à Paris le 25 janvier 2005 que « le négationisme est un crime contre la vérité historique ». Ce postulat étant partagé puisque rapporté aux éléments que nous connaissons de l’histoire, il reste à nous interroger sur la possibilité, non de la réfuter, mais de savoir si elle enseigne sur le passé, le présent et sur l’avenir. En somme, si l’actualité se fige

sur un devoir de mémoire, l’Histoire peut-elle encore être l’alarme de notre présent ou lui suffit-elle de s’imposer comme vérité intemporelle ?

Ici, les rênes de l’impuissance à contrarier le sort ne dirigent qu’un monde relatif d’évaluations dans un contexte de nécessités tangibles croisées. Rien de permet de dire que de tels horreurs ne se reproduisent pas ni qu’elles ne se reproduiront pas. La force du message se sert ici d’une cause pour en oublier les autres, pour empêcher d’en penser la survenue permanente. Sur le terrain du jugement, le juge est souvent trop bon avec lui-même ou si judicieusement oublieux. L’impossibilité du choix fait naturellement opter pour la médiation jusque dans les idées.

b) La dialectique conflictuelle fondatrice de géométrie spatiale

Dans le but de les effacer, la pensée et les pratiques de la médiation s’ajustent, se posent sur les traces de pas laissées par une dialectique conflictuelle nouée autour de la confrontation de points de vue inconciliables ou par la lutte d’intérêts opposés. Le jeu de reconnaissance – neutralisation - disparition est attesté également lorsque la médiation s’invente un temps et un espace que le conflit ne peut pas ou ne peut plus lui-même offrir.

L’inscription spatio-temporelle du conflit, et par conséquent celle de la médiation, semble découler librement de l’évidence factuelle du conflit. Elle se contente d’une simple apposition de barrières qui simulent tant son début que sa fin. Cette précision temporelle détient une première clef explicative de l’autonomie revendiquée de la médiation en dehors du temps du conflit. La mesure dynamique et circonstanciée des moments qui font éclore le conflit, qui assurent sa forme et qui imposent sa conclusion est infiniment plus complexe que ce que J.-F. SIX affirme :

« L’histoire et l’observation rapide des événements récents de notre époque nous conduisent à cette affirmation : tout conflit a une fin. […] le conflit est appelé à prendre fin d’une manière ou d’une autre car il est coûteux182. »

Si un conflit débute et finit absolument, il n’est pas toujours possible de savoir vraiment quand, pourquoi ni comment, en dehors de son coût que, probablement, la médiation tente d’amenuiser. L’imprécision nous permet de poser ici une alternative qu’il faut dépasser pour saisir l’espace intégral tissé par les deux dimensions du conflit et de la médiation :

Æ Soit le conflit s’exprime sur un espace et un temps qui font sa définition. Ces deux paramètres conduisent à admettre l’autonomie du conflit s’ils assurent la séparation avec les autres temps avant lui, autour de lui et après lui, l’éloignement avec les espaces contigus et les trajectoires parallèles. Dans cette condition, chaque conflit apparaît original. Il faut alors admettre que son environnement même lui appartient en propre et à nul autre. La figure imposée proche de l’autonomie pure du conflit ne rejette pas pour autant son analyse selon une échelle synchronique. La prudence veut en effet que l’affirmation de la singularité d’un conflit exige sa comparaison avec d’autres183.

Æ Soit de sa place particulière, le conflit assure une liaison entre des espaces et des temps liés par une suite géométrique et chronologique dont ils partagent un commun dénominateur : le principe conflictuel général. Il peut investir des lieux et des moments différents parce que l’histoire les reconnaîtra ainsi. Ce travail de constitution historique amène à considérer les conflits comme les maillons d’une chaîne. Chaque élément est indépendant mais offre en lien avec d’autres une utilité supplémentaire d’ordre pédagogique et sa leçon se voudra plus universelle : Lorsque le conflit est là, il faut savoir quoi faire avec. S’il n’y est pas encore, il faut l’éviter.

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H. TOUZARD, La médiation et la résolution des conflits, Paris, P.U.F., coll. Psychologie d’aujourd’hui, 1977, p. 83.

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On se trouvera alors devant une nouvelle alternative posée par exemple entre le soutien soit du point de vue d’Alain Touraine pour qui les événements de 1995 n’ont pas le caractère d’un mouvement social, soit de celui des militants « engagés » pour qui cette période possédait le potentiel d’un mouvement révolutionnaire.

Interprétée sous les feux médiatiques et officiels, l’histoire relate la terrible fatalité des événements contre lesquels on ne peut presque rien. Il s’agit de séparer maintenant ce qui se tient sous notre pouvoir de ce qui n’en relève pas. Après l’apparente facilité de la proposition, est-il aussi important de choisir qu’on aime à le dire ?

