Nous avons dit qu'il existait, à n'en pas douter, une théra¬
peutique propre à l'enfance. Nous avons montré pourquelles
raisons anatomiques, physiologiques et cliniques la manière
de traiter les enfants devait différer de la manière de traiter les adultes. Il nous reste, et c'est la partie capitale de notre tâche, à rechercher comment on doit comprendre cette théra¬
peutique infantile, quels doivent être ses principes, sa
méthode, sa formule, de quelle façon il faut procéder pour
obtenir, aussi souvent que ce sera possible, la guérison d'un
enfant malade : ce qui est, en vérité, la fin dernière de toute
bonne thérapeutique, à quelque genre de malades qu'elle
s'adresse.
De nombreuses méthodes ont vu le jour parmi nous en matière de thérapeutique générale : deux d'entre elles, la
méthode pathogénique et la méthode physiologique, se parta¬
gentsurtout la faveur et orientent les mouvements du public
médical. Si rationnelles soient-elles, on ne peut pourtant songer à les appliquer exclusivement, pas plus que les autres,
au traitement des maladies de l'enfance.
Assurément, s'attaquer aux causes connues ou inconnues de
lamaladie, chercher avec toute l'énergie possible à déloger, à
neutraliser l'agent morbifique, est unethérapeutique tellement simpliste et d'effet tellement sûr, qu'aucun esprit réfléchi ne saurait y faire opposition. Mais, outre que, malgré les résultats
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acquis etles espérances données, le
cercle des maladies
infec¬tieuses soumises à notre empire n'est pas encore bien étendu,
la médication spécifique est une arme à deux tranchants, diffi¬
cile à manier, attendu que, suivant un mot célèbre : on peut
viser le microbe et atteindre le patient. De plus, il faut savoir
que les antiseptiques proprement dits font désormais partie, d'aprèsnotre modeste expérience, des médicaments mal sup¬
portés par l'enfant, et qu'il n'y a pas en général à compter beaucoup sur eux, quand ils ne sont pas nuisibles. Nousn'en
voulons donner pour exemple que l'insuccès maintes fois
constatéde Y acide lactique qu'Hayem avait proposé comme un microbicide certain de la diarrhée verte et qui agit tout au
plus comme un simple astringent.
Assurément encore, isoler les troubles pathologiques et les
combattre par des agents thérapeutiques capables de produire
des effets physiologiquement inverses, comme le demandait
surtout Germain Sée, est une méthode qui séduit par son allure scientifique et par ses promesses de certitude presque absolue. C'est de la thérapeutique symptomatique plus savante
et plus approfondie. Mais, avec Bouchard, on peut lui repro¬
cher de méconnaître l'évolution naturelle de la maladieet de
ne pas assez tenir compte des indications médicales. De plus,
elle peut être dangereuse lorsqu'elle s'attaque àun
phénomène
qui est le résultat d'une action utile : par exemple à unediarrhée chez un urémique (Obs. II) ou un intoxiqué
d'un
autre genre (Obs. IV), à une quinte de coqueluche chez un
enfant à sécrétions abondantes, à une crise convulsive chez
un hystérique très incommodé, enfin à la fièvre dans une pyrexie exanthématique.
Mais est-il vraiment nécessaire, en l'état actuel de nos connaissances, d'avoir une méthode, de faire profession
d'un
dogme à propos du traitement des maladies, et la sagessene consiste-t-elle pas plutôt à prendre un peu partout
les
éléments destinés à constituer le tout final, le
jugement1!
Pourquoi se priver des ressources d'un procédé qui
n'est
mauvais que dans son exagération? Pourquoi ne pas se
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trer éclectique et se déterminer suivant l'opportunité des circonstances?
Rien n'est déplorable en médecine et rien n'a fait plus de
tort jusqu'ici à la thérapeutique comme l'esprit de système,
amenant tour à tour l'engouement et la réaction, générateurs
du scepticisme. Ily a aussi une sorte de manie contre laquelle
ilimporte de se tenir en garde: c'est celle qui afait au début du siècle la fortune de l'homœopathie, c'est la manie de
droguer à tort et à travers, à force de médicaments. La
thérapeutique,
ainsi que l'indique excellemment Landouzydans sa leçon-programme d'ouverture, la thérapeutique n'est point l'art de frapper sur les centres de mémoire pour en fairejaillir une recette, tout comme la percussion du marteau
patellaire fait jaillir de la jambe un mouvement involontaire.
C'est surtout en médecine de l'enfance qu'il faut se défier de
cette tendance déplorable qui consiste à faire de la théra¬
peutique «réflexe et par équations». Les maîtres spéciaux
que nous avons suivis nous ont maintes fois montré le danger
de ces interventions hâtives, presque toujours intempestives,
souvent fâcheuses.
Voilà un enfant qui arrive avec de la fièvre tout simplement,
de
l'abattement,
un peu d'embarras gastrique. Faudra-t-il immédiatement lui prescrire un remède actif, le sulfate de quinine notamment, dont il faut bien dire qu'on use et qu'on abuse, sous prétexte que l'enfant le supporte bien! Il le supporte, c'est possible, quoique ce ne soit pas toujours vrai,— notre observation VIII en est un exemple, — mais il le prend bien mal, et on l'indispose d'emblée contre toute
médication future. J'en dirai tout autant de l'antipyrine, qui
estun mauvais médicament de la fièvre.
D'ailleurs,
est-il besoin de poursuivre avec cette rigueur immédiate tout état fébrile de l'enfance? Nous ne le croyons pas. L'hyperthermie ne doitpas être confondue avec la fièvre.Il fut un temps, dit Marfan dans ses Considérations théra¬
peutiques du Traité des maladies de Venfance, où l'on rap*
portait à l'élévation excessive de la chaleur toute une série
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de lésions : dégénérescence musculaire,
cardiaque,
rénale.Alors on craignait la fièvre pour