Allumer une bougie sur la fenêtre de son balcon en hommage aux victimes d’un drame, donner un euro pour aider les sinistrés d’un cataclysme, est-il le signe manifeste d’une action de solidarité ?

Faire de son mieux est bien, mais n’est pas le Bien et, le serait-ce, la question ne serait pas résolue. Réduire la question de la solidarité à une mesure revient à considérer soluble celle qui interroge la constitution d’une humanité. Tenter ne se confond pourtant pas avec finir. Les faits sont tenaces. Ils rendent l’histoire vraie et entretiennent la certitude bâtie autour du conflit devenu terme générique au fil du temps. Leurs objurgations sont telles qu’il est possible d’y suivre des modalités concrètes d’apprentissages culturels et d’y déceler les traits caractéristiques du déterminisme social. Les conditions étant posées, le phénomène ne peut pas ne pas se produire. La question de la crédibilité de l’inventaire et de son intention reste ouverte. A cet endroit, le conflit devient un formidable moteur dans la compréhension humaine. Le dressage pédagogique tient ainsi ses lettres d’or entre le bâton et le miel.

Les faits certifiés par l’histoire laissent livrer la troisième contribution du conflit qui éclaire puissamment la perception de la médiation :

Troisième apport du conflit

Le conflit valide les premiers repères temporels et matériels proposés par l’histoire.

Pour le fait, remarquons que rien ni personne ne conteste l’existence même du conflit en tant que tel. Le constat fait aveu de l’impatiente attente de sa neutralisation. Plus le conflit est résolu, plus l’affirmation de la possibilité de sa fin s’approche, tente de s’approcher du moment où il éclate. Là toujours, la tentation est grande de confondre la médiation avec la capacité d’absorption “immédiate” du conflit. Si l’on prie pour que son idée même devienne une incongruité, c’est pour que tout un ensemble social sache retrouver sa religion,

son lien, sur le prie-Dieu d’événements tragiques, situés ailleurs ou qui le touchent au cœur. L’histoire ne résout pas les conflits mais les recycle.

Suivi de la médiation, le sens de lecture de sa constitution va à rebours du temps qui va. Les faits font l’histoire qui, affranchie, certifie le conflit en amont et les conséquences qu’il entraîne. La répétition des faits ne modifie guère cet ordre. Le brouillage qui fait alors norme, peut n’être que le résultat de l’insuffisance du discernement humain184. Il est un indice supplémentaire de la

raison qui le pousse médiocrement sur la voie de la transcendance. La paternité des faits doit pouvoir alors être réexpédiée au ciel. Quant au conflit, ici-bas, il n’a pas besoin d’exister pour être, même si sont niées ses raisons d’être. Le jeu des retournements est désormais sans fin.

c) Géométrie de l’espace conflictuel

En contribuant tous les deux à une morale du conflit qui n’en finirait pas, les repères synchroniques et diachroniques inventent une géométrie capable de relater l’aventure sociale perpétuelle. De la concorde née de la discorde, ils extraient l’élément dont la conscience sociale apprend à tenir compte. Cette finalité est équivalente entre les deux axes, même si les modalités de la construction diffèrent en fonction du poids accordé aux circonstances. La discorde doit bien avoir un début. Peut-être celui-ci était-il la concorde, signal de départ d’une logique de la pureté originelle retrouvée ? Peut-être est-il une vérité simple des êtres humains qui se construisent par la revendication et espèrent, en elle, l’amélioration de la vie.

La succession des conflits se dispose “naturellement” sur un axe horizontal, comme ils émaillent l’histoire. Quelque chose du premier conflit se transmet au second qui saura nourrir le suivant etc. Ces conflits partagent de cette manière un principe commun, c’est-à-dire cette chose qui fait que le conflit mérite et

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La célébration des vertus de l’apprentissage tout au long de la vie, relate une double médiation. Il y a le fait et l’usage idéologique qui en est fait. L’écrasante puissance de ces dernières ne fait pas oublier que l’information n’est elle-même qu’une médiation de plus.

transmet son nom dans le temps. Cet aspect-là est impliqué directement dans notre problématique sur la médiation.

Repères synchroniques et diachroniques du conflit

conflits précédents conflits parallèles axe diachronique ∞ conflit de référence conflits subséquents axe synchronique

La référence au “conflit” mentionne un phénomène que l’on estime remarquable, sous certains de ses traits. Elle entre aisément sur ce double axe orthonormé. L’infinité (∞) du temps qui se déroule se lit tout aussi infiniment sur l’instant “t”. L’axe synchronique est alors celui du moment arrêté qui

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